Faut-il imposer la circoncision ?

Une Israélienne, condamnée par un tribunal rabbinique pour avoir refusé de circoncire son fils, attend actuellement la décision en appel de la cour suprême rabbinique. Enquête.

P1415 JFR 370 (photo credit: MARC ISRAEL SELLEM/THE JERUSALEM POST)
P1415 JFR 370
(photo credit: MARC ISRAEL SELLEM/THE JERUSALEM POST)

Israël a beau être un pays habitué aux débats de société, celui-ci risque de faire grand bruit. Le 21 novembre dernier, un tribunal rabbinique de Netanya condamnait une mère de famille à 500 shekels d’amende par jour. Motif ? Elle refuse de faire circoncire son fils.

Son enfant étant né prématurément, la brith mila n’a pas pu être opérée lors de ses huit jours, comme le préconise la tradition juive. Par la suite, Elinor Daniel refuse néanmoins que son fils soit circoncis. « J’ai réalisé que je ne pouvais pas infliger ça à mon fils. Il est parfait juste comme il est, » a-t-elle récemment déclaré à Aroutz 2. A l’époque, son mari ne s’oppose pas à cette décision. Un an plus tard, alors que le couple est en instance de divorce, il change visiblement d’avis. Face à la cour rabbinique chargée d’arbitrer la séparation, il émet le souhait de voir son fils circoncis. Ce à quoi son épouse s’oppose vigoureusement. Le tribunal décide en faveur du père et impose la circoncision. Elinor refuse et se voit imposer l’amende. Elle décide alors de saisir la Cour suprême. A l’heure actuelle, aucune loi israélienne n’oblige ses citoyens à faire circoncire leurs enfants. 97 % des foyers juifs du pays ont cependant recours à cette pratique, selon les chiffres de l’association Hiddoush.
Aucune situation similaire n’ayant été soulevée par le passé, l’affaire est novatrice sur le plan jurisprudentiel. Les trois rabbins en charge du dossier ont notamment motivé leur verdict en estimant que laisser cette mère de famille maîtresse de sa décision risquerait d’entraîner un raz-de-marée de refus de la brith mila et cette tendance devait par conséquent être stoppée immédiatement « au nom du bien commun qui a la priorité sur l’individu ». Les juges rabbiniques ont également ajouté que « la circoncision est une procédure standard qui est réalisée sur chaque bébé juif mâle, donc quand un parent la réclame, l’autre parent ne peut la retarder à moins qu’il n’y ait un danger médical avéré ».

« Les gens en ont assez de l’establishment religieux »

Le mérite de cette affaire aura été de mettre en exergue des mouvements laïcs israéliens, de plus en plus prédominants dans le débat public. C’est notamment le cas de l’organisation à but non lucratif fondée en 2009 « Hiddoush », qui se bat en Israël pour la liberté religieuse. Son fondateur, le rabbin Ouri Regev, contacté dans le cadre de cette enquête et ancien président l’Union mondiale pour le judaïsme, ne mâche pas ses mots : « Cette décision montre le degré de fondamentalisme qui touche une partie des tribunaux rabbiniques. Ils cherchent à imposer une vision religieuse sans prendre en compte ce qui serait préférable pour cet enfant. Il faudrait qu’une bonne fois pour toutes que ces juges religieux n’empiètent plus sur le droit civil. Ce n’est pas leur rôle de juger ce genre d’affaire. » Selon Shahar Ilan, directeur adjoint de cette organisation, contacté par nos confrères d’I24 News, ce procès va attirer l’attention à l’international. « Les gens en ont assez que l’establishment religieux leur dicte leurs comportements. Moins de gens se feront circoncire si cette pratique devient une question de droit » prédit-il.

La question de la brith mila reste donc un point central dans l’opposition de la population laïque israélienne à l’encontre des prérogatives des cours rabbiniques, ce phénomène s’illustrant notamment par l’existence des associations israéliennes Gonnen et Kahal, qui militent au quotidien contre la pratique de la circoncision. Chez Gonnen, l’activiste Eran Sadeh rappelle ainsi que cette pratique vise essentiellement à réduire l’activité et le plaisir sexuel, comme l’explique le célèbre rabbin Maïmonide, dans son livre Le Guide des Egarés. De son côté, Ronit Tamir, ténor de l’association Kahal, s’est également totalement engagée dans la dénonciation de la pratique de la brith mila : « On estime que 10 % des circoncis doivent faire face à des complications médicales, mais c’est un secret. Par exemple le mohel doit embrasser le pénis de l’enfant lors de la circoncision, imaginez les infections qui peuvent arriver lorsque quelqu’un embrasse une plaie ouverte avec le nombre de bactéries que nous avons dans nos bouches. Mais l’administration médicale parlera d’infection sanguine, non liée à la circoncision, personne n’ose en parler. Beaucoup de parents viennent me voir pour me faire part de leurs inquiétudes quant à cette pratique… même des femmes ultraorthodoxes ! On estime qu’environ 5 % des juifs israéliens ne sont plus circoncis actuellement. Les gens sont informés grâce à Internet de nos jours des risques liés à cet acte chirurgical. »
Mais qu’en pensent les juristes ? Le 19 décembre dernier, le juge de la Cour Suprême, Yoram Danziger, a gelé la décision rabbinique, décrétant que le tribunal de Netanya et la cour suprême rabbinique devaient répondre à l’appel de la mère incriminée, d’ici le début du mois de janvier. Cette question étant relative aux droits parentaux inscrits dans le droit israélien, la Cour suprême aura donc par la suite autorité pour statuer à l’échelle nationale sur cet enjeu. Une innovation jurisprudentielle indéniable étant à la clé de ce jugement. Pour le Dr Yaïr Shibber, spécialiste en droit de la famille et professeur à l’université Bar-Ilan et au Netanya College, l’enjeu est de taille. « L’avis du Procureur de la république doit être entendu. Les parents ont les mêmes droits égaux sur l’enfant. Il n’y aucune possibilité de forcer une intervention chirurgicale sur un mineur. Je pense que le tribunal rabbinique n’est pas compétent en la matière, car il ne s’agit pas de divorce à proprement parler. C’est à la cour de famille civile de statuer. La valeur par défaut ne devrait pas être la circoncision mais le contraire » a-t-il estimé lors d’une interview donnée dans l’émission de Guy Zohar sur la radio 103 FM.
Pour l’un des avocats commis d’office d’Elinor Daniel, M. Avigdor Feldman, célèbre militant pour les droits civiques, il s’agit avant tout d’une question d’époque. « Nous ne sommes plus dans les années 1950, la société a évolué. C’est une légende urbaine de dire que la circoncision protège des maladies. Elle risque même d’entraîner des complications médicales. Puis il serait préférable que l’enfant puisse choisir ou non de recourir à cette intervention. Dans cette affaire, la circoncision a été rattachée comme une clause du divorce par le père, les rabbins estimant que ce refus de la circoncision était un levier utilisé par cette femme contre son mari. Mais le rattachement de ce litige au divorce est totalement discutable » a-t-il déclaré dans une interview accordée à la chaîne Aroutz 10 sur le plateau d’« Orly & Guy ».
Illustres avocats, envolée médiatique… L’affaire a pris des dimensions sociétales qui la dépassent. Dans son interview, Avigdor Feldman a expressément déclaré qu’il n’était que peu rémunéré pour cette plaidoirie, Elinor ayant dû solliciter l’aide juridique du ministère de la Justice en raison de ses faibles revenus, expliquant que sa présence auprès de la mère de la famille tenait plutôt de son intérêt pour le sujet jugé en tant que fondateur de l’Association des Droits Civils en Israël (ADCI). Ce procès serait-il en réalité récupéré par une certaine caste militante dans le pays, désireuse de faire entendre sa voix à tout prix ? Certains médias avancent l’idée, arguant également que ce refus de circoncision était une tentative manière de retarder une séparation redoutée par la jeune mère…


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La brith mila menacée en Europe

Qu’en disent les rabbins ? Pour le rav Claude David Zaffran, l’aspect théologique de cette affaire n’est pas à négliger : « Je regrette que le tribunal rabbinique ait décidé d’une sanction pécuniaire, cela donne une très mauvaise image du rabbinat. Par contre, la femme aurait dû dans le cas d’espèce prévenir son mari de son refus de la circoncision dès le début du mariage. La brith mila, c’est un acte bon, une mitsva, qui forme l’alliance d’un être avec le peuple juif. Aucun des commandements de Dieu n’est préjudiciable. On parle de demander l’avis de l’enfant, mais n’oublions pas qu’une circoncision est beaucoup plus douloureuse à 18 ans, qu’à 8 jours. Il faut arrêter de croire que les rabbins rentrent dans la vie des gens. Puis il ne faut pas oublier qu’un juif non circoncis doit faire face à certains problèmes. Il ne peut pas assister à une table du Seder lors de la fête de Pessah par exemple. Puis que diront ses amis plus tard quand ils verront qu’il n’est pas circoncis ? » Selon un autre rabbin modéré, lui aussi interrogé dans le cadre de cette enquête, et ayant décidé de rester anonyme, cette affaire est symptomatique de l’opposition violente des laïcs contre les religieux en Israël : « On ne pense qu’à taper sur les rabbins, je me demande ce que diraient les gens si cette situation devait arriver à l’étranger. Il ne faut pas centrer l’effort sur le sensationnel mais sur l’éducation. Mais il faut faire confiance à la sagesse des tribunaux. Dans la vie, on ne réussit pas par la force mais par la réflexion. »

De son côté, le monde médical religieux semble lui aussi prêt à démontrer le bien-fondé de la brith mila sur le plan de la santé. Selon le docteur Touitou, mohel et médecin exerçant à Jérusalem, la circoncision est loin de porter préjudice à l’intégrité physique des patients : « La brith permet de prévenir un certain nombre de problèmes médicaux. Elle empêche notamment le phimosis, cette infection du pénis très douloureuse. Elle éradique également le danger de la smegma, cette sécrétion des glandes sébacées masculines et féminines qui peut favoriser le cancer du col de l’utérus chez les femmes lors des rapports sexuels. Sans oublier que le prépuce reste une muqueuse qui est donc propice à l’apparition des germes, des virus, des MST… et donc du Sida ! D’une manière générale, la circoncision favorise une meilleure hygiène ».
L’opposition laïque à la circoncision n’est pas, on l’a vu, un phénomène nouveau. Cependant, l’affaire actuelle a sans doute rencontré davantage d’écho en raison des récentes polémiques sur le continent européen. Le 1er octobre dernier, le Conseil de l’Europe avait adopté une résolution assimilant la circoncision rituelle à une violation des droits de l’enfant.Fin septembre, le « Défenseur des enfants » de Suède (où vit encore une minorité juive conséquente dans la ville de Malmö) avait lui aussi demandé aux autorités de mettre un terme à cette pratique. Dans plusieurs pays comme la Norvège, le Danemark, la Suède ainsi que dans certains hôpitaux suisses, il est d’ores et déjà interdit de procéder à la circoncision en dehors du contrôle médical, la Scandinavie étant à la tête de cette mouvance laïque. En juin, un tribunal allemand de Cologne avait considéré dans son verdict que la circoncision religieuse était « une blessure corporelle passible d’une condamnation ». La chancelière allemande Angela Merkel avait ensuite cherché à rassurer la communauté juive locale (d’environ 105 000 personnes), face au tollé provoqué par cette décision. Le président Shimon Peres avait d’ailleurs fait part de son indignation à la suite de ces jugements et l’ancien Grand Rabbin ashkénaze d’Israël Yona Metzger s’était même rendu à Berlin en août dans le but d’obtenir des explications. Ces atteintes au droit religieux ont été évoquées dans la décision du tribunal rabbinique de Netanya. Les juges de cette cour avaient laissé entendre que face aux attaques médiatiques contre la brith mila dans de nombreux pays d’Europe, le peuple d’Israël se devait malgré tout de rester unanime contre ces sentences assimilables à nouvelle démonstration d’antisémitisme.
Quoi qu’il en soit, cette affaire risque de continuer à faire grand bruit, certains grands médias internationaux comme The Guardian ou le Daily News et même la télévision russe, s’étant déjà intéressés à ce jugement. De nombreux groupes de soutien à Elinor ont déjà vu le jour. Un groupe Facebook favorable à la mère de famille a d’ores et déjà rassemblé près de 1 800 membres. Des manifestations ont déjà été organisées à Tel-Aviv pour soutenir cette cause, ainsi qu’à New York devant le consulat israélien. Un système de dons particulièrement suivi a été mis en place pour aider Elinor, actuellement sans ressource et au chômage, en cas de « dégel » de la sanction rabbinique. Enfin, une pétition dénonçant l’obligation légale de la circoncision a déjà rassemblé près de 34 000 signatures. Cette jurisprudence à venir risque de s’avérer fondamentale pour le devenir de l’Etat hébreu « juif et démocratique », 40 % de ses concitoyens se déclarant non-religieux et hostiles à l’emprise des tribunaux rabbiniques. Mais la question reste avant tout de savoir si un rituel fondamental du peuple juif pourra résister à l’ère postmoderne.
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