La montée de l'antisémitisme au Venezuela pousse les Juifs à l'émigration

Les juifs du Venezuela optent de plus en plus pour l’aliya à mesure que la situation du pays se détériore

Des bidonvilles dans la capitale (photo credit: DR)
Des bidonvilles dans la capitale
(photo credit: DR)
Les rues de Jérusalem et d’Israël tout entier montrent un engouement de plus en plus fort pour la culture latino-américaine. Pour preuve, les échoppes de nourriture typique que l’on peut voir à Mahane Yehouda, ou bien les conversations qui s’engagent avec les nouveaux immigrants en espagnol, une langue que les Israéliens apprennent par le biais des Telenovelas, ces feuilletons à l’eau de rose caractéristiques de la culture hispanophone. En revanche, rare sont ceux qui s’interrogent sur les raisons qui ont incité beaucoup de ces olim à quitter leur pays. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne les nouveaux arrivants originaires du Venezuela, dont la situation reste largement méconnue. Qui sait que dans ce pays en proie à une crise économique et sécuritaire extrême, l’aliya est très souvent perçue comme la seule option possible ?
Au Venezuela, les kidnappings, les déplacements en voitures blindées et le marché noir font partie du quotidien de la communauté juive. Bien qu’ils soient généralement beaucoup mieux lotis que la majorité de la population, qui souffre d’une pénurie de nourriture et de médicaments, beaucoup de juifs vénézuéliens estiment néanmoins avoir atteint leurs limites dans ce pays en déclin constant. Beaucoup font alors le choix de partir et de laisser ce chaos derrière eux. Ceux qui optent pour l’aliya doivent affronter les mêmes problèmes que tous les immigrants – incertitude financière, confrontation à une langue et une culture étrangères – à une différence près : l’impossibilité pour eux d’envisager de repartir un jour.
Un terrible marasme économique
Les colossales réserves de pétrole découvertes au début du XXe siècle constituent la première source de revenus du Venezuela. Dans ce contexte, la fluctuation des cours de l’or noir, associée à la crise économique mondiale, a durement affecté l’économie locale au cours des dernières décennies. Cette situation a encore empiré avec la décision de Hugo Chavez – à la tête du pays de 1998 à 2013 – de dévaluer la monnaie, le bolivar. Le leader controversé qui a dirigé le Venezuela jusqu’à sa mort, avait promis « une révolution sociale dans la paix et la démocratie ». Il n’aura pas tenu ses engagements. Sa politique basée sur une révision de la constitution lui allouant toujours plus de pouvoirs, a entraîné de nombreuses protestations à travers tout le pays et provoqué une crise de l’énergie et de l’eau sans précédent, tandis que le contrôle des prix sur des produits de base a suscité nombre de pénuries. L’élection de Nicolas Maduro à la présidence n’a rien changé. L’état d’urgence vient d’être décrété pour la deuxième fois de l’année. Le chef d’Etat accuse les Etats-Unis de chercher à déstabiliser le pays, tout comme les élites, accusées de se tailler la part du lion et d’être à l’origine d’une guerre des classes. Mais pour les économistes, les responsabilités de la crise sont à chercher du côté de la chute drastique des prix du pétrole, et de l’échec du gouvernement à épargner pour faire face aux années difficiles.
Les citoyens, eux, pointent la mise en place de politiques socialistes inadaptées. La triste ironie est que pendant que les gens font le plein d’essence pour un dollar, le pays souffre d’une pénurie de papier toilette, de lait et de nombreux autres produits de base. Dès lors, les Vénézuéliens n’ont d’autre choix que de se fournir sur le marché noir, à moins de faire la queue plusieurs jours devant le supermarché dans l’attente d’une livraison ; en espérant qu’il restera quelque chose en rayon lorsqu’ils entreront enfin dans le magasin… Fait révélateur, le Venezuela a récemment été surnommé « le pays sans Coca » par le magazine Forbes, en raison de la décision du fabricant du célèbre soda de stopper la production par manque de sucre. Alors que le bolivar a perdu pratiquement toute sa valeur, 87 % des habitants du pays affirment qu’ils manquent d’argent pour acheter à manger, selon des recherches menées par l’université Simon Bolivar. Le président Maduro a commencé à imposer des rationnements sur l’eau et l’électricité, à tel point que les bureaux gouvernementaux n’ouvrent plus que deux demi-journées par semaine. Les hôpitaux situés en dehors de la capitale Caracas ont de plus en plus de mal à prendre les patients en charge, en raison de la pénurie de médicaments, mais aussi de gants et de savon.
Les juifs en sursis
Les liens du Venezuela avec les juifs et Israël ont longtemps été forts. Le pays a été l’un des rares à accueillir les embarcations chargées de juifs d’Europe fuyant les persécutions nazies, et a été au nombre de ceux qui ont voté pour la création de l’Etat juif en 1947. Mais ces 15 dernières années, la situation s’est largement détériorée.
Les juifs du pays, qui vivent exclusivement à Caracas, ont accès aux dollars américains, ce qui leur permet de jouir d’une situation financière beaucoup plus confortable que ceux qui ne dépendent que du bolivar. Ces dollars leur permettent de maintenir un train de vie aisé, en leur donnant la possibilité de se procurer des produits rares et chers sur le marché noir, de vivre dans des appartements luxueux, de se payer des voitures hors de prix ainsi que du personnel de maison à tour de bras – un style de vie qu’ils ont bien conscience de ne pouvoir reproduire à l’étranger. La vie cependant n’est pas si facile. La crise entraîne la multiplication des vols à main armée et des kidnappings de personnes nanties, retenues en otages jusqu’au paiement d’une rançon. La recrudescence de l’antisémitisme, enfin, représente une menace supplémentaire, un phénomène devenu courant, surtout depuis les condamnations à répétition d’Israël par Hugo Chavez.
Gabriel, qui a commencé ses études supérieures à Caracas, raconte que le fait de porter la kippa sur le campus de son université s’est révélé une expérience difficile, particulièrement durant l’opération Plomb durci de Tsahal en 2008-2009. A l’époque, des vandales s’étaient même introduits dans la synagogue séfarade de la capitale, jetant les rouleaux de la Torah au sol et couvrant les murs de graffitis antisémites. Pour protester contre l’action d’Israël dans la bande de Gaza, Hugo Chavez était allé jusqu’à renvoyer l’ambassadeur de l’Etat juif, mettant un terme aux relations diplomatiques entre les deux pays.

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Le narratif gouvernemental, qui tient l’élite économique pour responsable de la plupart des difficultés du pays, a donc trouvé un bouc émissaire naturel : la communauté juive plutôt aisée. Une position qui a pour conséquence de renforcer encore l’antisémitisme et avec lui, l’inclination des juifs au départ. C’est ainsi que ces 20 dernières années, la communauté est passée de 25 000 à moins de 9 000 membres. Quant à ceux qui restent, leur style de vie les empêche bien souvent de voir la situation dans toute sa triste réalité. « Pour cuisiner des grenouilles, on les plonge vivantes dans de l’eau froide, puis on fait chauffer l’eau ; de cette façon, elles ne se rendent pas compte que la température monte jusqu’à ce qu’elles finissent par mourir », note Roberto, un olé vénézuélien. « Si on les plongeait directement dans l’eau bouillante, elles sauteraient pour s’enfuir. C’est exactement ce qui se passe au Venezuela », assure-t-il. Juste avant son départ, Roberto raconte qu’en raison du dispositif de sécurité du domicile de ses parents, la famille devait passer par quatre portes pour accéder à la maison, et qu’une barrière électrique entourait la propriété. Ces mesures ont été prises graduellement, si bien qu’ils ont mis un certain temps avant de se rendre compte qu’ils vivaient dans une véritable prison dorée.
Ceux qui font le choix de partir optent le plus souvent pour Miami, Panama ou Israël. Les plus jeunes, ceux qui sont dans la vingtaine, sont les plus prompts à quitter le pays. Sur les 120 anciens camarades juifs de lycée de Gabriel, une centaine est déjà partie. « Je pense que tous les juifs finiront par s’en aller », prédit Roberto.
Daniel projette quant à lui de s’installer à Miami dans les prochains mois. Des opportunités professionnelles ainsi qu’un certain nombre d’amis déjà sur place ont fini de motiver sa décision. « Il est devenu impossible de se fixer des objectifs professionnels ou personnels au Venezuela », explique le jeune homme. « En tout cas ce n’est sûrement pas l’endroit où je souhaite fonder une famille. La situation empire de jour en jour et pour ma part, je ne vois aucune lumière au bout du tunnel. » Les parents de Daniel ont choisi de rester à Caracas. « Mon père a toute sa vie ici. Il a monté son affaire à partir de rien il y a 45 ans. Pour l’instant, il ne s’imagine pas tout quitter. Il ne s’en ira que si la situation ne lui en laisse vraiment plus le choix. »
Un aller sans retour
Leon a quitté le Venezuela il y a quatre ans. Au départ, il avait prévu de s’inscrire dans une faculté de droit aux Etats-Unis avant de tomber amoureux de l’Etat juif. « Ce pays est comme une grande famille », dit-il. « La vie est dure, mais le sentiment de liberté qu’on éprouve ne se retrouve nulle part ailleurs. » Un autre olé du Venezuela explique qu’il devait, lui, rejoindre une université-yeshiva américaine avant d’opter pour l’aliya, au grand dam de ses parents : « J’ai senti qu’ici était ma maison, que c’était l’endroit où je devais être. Les autres pays du monde ne sont que des étapes ; la destination finale est Israël. »
Roberto note au contraire qu’Israël n’est pas fait pour tout le monde, en raison des difficultés économiques et du problème de la langue. L’aliya de sa famille a été motivée par des raisons médicales. Son père qui a été diagnostiqué avec un cancer aurait été contraint, pour recevoir un traitement au Venezuela, de se lever aux aurores pour se rendre dans une autre ville, la seule à offrir les soins adéquats, sans compter les tracasseries administratives qu’il aurait dû affronter. Sa famille a été la première à quitter le pays, ouvrant la voie à une vague très importante de départs.
Un autre immigrant d’origine vénézuélienne raconte qu’il gagnait 5 millions de bolivars par mois en tant que conseiller financier, jusqu’à ce que son salaire soit réduit à 150 dollars mensuels. C’est ainsi que ce doctorant s’est retrouvé à travailler comme chauffeur de taxi pour pouvoir assurer ses fins de mois. Aujourd’hui, alors qu’il a fini de servir en tant qu’officier dans une unité chargée des relations internationales, il ne regrette aucunement son aliya, et semble résigné face au déclin de son pays d’origine. Roberto espère tout de même pouvoir emmener ses deux filles à Caracas un jour, pour leur montrer l’endroit où il a grandi et le berceau de sa culture.
Beaucoup d’immigrants se montrent moins résignés et ne cachent pas leur indignation. « C’est triste de voir que 17 années de “révolution” ont suffi à mettre le Venezuela à genoux. Comment un pays, qui possède tant de pétrole et d’or (deuxième rang des réserves mondiales d’or), mais aussi tant de gens aux talents divers et tant de beaux paysages, puisse être aussi celui qui a le plus fort taux d’inflation et d’homicides ? », se lamente Leon.
Alors que l’opposition est parvenue à rassembler près de deux millions de signatures en faveur de l’organisation d’un référendum pour désigner le prochain parti qui dirigera le pays, il semble que le président Maduro soit décidé à faire l’impossible pour se maintenir au pouvoir. L’avenir du Venezuela n’a jamais paru aussi incertain… 
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