En négociation,tout peut servir de monnaie d’échange. C’est ce qu’a écrit, en substance,Robert A. Steinberg dans The Game of Negotiation (Le jeu de la négociation). Etc’est ce qui semble guider la politique américaine au Proche-Orient cesderniers temps.
Il y a quelquessemaines, le secrétaire d’Etat américain John Kerry, interviewé à la télévisionpar un duo de journalistes israélo-palestinien, menaçait Israël d’une troisièmeintifada si les pourparlers avec les Palestiniens échouaient, stigmatisait lesimplantations, et témoignait de son impatience devant la demande israélienned’une présence sécuritaire le long du Jourdain. Vint ensuite l’accordintérimaire des P5 + 1 avec l’Iran, qui a enhardi la Républiqueislamique, lui permettant de bénéficier à nouveau d’une légitimité à l’échelleinternationale. Crise dans les relations américano-israéliennes, Israël endéduisant qu’il ne bénéficiait plus du soutien inconditionnel de son alliéquant à l’assurance de sa sécurité et qu’il ne pouvait compter que sur lui-même.
Jeudi 5 décembre,John Kerry en visite en Israël et dans les Territoires paraissait cependantavoir quelque peu changé de cap. Une attention toute particulière a étéaccordée aux problèmes de sécurité israéliens.
Le plan Allen,une première
Le secrétaired’Etat a ainsi annoncé à la presse avoir présenté aux deux parties un planincluant de nouvelles idées sur les questions sécuritaires. Un plan élaborégrâce aux analyses du général américain à la retraite John Allen, que Kerrydécrit comme l’un des chefs militaires américains les plus expérimentés.L’ancien militaire a été désigné par le président Barack Obama pour évaluer lesmenaces potentielles que poserait un futur Etat palestinien à Israël et à larégion, puis pour parvenir à des compromis sur les questions sécuritaires, quipourraient alors être appliqués dans le cadre plus global d’un accord de paix.
L’introduction deces idées américaines dans les négociations est une première dans l’histoire duprocessus de paix. Elles présagent d’une approche plus musclée de la part de laMaison-Blanche. Car ce plan vise l’un des points de blocage majeurs : lerejet palestinien de la demande israélienne visant à maintenir une présencemilitaire permanente le long du Jourdain. Et ce même en cas d’un traité.
« ReconnaîtreIsraël comme Etat juif »
Contrairement àsa dernière visite, Kerry s’est abstenu de toute allusion aux implantationslors de ses multiples déclarations suite aux entretiens avec, respectivement,Netanyahou et Abbas. Chose importante, il a également précisé qu’un accord depaix devra « reconnaître Israël comme Etat juif » et lui permettred’être un pays « capable de se défendre par lui-même ».
Après sarencontre avec Mahmoud Abbas à Ramallah, John Kerry a déclaré aux journalistesque des progrès avaient été faits sur ces questions de sécurité, sans plus dedétails. « Les intérêts sont très proches, mais il reste des questions desouveraineté, de respect et de dignité, qui sont évidemment importantes pourles Palestiniens ; et quant aux Israéliens, des questions de sécurité etaussi sur le long terme, relatives à la résolution du conflit une bonne foispour toutes », a ajouté le secrétaire d’Etat.
Si cela nesuffisait pas, Kerry a persisté en affirmant que le lien entre les Etats-Uniset Israël était « incassable », et que malgré les différencestactiques occasionnelles entre les deux pays, la stratégie à long terme pour lasécurité d’Israël et la paix dans la région demeure la même. De son côté, Obamaa réitéré ces garanties, spécifiant que cette ligne resterait constante, quelque soit l’occupant du bureau ovale. On sait néanmoins qu’Allen a suggéré,outre ce contrôle israélien sur le Jourdain dans un futur proche, un contrôleconjoint israélo-palestinien sur les passages frontaliers. Il a également brieféNetanyahou sur des concepts sécuritaires variés.
Non à une« réplique de Gaza »
Cette opération« regain de la confiance » s’est poursuivie avec le Forum Saban àWashington ce week-end. Un événement annuel entre les leaders américains etisraéliens organisé par le Centre Saban pour la politique du Moyen-Orient. Leprésident Obama y est intervenu devant un public composé des principaux membresdes corps diplomatiques israéliens et américains, dont la ministre de laJustice Tzipi Livni et le ministre des Affaires étrangères Avigdor Liberman.Pour Barack Obama, un accord entre Israël et l’Autorité palestiniennenécessitera une période de transition. Et ce parce qu’il sera probablementrestreint dans un premier temps à la Judée-Samarie, avec l’espoir que lesGazaouis se rendent compte des bénéfices et fassent pression sur leursdirigeants pour que ces derniers y prennent part. Car « Israël ne peut sepermettre d’avoir une réplique de Gaza en Cisjordanie, c’estinacceptable », a martelé le président.
Tout en cherchantà tranquilliser l’auditoire au sujet de l’accord intérimaire de Genève, JohnKerry y a, pour sa part, indiqué qu’Israël faisait face à deux menacesexistentielles : l’Iran et « la bombe à retardementdémographique », autrement dit la question palestinienne. Cettejuxtaposition des deux conflits, avait pourtant été réfutée par un hautfonctionnaire américain ces derniers jours devant la presse, quand celui-ciavait prétendu que Genève n’aurait aucun impact sur le processus diplomatiqueisraélo-palestinien.
En conclusion,John Kerry a estimé que si « Israël doit être fort pour faire lapaix » (entendez, Israël ne doit pas craindre pour sa sécurité), « lapaix rendra Israël plus fort ». Une observation qui résume bien lechassé-croisé américain sur ces questions.
Netanyahou appelle les Palestiniens à « cesser decréer des crises artificielles »
Les réactions officielles ne se sont pas fait attendreaprès la dernière visite de John Kerry. Dans un communiqué publié après sarencontre avec le chef de la diplomatie américaine, Abbas a expliqué quel’objectif était « d’atteindre une paix basée sur la solution à deux Etatset l’établissement d’un Etat palestinien dans les frontières de 1967 avecJérusalem pour capitale ». Aussi, il a averti que la construction continued’implantations dans les Territoires et à Jérusalem-est pourrait « saperles efforts faits par l’administration américaine d’atteindre des résultatspositifs dans ces négociations ». Le négociateur en chef de l’OLP, Erekat,a déclaré que la situation restait « très difficile » et que« les problèmes étaient toujours très compliqués ». Le comitéexécutif de l’Autorité palestinienne a en effet rejeté, dimanche, le planaméricain (voir ci-dessous) au motif qu’il « ne ferait que prolonger etentretenir l’occupation ».
De son côté, suite au premier de ses trois meetings avecKerry, Netanyahou a dit qu’« Israël était prêt pour une paixhistorique ». Il a appelé les Palestiniens à cesser de créer des crisesartificielles et a souligné, sous-entendant la ritournelle habituelle au sujetde la construction d’implantations, qu’Israël honorait « tous lesarrangements » préalables aux pourparlers actuels.
Au Forum Saban, Liberman n’a pas partagé l’enthousiasmede Kerry. Il n’est pas certain qu’il soit possible de combler le fossé entreIsraël et les Palestiniens et d’aboutir ne serait-ce qu’à un accord intérimairedans l’année à venir. Les différences sont profondes, a-t-il dit, ajoutant quele principal était la confiance. Pour illustrer son propos, il a noté qu’« Abbasne représentait pas le peuple de Gaza », et qu’il n’était « pas sûrqu’il ait une majorité en Judée-Samarie ». Pourtant, il a reconnul’importance de la poursuite du dialogue et déclaré « apprécier réellementtous les efforts du secrétaire Kerry pour garder ce processus vivant ».Tout en relevant l’importance de « penser à la coexistence », il amis en garde : « Si vous suscitez des attentes et que vous neréussissez pas, vous récoltez de la déception et de la frustration, puis de laviolence ».
Dimanche, à la conférence du Globes Israel Business àTel-Aviv, Yaïr Lapid (Yesh Atid) qui a lancé un pavé dans la mare en annonçantsouhaiter pousser en avant le processus de paix, « même si cela doitnécessiter une refonte de la coalition d’une manière ou d’une autre ». Etpar-là, il pointait à nouveau du doigt le parti HaBayit HaYehoudi. Il va sansdire que le leader de l’opposition, Itzhak Herzog (Avoda), s’est félicité decette déclaration, à l’instar du ministre de la Protection de l’environnementAmir Peretz (parti de Tzipi Livni). Le Premier ministre n’a pas fait cas decette sortie de Lapid, restant à sa place de chef de la coalition.
S. B.
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