Poutine, l’Ukraine et les Juifs, sans langue de bois

J’ai fait personnellement l’expérience de l’antisémitisme sauvage de la région à la faveur de contacts directs avec les hautes autorités dans le cadre d’une campagne pour libérer les Juifs soviétiques. Il y a trente ans, jamais je n’aurais imaginé soutenir un jour des relations plus étroites entre Israël et la Russie.

Antisemitisme (photo credit: GLEB GARANICH/REUTERS)
Antisemitisme
(photo credit: GLEB GARANICH/REUTERS)

 

Tant en Ukraine qu’en Russie, une proportion importante de la population continue à haïr et craindre les Juifs. Pourtant, aujourd’hui, il est presque surréaliste, en particulier si l’on se rappelle la contribution majeure des dissidents juifs soviétiques à la chute de l’Empire du Mal, d’observer le président Poutine, l’ancien fonctionnaire du tout-puissant KGB, afficher ouvertement son amitié envers les Juifs et Israël.

Ne nous méprenons pas. Ni la Russie ni l’Ukraine ne sont des démocraties. Très relativement, la corruption et la xénophobie qui dominent actuellement en Ukraine sont plus extrêmes que dans la Russie de Poutine qui, lui, combat les antisémites. A plusieurs reprises, le président russe a fait des gestes amicaux envers la communauté. Octroyé, par exemple, 50 millions de dollars prélevés sur des deniers de l’Etat pour financer un musée et un centre de tolérance juive à Moscou. Et à titre personnel, il a fait don du montant d’un mois de son salaire, geste symbolique fort, faisant fi d’acteurs antisémites puissants qui sévissent dans les hautes sphères de la société russe.
Poutine est un nationaliste et sa motivation première est de restaurer la Russie comme puissance mondiale. Ce qui l’a conduit à intervenir en Géorgie et maintenant en Ukraine, en réaction à ce qu’il considère comme une intrusion menaçante de l’OTAN dans sa sphère d’influence et sur ses frontières. Les Russes comparent cette réaction à celle de Kennedy en 1962, suite aux efforts de Khrouchtchev de déployer des missiles à Cuba.

Un antisémitisme ancré

L’Ukraine, tout comme la Russie, a une longue histoire d’antisémitisme virulent. Elle remonte aux pogroms de Khmelnitsky en 1648, jusqu’à l’affaire Beiliss (accusé de crime rituel), aujourd’hui encore un sujet de discorde entre de nombreux Ukrainiens. Sans oublier la guerre civile russe, où des dizaines de milliers de Juifs ont été massacrés.

La communauté juive ukrainienne, estimée à environ 200 000 âmes, a de bonnes raisons d’avoir peur. Depuis son indépendance en 1991, l’Ukraine a donné naissance à de florissants partis de droite xénophobes, soupçonnés d’avoir mené la révolte contre la corruption qui a conduit à la destitution du président Viktor Lanoukovitch. D’un poids électoral de 10 % seulement, ce sont de véritables néonazis sur fond de symbole de croix gammée, ouvertement antisémites.
Les gouvernements ukrainiens successifs ont ignoré ou toléré leurs activités extrémistes et n’ont fait aucun effort pour les traduire en justice. Oleh Tyahnybok, chef de Svoboda, la plus grande faction extrémiste de la droite nationaliste, forte de 37 sièges, a appelé à libérer l’Ukraine de la « Mafia moscovite juive » et traite ses adversaires de « Yid ». Son adjoint, Yuri Mykhalchyshyn, a fondé un think tank d’abord appelé « Centre de recherche politique Joseph Goebbels ». Les militants du parti ont fait circuler des traductions de Mein Kampf et des Protocoles des Sages de Sion. Ils vénèrent Stepan Bandera, en son temps allié de l’Allemagne nazie, dont les milices ont assassiné des dizaines de milliers de Juifs. Leur antisémitisme décomplexé a conduit à la profanation de synagogues et à des actes de violence brutale contre les Juifs.
Dans le souci de se présenter comme modéré, Dimitri Yarosh, leader du « Secteur Droit », un parti ultranationaliste et actuellement sous-directeur du Conseil de sécurité de l’Ukraine et candidat à la présidence, a tenté de prendre ses distances avec l’antisémitisme. Il a même ouvert une ligne téléphonique avec l’ambassadeur d’Israël à Kiev. Mais Yarosh, expert renommé des bombes incendiaires, a indiqué ne pas avoir l’intention de dissoudre ses unités paramilitaires toutes de noir vêtues.

Jouer avec le feu


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Il n’est pas étonnant que le président Poutine exploite ces groupes fascistes et antisémites ukrainiens pour discréditer le nouveau gouvernement.

Problème : un certain nombre d’oligarques juifs ukrainiens et une unité de défense juive connue sous le nom de « Vaad », affirment avec insistance que l’antisémitisme ne représente aucune menace et qualifient Poutine de menteur. L’un de leurs « rabbins », le rabbin Yaacov Bleich, un Hassid de New York du mouvement Karliner-Stoliner, a même accusé les Russes de s’habiller en nationalistes ukrainiens pour se livrer à des provocations violemment antisémites. Bleich a également minimisé l’influence des partis antisémites dans le nouveau gouvernement, prétendant avoir reçu l’assurance que la sécurité des Juifs serait assurée.
Mais les Juifs qui s’engagent dans la vie politique d’un pays instable où les gouvernements successifs tolèrent ou ignorent les groupes antisémites nationalistes jouent avec le feu. Le rabbin Reuven Azman, du mouvement Habad, a donné un conseil judicieux à sa communauté : quitter le pays. Puis, sous pression, il a été obligé de dire aux médias qu’il n’y avait pas eu à sa connaissance « de nouveaux actes antisémites depuis la chute de M. Lanoukovitch ».
Malgré les efforts de l’administration Obama pour condamner la Russie, Israël évite toute prise de position.
Et Poutine continue de clamer son respect des Juifs et d’afficher son amitié envers Israël. Il a déjà fait deux visites d’Etat à Jérusalem, la plus récente juste après sa réélection en juin 2012. Il a exprimé sa fierté à plusieurs reprises aux anciens Russes qui forment le plus grand groupe d’immigrants en Israël. Il a visité le Kotel, s’est même couvert la tête d’une kippa, ce qui a dû faire se retourner dans leur tombe ses prédécesseurs bolcheviks. Il semblait totalement indifférent au fait que cela ait indigné des groupes islamiques en Israël et à l’étranger.

Les intérêts d’Israël d’abord

Pour autant, cela ne signifie pas que Poutine soit philosémite. C’est avant tout, un nationaliste russe. Ce qui ne fait pas de lui un allié. Il a fourni des armes mortelles à ceux qui cherchent à nous détruire et il est considéré comme un soutien de l’Iran et de la Syrie. Pourtant, il est aussi beaucoup plus réaliste et pragmatique que le président Obama et ne se fait aucune illusion sur la menace que représente le fondamentalisme islamique pour son pays. Il doit également être préoccupé par les répercussions qu’aurait un Iran nucléaire sur la Russie.

C’est la politique étrangère désastreuse du président Obama qui a ouvert la voie à la Russie, lui permettant de réaffirmer son pouvoir sur la scène politique moyen-orientale comme à l’apogée de la guerre froide. En soutenant les Frères musulmans, les Américains se sont aliéné l’Egypte, qui semble maintenant avoir également rejoint le camp russe. Contrairement à Obama, dont les partenaires ne se sentent plus soutenus, Poutine a démontré sa capacité à s’engager pour venir prêter main-forte à ses alliés.
Par conséquent, nos dirigeants communiquent avec Poutine sur une base régulière et cherchent à le convaincre du danger que représentent les pays islamiques radicaux. Certes, nous restons très fortement tributaires de l’appui des Etats-Unis et surtout chérissons notre alliance et les valeurs démocratiques que nous partageons avec le peuple américain. Pourtant, nous sommes également contraints de développer des relations avec des pays non démocratiques, voire autoritaires comme la Chine. Il est donc clairement dans notre intérêt national, sans se faire d’illusions et sans devenir d’aveugles idéalistes, d’entretenir des liens avec une Russie dont le chef semble avoir considérablement rompu avec des siècles d’antisémitisme tsariste et bolchevique et qui affiche maintenant son amitié envers le peuple juif.