La manne touristique du quartier juif de Cracovie

Décimée par la Shoah, la communauté juive polonaise renaît aujourd’hui. Au bonheur des commerçants de Kazimierz…

P20 JFR 370 (photo credit: SARAH LALOU)
P20 JFR 370
(photo credit: SARAH LALOU)

L’histoire des Juifs de Pologne est aussi longue que douloureuse. Le premier Juif inscrit à Cracovie a laissé ses traces dès 965, mais la vie juive polonaise a été mutilée par la Shoah. La moitié des 6 millions de Juifs assassinés provenait de Pologne. Pourtant, à Kazimierz, l’ancien quartier juif de Cracovie, un renouveau juif fleurit aujourd’hui et s’organise autour du Centre communautaire de Cracovie (JCC), ouvert en avril 2008.

 

La légende veut qu’au XIVe siècle, le roi Casimir III, dit Casimir le Grand (Kazimierz Wielki), tombe éperdument amoureux d’une belle juive, Esther, à Kazimierz Dolny. Une bienveillance envers les Juifs est née lors cette période, permettant à la communauté de se développer dans un climat favorable. La Shoah est cependant parvenue à anéantir quasiment tous les Juifs de Pologne. Justin Kadis, directeur des relations extérieures du Centre communautaire de Cracovie, explique : « Jusqu’au début de la Seconde Guerre mondiale, la Pologne a été considérée comme la plaque tournante de la communauté juive mondiale. La communauté a prospéré, pour finalement atteindre 3,3 millions en 1939. Malheureusement, la communauté juive polonaise a été dévastée par la Shoah. Au cours des deux premiers mois de la guerre, 20 000 Juifs ont été assassinés, et au moment où la Pologne a été libérée, 85 % de la communauté juive avait péri ». Peu de Juifs ayant survécu à la Shoah sont restés en Pologne : ils ont émigré en nombre en Israël dès la création de l’Etat, d’autres sont allés trouver asile en France. Aujourd’hui, seules quelques poignées de Juifs vivent encore à Cracovie. Ce qui n’a pas empêché l’ancien quartier juif de devenir un haut lieu touristique.

 

 

Un tourisme controversé

Au cœur de Kazimierz, la place principale rappelle aux passants que 65 000 Juifs de la ville et ses environs ont été tués par les nazis durant la Shoah. Ce monument du souvenir, solennel, ferait pourtant presque fausse note, face à l’ambiance environnante. Des voiturettes proposent des visites guidées en plusieurs langues. Des cafés et restaurants à terrasses, une musique typique ashkénaze qui rappelle le film Un violon sur le toit, et des établissements portant des noms juifs emblématiques, ont élu domicile autour du monument. Comme le café « Ariel », dont l’enseigne porte soigneusement un style de lettre hébraïsée. Ou le restaurant « Hamsa », qui affiche à son entrée une immense main de Fatma renfermant un « Haï ».

 

Qui tient donc ces établissements d’un goût incertain, ne différenciant même pas les cultures ashkénazes et séfarades ? Des Polonais non juifs, qui ont développé le tourisme de Cracovie en réduisant la culture juive à une approche superficielle, flirtant avec le kitch. La référence à une disneylisation de l’ancien quartier juif est souvent lancée pour définir les anciens lieux.

 


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Les 7 synagogues sont encore ouvertes, mais à des publics différents. Quelques-unes ont gardé leur fonction de lieu de prière pour les Juifs, comme les synagogues Remuh et Tempel. D’autres sont devenues des musées pour touristes. C’est le cas de la vielle synagogue orthodoxe, transformée en témoin fantôme de la vie juive d’avant-guerre. On y entre avec un sentiment d’effroi, en gardant à l’esprit que quelques décennies ont fait d’une synagogue active un musée d’Histoire.

 

Si certains voient dans ce tourisme gênant une démarche purement lucrative, d’autres expliquent qu’il permet au quartier juif de survivre à l’oubli et à l’abandon. Les galeries de Judaica font découvrir aux touristes un pan de l’art juif. Le Festival de la culture juive à Cracovie, plus grand festival de ce type en Europe, séduit chaque année des musiciens et touristes du monde entier, pour une semaine de grande fête. Kazimierz serait même devenu le nouveau rendez-vous des artistes et des étudiants polonais.

 

Daniela Malec Korin est née à Varsovie et a vécu sept ans à Cracovie, avant de s’installer à Tel-Aviv. Très impliquée dans la vie communautaire de la ville lorsqu’elle y vivait, elle a connu personnellement plusieurs propriétaires de ces restaurants. Daniela explique que ces Polonais préservent malgré tout la mémoire de la culture juive : « Biens sûr, certains pensent aux bonnes affaires qu’ils font, mais ceux que je connais s’intéressent profondément à l’histoire des Juifs de Pologne. L’un d’entre eux possède, juste en face de son restaurant, une librairie et publie même des livres extraordinaires écrits par des Juifs, que personne d’autre ne veut publier. Il n’est pas juif lui-même, mais est passionné par la culture juive », explique-t-elle. Daniela aborde également la responsabilité des Polonais, ajoutant : « Les Polonais ne se sentent pas responsables de la disparition des Juifs, ils blâment uniquement les Allemands. Les Polonais de Kazimierz pensent, eux, qu’ils ont la responsabilité de faire revivre le quartier comme il l’était avant, sans prétention, ils savent bien que le quartier ne ressemble plus à ce qu’il était. Certains ne sont pas très cultivés et ont une approche superficielle, mais ils essaient ». Ce tourisme discuté n’est cependant pas le seul recours à la préservation de l’héritage juif de Cracovie. Tout près de ces établissements, dans le quartier juif, le Centre communautaire travaille à la reconstruction d’une vie juive.

 

Une vie juive renaissante

Le nombre actuel de Juifs en Pologne fait l’objet de débats. Selon Justin Kadis du JCC, « le Congrès juif mondial estime qu’aujourd’hui, seulement 5 000 Juifs restent en Pologne. Des indices indiquent toutefois que ce nombre est en fait beaucoup plus conséquent, et qu’il pourrait y avoir plus de 100 000 Juifs dans le pays. La différence vient du fait que la majorité des Juifs qui ont survécu à la guerre et sont restés en Pologne, ont vécu dans la clandestinité pendant la période difficile du communisme ». Mais avec la chute du régime soviétique en 1989, le judaïsme connaît un renouveau culturel, social et religieux. Beaucoup de Polonais découvrent être issus de familles juives qui s’étaient assimilées en raison des campagnes antisémites du régime communiste.

 

D’autres sont les descendants d’« enfants cachés », qui se sont soustraits aux camps de concentration. Ces orphelins ont pu être sauvés en trouvant refuge dans des couvents ou des familles catholiques, qui leur enseignaient les prières chrétiennes afin de tromper les nazis. Le traumatisme de la Shoah a également empêché de nombreux survivants de révéler leur identité juive après la guerre. Leurs enfants, descendants directs de rescapés de la Shoah, ne savent en général rien de leurs origines juives, et constituent la génération perdue. « Il relève de notre mission, au Centre communautaire de Cracovie, de trouver ces Juifs et les accueillir. Nous avons plus de 500 membres avec des racines juives. Nous définissons quelqu’un comme ayant des racines juives si au moins un de ses grands-parents est juif », explique le directeur des relations extérieures du Centre communautaire. Israël a adopté le même critère pour mettre en place la Loi du Retour de ses Juifs. « Nous pensons qu’il y a encore beaucoup plus de personnes avec des racines juives à Cracovie », ajoute Kadis avec espoir et optimisme.

 

En plus de ses 500 membres, le JCC compte 40 bénévoles non juifs, que la culture juive attire. Justin Kadis affirme que « tous sont les bienvenus au JCC, des tout-petits aux survivants de l’Holocauste, ceux qui sont activement engagés et ceux qui ont tout juste commencé à redécouvrir leurs racines juives ». Le centre organise par exemple des dîners de Shabbat, qui sont devenus très populaires, et permettent aux membres de la communauté de se réunir et de partager l’expérience d’un dîner le vendredi soir, qui, sans le JCC, serait inimaginable. Les activités sont aussi diverses qu’intéressantes : des cours d’hébreu, d’arabe, d’allemand, ou yiddish, mais aussi des séances de yoga pour les personnes âgées, des ateliers de cuisine, des expositions d’art, et des projections de films. Le rabbin Avi Baumol, au Centre communautaire depuis septembre 2013, anime également une classe de conversion.

 

En quelques années, le Centre aura donc réussi le pari de rassembler les Juifs de Cracovie. Une lutte pour un retour à l’identité et une renaissance après le chaos, dans un esprit très juif. u

 

Le Centre communautaire de Cracovie présente ses activités sur son site internet

www.jcckrakow.org, ainsi que sur sa page Facebook.

 

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