Ce sont dix soldats « seuls », enrôlés dans Tsahal alors que leurs parents sont restés en France, qui sont arrivés jeudi 9 janvier, à Yaffo pour rencontrer l’ambassadeur de France. Quatre jeunes soldats et six recrues féminines, montés depuis l’Hexagone. Ils se sont engagés dans l’armée avec le sourire aux lèvres et un idéal sioniste plein la tête, et servent dans les unités combattantes de Golani, de la Marine, des renseignements, des parachutistes, ou encore le porte-parolat.Ces soldats franco-israéliens ont tous répondu à l’invitation de l’ambassadeur de France, première en son genre, afin d’échanger sur leurs vécus.Et c’est un diplomate à l’écoute, accompagné de trois hauts gradés de l’armée française, qu’ils ont rencontrés. Dès le début du déjeuner, Patrick Maisonnave a donné le ton en félicitant « l’engagement courageux » de ces soldats, et en les invitant à discuter librement dans le cadre de ce dialogue informel. Evoquant la sécurité d’Israël comme condition sine qua non d’un règlement de paix avec les Palestiniens, il a expliqué son envie de rencontrer ceux qui la font, afin de mieux saisir la signification de cet engagement. Au-delà de leur fierté, du patriotisme et de l’importance de défendre leur pays, ces soldats ont volontiers partagé leurs points de vue.
Assumer ses responsabilités de nouvel Israélien
Servir dans l’armée israélienne n’est ni bref ni anodin. Ce sont trois années entières que les hommes consacrent au pays, deux pour les femmes. Mais pour Charline, cette brune piquante au grand sourire qui a été chanteuse d’opéra, actrice et musicienne à Londres, servir dans l’Aviation de Tsahal a une valeur inestimable. L’armée a dû sembler être un monde bien étriqué pour cette ancienne artiste. Elle explique pourtant que ses deux grands-parents combattaient dans la Résistance et qu’elle a éprouvé le besoin de « protéger le peuple juif ». Ayant personnellement été confrontée à l’antisémitisme en France sous la forme de violence verbale et physique, cette jeune soldate explique avoir fait son Aliya à l’âge de 24 ans et s’être engagée deux jours après être arrivée en Israël : « L’armée israélienne représente le peuple d’Israël. Si je veux faire partie d’Israël, je dois faire l’armée. Il n’y a pas de pays sans armée. En France, j’ai appris en cours d’éducation civique qu’il n’y avait pas de droits sans devoirs ». Il n’est donc pas suffisant pour ces soldats de s’installer dans l’Etat hébreu : assumer leur nouvelle responsabilité d’Israéliens les conduit à défendre leur pays.
Le lieutenant Y, âgé de 28 ans, évoque pour sa part un besoin de donner au pays : « Pour un Juif, il n’y a rien de plus simple que de faire son Aliya. Mais c’est aussi un mérite de devenir Israélien. Ce n’est pas en fonction de la carte d’identité que l’on reçoit en 24 heures. J’ai eu le besoin de donner, de faire l’armée pour justifier mon Aliya, de faire comme les Israéliens ».Une grande fierté découle de cet engagement dans Tsahal. Tous évoquent le sentiment de satisfaction qu’ils ressentent en portant l’uniforme. Même s’ils sourient en confiant qu’ils ont droit à des shawarmas gratuits, les soldats seuls savent qu’ils suscitent le respect et l’admiration des Israéliens. Alors qu’ils viennent de France et pourraient éviter de consacrer ces années à l’armée, ils le font souvent volontairement, par idéal. Yoël évoque « la fierté d’être dans Tsahal et surtout de pouvoir venir ici ; c’est un privilège de pouvoir défendre le drapeau israélien ; c’est dur, surtout quand les parents sont restés en France, mais c’est très satisfaisant ».
Un facteur d’intégration
Les soldats sacrifient beaucoup pour faire l’armée en Israël, mais expliquent en bénéficier énormément en retour. D’abord, parce qu’apprendre à donner leur est salutaire, mais aussi parce qu’être dans Tsahal les aide à s’intégrer en Israël. Alors que beaucoup de nouveaux immigrants français se retrouvent seuls face aux difficultés d’apprendre une nouvelle langue, de trouver un travail et un logement, l’armée joue un rôle d’encadrement. Elle permet à la fois de rencontrer des Israéliens, de parler l’hébreu, d’être assisté dans ses démarches et d’obtenir un poste à responsabilités avant même d’entamer l’université.
Pour Agathe, qui a malgré tout réussi à conserver sa délicatesse française, Tsahal apporte beaucoup : « L’armée est importante pour l’intégration sociale. Avant mon armée, j’étais déjà depuis 5 ans en Israël mais je tournais autour du pot. L’armée est le tronc commun de la société. Jusqu’à il y a 4 mois, avant mon enrôlement, je ne parlais pas hébreu malgré tout le temps passé ici », affirme-t-elle.
Plus que la langue, il s’agit surtout d’adopter une mentalité israélienne bien éloignée de l’esprit français. Pour Yoel, « être Israélien, c’est aussi un caractère. En sortant de l’armée les jeunes sont différents. J’ai des amis en France et en Israël, et les différences sont flagrantes. » Et pour cause : leurs préoccupations sont bien dissemblables. Chloé vit dans un kibboutz à1,5 kilomètre de la bande de Gaza. Cette soldate qui vient de France explique, les larmes aux yeux derrière ses lunettes que, durant l’opération Pilier de défense en novembre 2012, son kibboutz a été frappé de pas moins de50 missiles en une seule nuit. De quoi changer radicalement leur perception de la vie. Et ébranler le cocon hexagonal dont ils avaient l’habitude.
Identité à double sens
Et pourtant, lorsque l’ambassadeur les interroge sur ce qui leur reste de la France, les réactions sont immédiates. La référence aux bons fromages est lancée, sourires en coin, mais tous évoquent l’amour de leur terre de naissance.« Si on me demande de choisir entre mes deux pays, je serais la plus malheureuse du monde. J’aime la France et j’aime Israël. Et je me sens plus complète avec mes deux nationalités », confie Agathe. Chloé ajoute : « En France, je suis fière d’être Israélienne, mais ici je dis toujours “nous” en parlant des Français, jamais “ils” ».
Pour ces originaires de Paris, Toulouse ou Montpellier, la culture française reste une identité qui les a construits, mais aussi un atout dans le pays d’immigration qu’est l’Etat juif. Soldats seuls, ils se fondent facilement dans le grand melting-pot israélien, et sont fiers de revendiquer leur French touch. Que ce soit les musées du Louvre et d’Orsay, les baguettes de pain ou les terrasses de café, la France leur manque parfois. Et surtout, ils ressentent souvent le besoin pressant d’aller retrouver leurs familles restées dans l’Hexagone.
Les jeunes recrues ne cachent néanmoins pas leur inquiétude face à la montée de l’antisémitisme. La situation des Juifs de France est un sujet crucial à leurs yeux, eux qui défendent Israël tout en observant le contexte préoccupant dans lequel leurs familles vivent. Pour l’ensemble de ces soldats, antisémitisme et antisionisme ne font qu’un. Traiter quelqu’un de « sale Juif », expliquent-ils, est bien plus difficile en France que de lancer l’insulte « sale sioniste », qui elle, se dissimule derrière un paravent politique. L’insulte sioniste est, selon ces engagés de Tsahal, plus politiquement correcte, car elle apparaît comme moins raciste. Pas de doute non plus pour Patrick Maisonnave : « L’antisionisme est un des nouveaux masques de l’antisémitisme », déclare-t-il. Son positionnement clair est apprécié des soldats.A l’issue du repas, la vie et les préoccupations des soldats seuls franco-israéliens semblent avoir été bien comprises. Et Son Excellence n’est-il pas, lui aussi, « seul » pour représenter la France sur le terrain israélien ?
Certains noms de soldats ont été modifiés pour des raisons de sécurité.
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