Charles Lewinsky est né en 1946 à Zürich. Il a étudié lalittérature allemande et le théâtre. Il vit actuellement en France. Dramaturge,scénariste, metteur en scène et romancier, il vient de publier Retourindésirable traduit de l’allemand par Léa Marcou. Elle avait également traduitpour lui Meinitz qui a reçu le prix du meilleur livre étranger en 2008. Meinitzou l’histoire d’une famille juive en Suisse de 1871 à 1939.
Retour indésirable a été publié en allemand sous le titre de Gerron. On auraittrès bien pu garder le même titre. Qui est Gerron ? Qui se souvient de lui ?Grâce à Charles Lewinsky, on va vite le savoir. Biographie, roman, témoignagede la Shoah, tout y est, dans ce livre.
Mais d’abord l’histoire de Gerron. Kurt Gerron, de son véritable nom KurtGerson, est né en 1897 à Berlin. Né de parents juifs, il abandonne ses cours demédecine pour devenir acteur en 1920. Parmi ses différents rôles, on leretrouve dans L’Ange bleu aux côtés de Marlène Dietrich en 1930. Hollywood luifait des propositions, mais il préfère continuer à travailler en Allemagne. Al’arrivée des nazis au pouvoir, il se réfugie en France, puis aux Pays-Bas oùil continue son travail d’acteur et de metteur en scène de théâtre. Arrêté auxPays-Bas, il est interné au camp néerlandais de transit Westerbork avant d’êtredéporté vers le camp de concentration de Theresienstadt.
Un peu d’histoire pour bien comprendre ce récit.
Theresienstadt est un camp mis en place par la Gestapo en 1940 dans la ville deTerezin, aujourd’hui en République Tchèque. Dès 1941, le site est transformé enghetto muré pour ne pas apercevoir l’extermination des juifs. La fonction deTheresienstadt évolue rapidement quand Goebbels prend conscience que ladisparition de certains juifs renommés ne manquerait pas de susciter des questionsquant au sort réservé au peuple juif tout entier. En 1943, 500 juifs duDanemark sont déportés à Theresienstadt. Cette arrivée aura une conséquenceimportante : le gouvernement danois insiste pour que la Croix-Rouge ait accèsau camp, à l’inverse des autres gouvernements européens… Les nazis autorisentla visite de la Croix-Rouge pour faire taire les rumeurs à propos d’un campd’extermination. Pour minimiser la surpopulation, un grand nombre de juifs sontdéportés à Auschwitz, de faux magasins et cafés sont construits, les peinturesrefaites (pour les Danois). Les invités assistent même à une représentation.
Environ 144 000 juifs ont été déportés à Theresienstadt, 33 000 sont morts aucamp à cause des conditions de vie, 80 000 furent déportés à Auschwitz. A salibération on comptait un peu près 19 000 survivants.
Un réalisateur juif pour un film de propagande qui ne sera finalement jamaisdiffusé
Dans Retour indésirable, Charles Lewinsky nous raconte le destintragique, horrible de Gerron. Le commandant du camp Karl Rahm, sur une idée deGoebbels demande à Gerron la réalisation d’un film de propagande faisant croireque ce camp était un rêve pour tous les Juifs. On y montrerait une vieidyllique où tout bien sûr serait faux.
Ça, c’est la vérité historique. Le roman raconte les quelques jours où Gerrondoit donner sa réponse à cette demande des nazis. Il s’y remémore toute sa vie,son enfance avec son grand-père qui lui racontait toute une multituded’histoires sur le monde et la vie ; ceci lui donna certainement son envie defaire de la scène. La guerre de 1914-1918 où l’on découvre la guerre côtéallemand. L’entre-deux-guerres et la montée du nazisme. Pour Gerron, « nousavons effectué notre ascension ensemble, les nazis et moi. Je suis devenu célèbre,ils sont arrivés au pouvoir. Par la faute de ceci, je n’ai pas vu cela. » Laquestion : faire ce film et mentir sur la vérité. Mais Gerron est acteur,metteur en scène. Ce serait du théâtre, un décor fictif. Faire un film gai, uneimage de vie heureuse, et surtout une promesse de vie. Ne pas le faire, c’estdirection Auschwitz sans retour.
Pourquoi Gerron accepte-t-il de tourner ce film ? C’est la question et ledépart de ce roman. Le pacte que conclut Gerron livrera à jamais au monde uneimage ignoble et mensongère, déformera la vie qu’il a connue à l’intérieur deTheresienstadt, bafouera la souffrance et l’horreur vécues par tant de milliersde gens. Son film sera une trahison, jusque dans la promesse de lui valoir lavie sauve.
Alors Gerron décide de faire ce film. Il s’appellera Le Führer offre une villeaux juifs. Si Gerron accepte de faire ce film scandaleux, c’est qu’il voulaitêtre lui-même jusqu’au bout, c’est-à-dire un artiste, un acteur, et surtout unmetteur en scène. Le tournage démarra le 26 février 1944. Le film n’a jamaisété diffusé à l’époque, mais découpé en petits morceaux destinés à lapropagande. Seuls quelques fragments sont encore visibles aujourd’hui.
Je finirais par la dernière ligne du roman où Gerron parle de lui : « Je suis unpassé révolu. Même s’ils avaient écrit toute mon histoire, du début à la fin,personne ne la croirait. » Mais grâce à Charles Lewinsky, c’est faux, on sesouviendra de Gerron, et de sa vie. Merci, Monsieur Lewinsky.
CharlesLewinsky, Retour indésirable, Editions Grasset, 2013.