L’homme d’une mission. C’est ainsi que l’on pourrait définir Frank Melloul. Car celui qui a officié comme directeur stratégique et du développement au sein de l’Audiovisuel extérieur de la France est aujourd’hui à la tête d’un projet d’envergure : doter Israël d’un outil d’influence pour contribuer à son rayonnement culturel et politique. « Un challenge qu’on ne peut pas refuser », dit-il simplement.
L’idée : lancer une chaîne d’informations internationale, produite en Israël et qui va émettre depuis Tel-Aviv. Une première, explique Melloul, car pour l’heure, l’Etat juif n’est doté d’aucune chaîne toute info, pas même en hébreu. C’est son expérience de France 24 qui a amené Patrick Drahi - actionnaire de Numéricable et patron de Hot, opérateur de câble israélien - à lui proposer ce pari calqué sur le modèle de CNN, BBC ou Al-Jazeera.
Le moyen, pour Melloul, de connecter Israël au monde et le monde à la réalité israélienne. « Créer une réciprocité, un échange entre ceux qui nous regarder et ceux qui émettent ». Son credo ? S’adresser à ceux qui sont hors d’Israël. Il a donc choisi trois langues de diffusion – le français, l’anglais et l’arabe – et non pas l’hébreu. « Pour porter un message, il faut qu’il soit entendu », explique-t-il, « et pour être entendu il faut qu’il soit compris, la langue est donc essentielle, elle est stratégique ».
Trois langues pour un message. Trois rédactions symétriques pour une même ligne éditoriale, « ni de gauche, ni du centre, ni de droite, mais pour Israël ». Car aujourd’hui, estime Melloul, l’une des plus grandes menaces qui pèsent contre l’Etat juif n’est autre que la campagne de déligitimation, qui atteint la sécurité même du pays. « Si vous ne reconnaissez pas à un Etat le droit de vivre, comment pouvez-vous lui reconnaître le droit de se défendre ? » Et face à cela, l’arme la plus efficace, selon lui, n’est autre que la télévision, les images, qui conditionnent la perception.
Tout est question de story-telling
S’ouvrir sur le monde pour lui apporter le regard que pose Israël sur ce qui se passe à l’extérieur de ses frontières.
Montrer que l’Etat hébreu existe et que ses habitants s’intéressent à l’actualité internationale. Imposer une crédibilité. Et cela passe par le traitement de l’information, note Melloul, « car aujourd’hui, tout est story-telling ».
Il explique : si on prouve au monde qu’en matière de santé, société, d’économie, d’environnement, de culture, les Israéliens pensent comme lui, alors peut-être sera-t-il davantage enclin à croire Israël quand ce dernier traitera de politique régionale.
La nouvelle chaîne – dont le nom n’a pas encore été dévoilé, mais se prononcera en français, anglais et arabe – proposera donc 70 % d’actualités internationales, et 30 % d’infos moyen-orientales, dont israéliennes.
Les cibles ? L’Europe, l’Afrique et le Moyen-Orient dans un premier temps. Trois zones géographiques importantes en termes de populations, mais aussi en ce qui concerne leur approche sur Israël, pétrie de préjugés, estime Melloul. Puis dans un second temps, l’Amérique et l’Asie, des marchés plus compliqués en termes de distribution.
La question qui se pose alors, est : auront-ils envie de regarder cette chaîne ? Oui, par curiosité, répond Melloul sans hésiter. « On est tous attiré par ce qui nous horripile. Je sais que nous aurons une forte audience, car le monde va chercher à nous observer pour savoir ce qu’on pense et ce qu’on dit », affirme celui qui déclare avec un brin de provocation vouloir créer un média pour « ceux qui nous détestent ».
« Mais je ne suis pas un idéologue », ajoute-t-il plus sérieusement, « je veux surtout toucher ceux qui doutent, et ceux-là, il y en a de plus en plus. Peutêtre réussirons-nous à en amener quelques-uns vers nous ».
Accompagner les images
Tendre la main vers l’extérieur, pour qu’Israël ne se renferme pas sur lui-même. S’inscrire dans la globalité pour montrer que l’Etat hébreu ne s’occupe pas seulement de ce qui se passe chez lui, mais s’inscrit dans le reste du monde. Et Melloul de pointer du doigt des années de mauvaises stratégies de communication : l’Etat juif, convaincu d’être détesté, se refusait à perdre du temps pour de toute façon finir par être critiqué. « Je pense l’inverse », poursuit-il, « plus on nous critique, plus il faut marteler. Plus on veut nous effacer, plus il faut exister ». Et le simple fait de diffuser, c’est déjà exister, note-t-il.
Un outil de diplomatie publique en quelque sorte. Mais Melloul se refuse à toute accusation de propagande. Et de clamer l’indépendance totale de la chaîne, bénéficiaire d’aucune subvention d’Etat et financée exclusivement par des fonds privés. Un atout pour celui qui a été évincé de la direction de l’Audiovisuel extérieur de la France par le nouveau gouvernement Hollande.
Melloul insiste sur la vocation de son projet : combattre les préjugés en toute impartialité. « Parce que les préjugés se fondent sur l’ignorance. Cette chaîne doit contribuer à informer ceux qui ignorent la réalité d’Israël. L’Etat hébreu n’a jamais fait la démarche d’aller vers eux et ils baignent matin et soir dans des médias qui leur racontent l’inverse.
Donc ils se font une opinion à partir de ce qu’ils voient et entendent. » Aujourd’hui, les images sont les mêmes aux quatre coins de la planète, note Melloul. Alors, sa responsabilité en tant que patron de chaîne ? Apporter une autre grille de lecture.
Accompagner les images, qui, sinon, sont instrumentalisées par les extrémistes. « Et c’est comme cela que vous avez AQMI en Afrique et Al-Qaïda au Moyen-Orient et en Europe ».
Guysen, c’est une autre histoire
Une chose est sûre : Melloul ne veut créer ni une chaîne juive, ni une chaîne communautaire. Il insiste : il lance un autre concept, animé par d’autres ambitions, qui ne se revendique pas de la lignée de Guysen. Et de rendre bien sûr les hommages de circonstance à ses prédécesseurs, qui « ont fait un travail miraculeux avec de petits moyens ». Mais aujourd’hui, la volonté est ailleurs. « Guysen va s’éteindre, elle a déposé le bilan. Il faut rompre avec elle, car Guysen c’est une autre histoire. Et aujourd’hui, il y a une nouvelle histoire qui commence. » Une bonne partie de l’équipe, toutefois, devrait faire partie de la nouvelle grille de programmes, note Stéphane Calvo, directeur d’antenne du pôle français. Cela ne pose aucun problème, précise Melloul, « ces visages sont inconnus pour la nouvelle cible et seront rassurants pour les anciens téléspectateurs de Guysen. La seule chose que je leur ai demandé, c’est de garder leur esprit ‘pionnier’ ».
L’heure est donc au recrutement pour les trois rédactions, pour assurer les 24h de programmes quotidiens, à raison d’un journal de 10 minutes toutes les demi-heures, talk-shows et autres magazines. Quelques rediffusions, en journée, mais uniquement de « fresh-news », pointe Melloul, à l’instar de n’importe quelle chaîne de télévision. Avec une deadline en ligne de mire : émettre avant l’été 2013.
Mais le projet est-il pérenne ? Melloul rassure. Le vieux loup des médias n’en est pas à son coup d’essai. Le projet se chiffre à plusieurs millions d’euros, mis à disposition par Patrick Drahi, principal investisseur du projet, sur une durée de 3 à 4 ans. « Nous ne visons pas un retour sur investissement », pointe Melloul, mais voulons parvenir à un point d’équilibre où la chaîne pourra alors s‘autofinancer par ses ressources propres. La publicité, certes, mais aussi le sponsoring d’émissions, les revenus de distribution – les arrangements avec les câbles-opérateurs rapportent 50 % des recettes à la chaîne - et la vente de contenus.
La démarche n’est donc pas lucrative, mais vise à mettre sur pied une chaîne dynamique qui saura être compétitive face à ses consoeurs télévisuelles de l’info. Quant aux objectifs en termes de téléspectateurs, ils sont encore difficiles à dire.
« Après six ans de diffusion, France 24 touche aujourd’hui 40 millions de foyers par semaine ».
« Nous visons plus », affirme Melloul en souriant.
Homme de médias
Costume sombre et lunettescerclées, Frank Melloul, look d’homme d’affaires accompli, ne cache pas sonenthousiasme. La parole est posée, le verbe maîtrisé : il sait de quoi ilparle. La télé, c’est son dada depuis des années. Ce natif de Fribourg, enSuisse, à peine quarantenaire, va faire son aliya en famille début janvier, mupar son projet de chaîne internationale. Jusqu’en septembre dernier, il étaitdirecteur de la stratégie et du développement de l’AEF, Audiovisuel extérieurde la France (France 24, RFI, Monte Carlo et TV5). Puis candidat interne à laprésidence de l’institution, soutenu par les syndicats, mais désavoué par legouvernement Hollande sur son projet de complémentarité entre France 24 et RFI: « Ce n’était pas une lubie, mais c’est ce qu’on fait tous les médias internationauxcomme la BBC ou Voice of America. » Sa non-nomination ? Une quasi-évidence pource diplomate de formation, aux sensibilités politiques marquées pour avoiropéré dans les officines de droite, comme conseiller à la communication duPremier ministre Dominique de Villepin. « Je ne suis pas rentré dans les cabinetsministériels par militantisme politique », se défend-il pourtant, « mais on estvenu me chercher sur des questions techniques ». Une expérience accumulée nonnégligeable qui lui permet aujourd’hui de savoir « pourquoi on n’aime pasIsraël », et « où appuyer » pour rectifier le tir. Un grand écart pour celuiqui est à l’origine du succès de France 24. Passer d’un média étatiquefrançais, voix du Quai d’Orsay, connu pour ses positions critiques à l’égard d’Israël,à une chaîne qui se veut la vitrine de ce que pense l’Etat juif. « Quandj’étais en poste à France 24, j’ai beaucoup œuvré pour son objectivité, biensûr je ne suis jamais intervenu sur le contenu, mais je n’ai pas hésité à mefaire entendre », tient-il à préciser. « Sous ma période, le média étaitreconnu et a toujours reçu des retourspositifs des Américains et des Israéliens, tout en bénéficiant d’une forte audiencedans le monde arabe ». Un état de fait qui pourrait être amené à changer aujourd’hui? Oui, répond-il, « mais je n’espère pas ».