Comme prévu, les deux cycles de négociations, en février dernier à Genève, entre le gouvernement syrien et les groupes d’opposition se sont soldés par une impasse. En près de trois ans, la guerre civile qui déchire la Syrie affiche un lourd bilan : plus de 140 000 morts, un demi-million de blessés et le déplacement d’environ sept millions de ses ressortissants. Et l’on n’en voit pas la fin ! Le président Bachar el-Assad, lui-même en proie à de grosses difficultés, a admis il y a peu, dans une interview à l’AFP, que la guerre allait continuer.Les responsables israéliens ont dernièrement révélé que la Syrie, en plein chaos, accueille aujourd’hui quelque 30 000 combattants islamistes venus des quatre coins du monde. Ces terroristes se battent à la fois contre le gouvernement et l’opposition laïque.Or, si aucune trêve n’est en vue, cela n’empêche pas la Russie et d’importantes compagnies américaines de traiter leurs affaires syriennes « comme si de rien n’était ». Alors que les Syriens continuent de tomber sur les champs de bataille, la société russe Soyuzneftegas a conclu en décembre dernier un énorme contrat avec le régime d’Assad. L’accord a été signé par l’ambassadeur de Russie à Damas Azmatullah Kulmohamedov, et le ministre du Pétrole syrien, Souleiman al-Abbas. Le géant du pétrole et du gaz russe a obtenu une concession de 25 ans pour explorer et développer le Bloc 2 des eaux territoriales syriennes, face au port de Tartous. La compagnie estime son investissement initial à environ 100 millions de dollars.L’accord russo-syrien n’est pas seulement une affaire commerciale, mais revêt aussi une grande importance stratégique pour la région et Israël. Le Bloc 2, qui couvre une superficie de plus de 2 000 km2, est considéré comme le plus grand réservoir de gaz et de pétrole dans le bassin de la Méditerranée orientale. Si l’on découvre et parvient à exploiter du gaz et/ou du pétrole, cela garantira l’avenir économique de la Syrie, à supposer bien sûr que la guerre civile se termine un jour et que le pays demeure unifié.Un partenaire important dans la concession est l’incontournable Rami Makhlouf, un riche homme d’affaires syrien et cousin d’Assad. Makhlouf est considéré comme l’un des hommes les plus riches de la Syrie : la fortune de sa famille est estimée à 4 milliards de dollars. Même avant le début de la guerre civile, les entreprises et les hommes d’affaires internationaux étaient conscients qu’aucune affaire importante ne pouvait être conclue sans son aval. Sa participation dans l’affaire avec la Russie assure à Assad, le président corrompu, et à son clan, leur part de bénéfice.Pétroroubles et gazodollars Soyuzneftegas, une entreprise d’Etat liée au président russe Vladimir Poutine, est déjà engagée dans l’exploration pétrolière au nord de la Syrie. L’entreprise est également active en Irak, en Ouzbékistan, en Afrique du Nord et en Australie.Depuis plus de dix ans, la politique étrangère russe se caractérise par des efforts pour promouvoir ses affaires à l’international, en particulier dans le secteur de l’énergie. Les compagnies de gaz et de pétrole russes comptent parmi les plus importantes au monde et placent Moscou au rang de superpuissance sur les cinq continents. Dans cette optique, les grandes entreprises pétrolières et gazières russes cherchent à étendre leur rayon d’action à d’autres régions du bassin méditerranéen oriental pour obtenir de nouvelles concessions de gaz.A quelque 20 kilomètres au sud du Bloc 2 syrien, trois grandes compagnies russes – Rosneft, Lukoil et Novotec – tentent d’obtenir des concessions du Liban dans les zones maritimes limitrophes d’Israël. A cet égard, il est important de rappeler deux faits importants. Tout d’abord, le Hezbollah, le mouvement terroriste et politique chiite, tient un rôle de premier plan dans la coalition gouvernementale de Beyrouth. Ensuite, les compagnies pétrolières américaines, Exxon-Mobile et Chevron, ont également soumis des offres pour les concessions libanaises et se sont associées dans des coentreprises avec leurs homologues russes. Une preuve de plus que ni les intérêts nationaux ni les considérations stratégiques n’entrent en jeu quand il s’agit de faire des profits. Et ce, en dépit de la rivalité stratégique entre la Russie et les Etats-Unis au Moyen-Orient en général, et en Syrie en particulier.Les entreprises pétrolières russes cherchent également à acquérir une part des réserves potentielles de gaz dans les eaux chypriotes. C’est la Russie qui a sauvé l’île d’un désastre économique total en 2012, lorsque les banques chypriotes se sont effondrées. L’aide du Kremlin a, d’une certaine manière, fait entrer Chypre dans le camp de Poutine. Pas étonnant dès lors que le géant du pétrole russe Novotec ait déjà obtenu une concession chypriote.La diplomatie énergétique russe agressive ne boude pas non plus Israël. Gazprom, la plus grande compagnie d’énergie russe, tente depuis des années de pénétrer le marché israélien. Elle a récemment essayé de participer, sans succès, à la commercialisation du gaz israélien, découvert il y a quelques années en pleine Méditerranée. Les champs gaziers Tamar et Léviathan sont gérés en joint-venture par la société israélienne Delek et la compagnie texane Noble Energy. La production et la commercialisation du champ Tamar a commencé en 2013. Celle du Léviathan est prévue pour 2017. Une autre idée est alors lancée par le géant russe : acheminer le gaz israélien par pipeline sous-marin à Chypre, où une usine sera construite pour le liquéfier. De source israélienne, jusqu’ici aucun accord n’a été conclu avec la société russe, mais sa proposition est à l’étude. La décision finale ne reviendrait pas au gouvernement, mais plutôt aux partenaires israélo-américains et à la compagnie australienne Woodside Petroleum, qui vient de signer un protocole d’accord pour acheter une participation de 2,7 milliards de dollars dans l’entreprise Léviathan.Tous ces développements indiquent que la Russie fait tout pour assurer la survie du régime d’Assad, et que ses partenaires du pétrole et du gaz américains ont et continueront d’avoir un impact important sur l’attitude de la Maison-Blanche face au conflit syrien.Le gaz contre la terreurMais l’implication énergétique de la Russie dans le bassin méditerranéen oriental a aussi de quoi réveiller les craintes d’Israël, amené à revoir sa politique sécuritaire.Le mois dernier, les chefs de sécurité israélienne, dont le chef du renseignement militaire, le général Aviv Kohavi, ont indiqué que le pays est actuellement menacé par pas moins de 170 000 roquettes et missiles dirigés sur les villes israéliennes et certaines installations stratégiques. Environ 60 % de cet arsenal sont aux mains du Hezbollah au Liban, tandis que 30 % sont déployés en Syrie.Selon des rapports étrangers, l’aviation israélienne aurait lancé l’année dernière au moins six frappes contre des dépôts d’armes et convois syriens transportant des missiles sophistiqués à destination du Hezbollah. Jérusalem s’inquiète particulièrement des missiles terre-mer Yakhont de facture russe qui, s’ils tombent entre les mains du mouvement chiite libanais, pourraient, dans l’éventualité d’un futur conflit, lui permettre de prendre pour cible les plates-formes de gaz israéliennes.Ces deux dernières années, Delek et Noble Energy, en collaboration avec le ministère de la Défense et la marine, ont mené une campagne en coulisses poussant le gouvernement à investir 3 milliards de shekels supplémentaires pour assurer une défense spéciale des plates-formes gazières.Il semble en effet que, lors de la publication des appels d’offres pour les concessions de gaz, le gouvernement ait oublié de prendre en compte les frais de sécurité militaire. Or, les entreprises privées qui ont remporté les concessions refusent de porter le fardeau de la protection de leurs investissements. Elles exigent que le gouvernement puise dans ses propres fonds pour en supporter le coût.Une équipe spéciale de planification stratégique de la marine israélienne s’est penchée sur la question, il y a deux ans et demi. Selon ses estimations, pour assurer une « couverture défense » minimale des plates-formes gazières contre toutes les menaces potentielles, de la Syrie et du Hezbollah libanais, les forces navales devraient acquérir quatre nouveaux navires et frégates lance-missiles.Mais ces exigences démesurées pourraient bien s’avérer superflues. Les nouvelles découvertes et le développement de champs de gaz par Israël, la Syrie et le Liban ouvrent la voie à l’émergence d’une nouvelle réalité dans la région. Celle-ci pourrait prendre la forme d’un « équilibre énergie-terreur » ou de la « garantie mutuelle d’intérêts économiques stratégiques ».L’intérêt russe dans les projets gaziers et pétroliers de la région pourrait fort bien se doubler d’un effet modérateur, incitant le Hezbollah et la Syrie à la retenue vis-à-vis d’Israël. Sachant que leurs plates-formes subiront elles aussi des dommages en représailles, ces derniers réfléchiront à deux fois avant de lancer une attaque sur les installations de gaz israéliennes.L’engagement des compagnies énergétiques russes (et américaines) ainsi que leurs intérêts commerciaux pourraient également contribuer à enrayer la guerre civile syrienne. Certains signes font déjà apparaître un changement d’attitude de la part de Washington, l’Union européenne, la Turquie, la Jordanie et Israël. Car, face à la montée de la menace islamiste, renverser Assad semble désormais de moins en moins prudent. © Jerusalem Post Edition Française – Reproduction interdite