Combat sur la toile

Les blogueurs pro-israéliens s’acharnent à mettre les pieds dans le plat.

P10 JFR 370 (photo credit: Flash 90)
P10 JFR 370
(photo credit: Flash 90)

En ce débutd’après-midi du 9 août 2001, les mots de « terrorisme palestinien » ont pris unsens terriblement personnel pour Arnold et Frimet Roth. Ce jour-là, Malki, leurprécoce fille de 15 ans, déjeunait avec une amie à la pizzeria Sbarro ducentre-ville de Jérusalem quand un terroriste du Hamas a actionné sa ceintured’explosifs truffée de clous au milieu du restaurant bondé, faisant 15 morts,dont Malki, son amie et cinq autres adolescents.

Malki jouait de la flûte, écrivait des chansons joyeuses sur la vie, animait ungroupe d’enfants de 9 ans dans un mouvement de jeunesse et prenait soin, avecbeaucoup d’affection, de sa petite sœur aveugle et handicapée à la maison. Surl’écran de son téléphone portable, retrouvé dans les décombres de la pizzeria,Malki s’était écrit une note pour elle-même : « Ne jamais dire du mal des gens»… La nouvelle du massacre a fait la une de l’actualité internationale pendantquelques jours, puis est passée au second plan pour disparaître bientôt destitres des journaux et de la mémoire collective. Malki et les autres Israéliensassassinés sont vite devenus des chiffres grossissant les statistiques dans lebilan toujours en hausse des victimes de la seconde Intifada.
Pas pour les Roth toutefois. Le couple originaire d’Australie et desEtats-Unis, qui avait immigré en Israël avec ses enfants en 1989, a honoré lamémoire de sa fille de deux façons distinctes : en créant l’association KerenMalki, qui procure matériel et assistance à domicile pour les enfants souffrantde lourds handicaps, aidant des familles souvent défavorisées et marginaliséesdont un tiers sont arabes. Et deuxièmement, Arnold et Frimet ont créé un blog.
« Malki était une enfant extraordinaire et on nous en a privés », déclareArnold, juif orthodoxe originaire de Melbourne, avocat et conseiller juridiquepour des start-up israéliennes. « Cette expérience nous a galvanisés. Aprèsl’attentat, nous étions en état de choc, mais nous ne voulions pas laisser lesterroristes gagner cette guerre. »

Contrer les sophismes des bonnes âmes

LesRoth ont donc choisi le blog comme cadre à leur combat. Leurs armes de choix :des vérités difficiles et l’habitude de ne pas mâcher leurs mots. Sur leur siteintitulé This ongoing war (« Cette guerre perpétuelle », sujet de la phrase : «Cette guerre perpétuelle est en train de nous tuer »), ils commententl’actualité dans l’optique de contrer les habituels discours présentant leterrorisme palestinien comme l’inévitable produit du désespoir que suscite unepolitique israélienne impitoyable. Des discours qui reviennent à blâmer lesvictimes du terrorisme pour les attaques qu’elles subissent… Dix ans plus tard,ils n’ont pas abandonné cette tâche. Dans des « posts » succincts, les Rothembrochent les tentatives récurrentes de journalistes et d’hommes politiquesétrangers d’expliquer le désir de tuer, de justifier les actions et lesobjectifs non dissimulés du Hamas, du Djihad islamique et du Hezbollah. « Leconflit israélo-palestinien est très mal compris à l’extérieur », insisteArnold. « Là-bas, la plupart des gens estiment que, si l’on se comporte bienavec les terroristes, si on leur tend la main et que l’on découvre les racinesprofondes de leurs griefs, ils deviendront bienveillants à notre égard et toutira bien ».

Arnold Roth s’est exprimé à la tribune de l’ONU, il a rencontré son secrétairegénéral Ban Ki-Moon et donné des centaines d’interviews dans les médias au nomdes victimes israéliennes du terrorisme. Ainsi a-t-il appréhendé de près lessophismes de ces bonnes âmes.
En février 2004, cet avocat a fait partie d’une petite délégation israélienneenvoyée à Madrid pour une conférence internationale sur le coût humain duterrorisme. Traités comme des invités indésirables par les organisateurs,tandis que les représentants libanais, syriens et palestiniens étaientouvertement honorés, les Israéliens ont dû tenir tête à leurs hôtes. Un hommepolitique espagnol très connu a même entrepris de leur faire la leçon. « Ilnous a expliqué que, si des terroristes perpétraient des attentats contre nous,c’était de notre faute et que, du coup, nous n’étions pas du tout victimes duterrorisme, mais d’une situation politique dont nous étions responsables », sesouvient Arnold.
Un mois plus tard, soit le 11 mars 2004, plusieurs bombes explosaient à Madriddans des trains de banlieue bondés. Cette série d’attentats coordonnésperpétrés par des Marocains islamistes faisait 191 morts et quantité deblessés. « Les Espagnols ont appris, pour leur malheur, que le terrorismeislamiste avait dans le collimateur d’autres pays que le seul petit Etatd’Israël », commente-t-il stoïquement.
Nom de guerre : sage de Sion

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En général, les blogs politiques sont l’équivalenten ligne des pamphlets d’autrefois, une forme de combat partisan dissimulé sousles traits de commentaires informels. La blogosphère accueille une cacophonieincessante d’invectives et d’hyperboles. Et une myriade de blogueurs opposés àIsraël – suprématistes blancs, obsédés de la conspiration, « amis de laPalestine » en tous genres – se sont trouvé une cause commune dans ladémonisation de l’Etat « raciste », « nazi », « ségrégationniste », «d’Isra-hell ».

Pendant ce temps, sur les sites des grands médias, dans la partie «commentaires » qui suit chaque information, la nouvelle la plus anodine, laplus insignifiante concernant l’Etat juif donne invariablement lieu à desavalanches de diatribes brutales contre le pays, noyant les quelques voixcalmes qui s’y expriment aussi.
Autant dire que les blogueurs pro-israéliens ont du pain sur la planche ! Celane leur fait pas peur. « Nous ne sommes pas inutiles, c’est sûr », affirme leplus influent d’entre eux, professionnel de l’information basé à New York quiofficie dans le cyberspace sous le nom de guerre Elder of Ziyon (Sage de Sion)et qui parvient à capter l’attention des grands médias avec ses enquêtesd’investigation innovantes.
Elder a choisi son pseudonyme pour se moquer des théories de la conspiration,plus farfelues les unes que les autres, qui visent le pouvoir juif. Il acommencé à fréquenter les forums de Yahoo il y a dix ans afin de contrer lespoints de vue et la logique des intarissables détracteurs d’Israël. « Débattreavec ces gens psychologiquement investis de la haine d’Israël en les affrontantl’un après l’autre représentait une grosse perte de temps », explique ceblogueur, qui préfère garder l’anonymat et se présente comme « un Juif d’âgemoyen assez ordinaire ». « J’ai donc cherché autre chose : je voulais pouvoirécrire en toute liberté et en profondeur pour toucher un public plus large. »C’est ainsi qu’il crée son blog en août 2004.
Les « dômes de fer » de l’information

Dans un premier temps, il se contente decollecter des articles parus dans les grands médias, mais très vite, il envient à écrire lui-même et se dévoue à sa mission, armé de son seul ordinateuret de sa houtzpa. Chaque jour, sauf le Shabbat, il poste de nouveaux articles.Il compte aujourd’hui 10 000 lecteurs par jour et de nombreux fans à travers lemonde, y compris en Israël. Il commente les derniers articles parus sur leMoyen-Orient, dénonce dans les reportages des médias les inexactitudes et lespartis pris flagrants, écrit des réponses satiriques aux critiques d’Israël lesplus acharnés et évoque les réussites de l’Etat hébreu dont on parle peu. «Cela me prend plusieurs heures par jour », dit-il, « mais la plupart des genspassent plus de temps que cela devant leur télévision. » Il consacre une partiede ce temps à fouiller dans les archives du conflit israélo-palestinien ou àétudier les rapports accablants publiés par les ONG et l’ONU sur la politiqueisraélienne, afin de contrôler la crédibilité de leurs sources et de revérifierleurs conclusions. En se plongeant récemment dans l’examen d’un document del’ONU accompagné de photographies d’immeubles endommagés à Gaza, il a découvertque deux enfants palestiniens (dont le fils d’un correspondant local de la BBC)dont la mort avait été attribuée à Israël durant l’opération Pilier de défensecontre le Hamas, en novembre dernier, avaient en fait été tués par desroquettes du Hamas.

Une découverte qui a fait les gros titres de la presse.
« Les blogueurs pro-israéliens jouent un peu le rôle de “dôme de fer del’information” », ironise Dovid Efune, Juif anglais qui dirige l’hebdomadaireThe Algemeiner Journal, basé à New York, dont le site internet accueillequelque 500 blogueurs juifs.
« Pendant l’opération Pilier de défense, ils étaient aux avant-postes pourintercepter et dénoncer les fausses informations qu’envoyait régulièrement leHamas, avant qu’elles ne causent des dégâts. Le Hamas et d’autres élémentsanti-israéliens lançaient sans cesse des images d’enfants ensanglantés, amputésou morts, dans l’objectif d’exacerber les sentiments anti-israéliens.
Souvent, ces images (que reprenaient parfois les grands médias) étaient fausseset provenaient d’autres conflits ou d’autres contextes. Les grandes agencesd’informations prenaient rarement la peine de vérifier les éléments diffuséssur Twitter ou de traduire les pages Facebook arabes ».

Un collectionneur duIIIe Reich

Le Sage de Sion le fait. Il effectue régulièrement des recherchesGoogle à partir de mots clés en arabe, puis il se tourne vers son ami fidèle,le traducteur Google. Ainsi prend-il connaissance des nouvelles diffusées parles médias arabes et repère-t-il les reportages ou les éditoriaux consacrés àIsraël, afin de les examiner. Il décortique ensuite les informations que lesorganes de presse et de télévision iraniens envoient à Al Jazeera et à l’agencede presse palestinienne Maan.

En mars, il a décelé sur le site en arabe de Miftah, ONG dite « modérée »fondée par l’Union européenne et dirigée par la fameuse législatricepalestinienne Hanan Ashraoui, un article affirmant comme jadis que les juifsutilisaient le sang des chrétiens et des musulmans pour fabriquer la matza àPessah.
S’est ensuivie une levée de boucliers internationale. Miftah a fustigé «l’obscur blogueur pro-israélien » pour sa « campagne de diffamation », avant depublier des excuses, en anglais, quelques jours plus tard.
« Beaucoup de blogueurs pro-israéliens accomplissent un travail important »,souligne Benjamin Weinthal, journaliste américain chevronné, correspondant duJerusalem Post à Berlin. « Ils démontent ce genre d’articles, soit sur leurblog, soit dans les réseaux sociaux de type Twitter. » C’est en septembre 2009que Weinthal a découvert le travail d’Elder. Ce mois-là, le blogueur avait révéléque Marc Garlasco, Américain membre du Human Rights Watch et détracteurvirulent d’Israël, s’était révélé être aussi un collectionneurd’objets-souvenirs du IIIe Reich.
« J’ai écrit plusieurs fois des articles en me servant des révélations de blogspro-israéliens », affirme Weinthal. « L’un d’entre eux concernait VittorioArrigoni, un militant italien pro-palestinien, membre de l’InternationalSolidarity Movement, qui a été assassiné par des islamistes à Gaza en 2011. Ilse trouve qu’Arrigoni appelait les Juifs des rats et postait des BD antisémitessur sa page Facebook ! Les blogueurs ont bâti un nouveau territoire en sortantde l’ombre des informations censées demeurer en marge de la couverturemédiatique générale. Ils amènent ces histoires-là sur le devant de la scène. »Le Sage de Sion, toutefois, ne se fait guère d’illusion sur l’influence qu’ilpeut avoir.
« J’ai parfois eu de la chance et mes “posts” ont pu remonter jusqu’aux grandsréseaux d’information. Mais la plupart du temps, nous autres, les blogueurs,nous restons cantonnés à notre petit monde », commente-t-il.
La jolie blonde palestinienne de 11 ans

Pourtant, chaque jour ou presque, onpeut puiser dans ce « petit monde » des éléments qui éclairent sur le conflit.Ainsi, cette habitude qu’ont certains Palestiniens, dont des enfants, d’enrajouter devant les caméras pour pousser la presse à incriminer Israël. C’estAussie Dave, autre blogueur, qui en a parlé le premier. Cet immigrantaustralien de 38 ans, qui vit à Jérusalem et anime le site internetIsraellycool, a récemment décroché un scoop en montrant des « manifestantsnon-violents », selon les termes du New York Times, qui s’acharnaient àprovoquer des soldats israéliens en armes afin de se faire malmener par euxdevant les caméras. Cela se passait à Nabi Saleh, village de Judée-Samarie oùsont organisées des manifestations régulières contre l’armée israélienne etcontre une implantation juive voisine.

En examinant une série de photos de presse et de vidéos sur YouTube, ceblogueur a découvert que la jeune Ahed Tamimi, jolie petite Palestinienneblonde de 11 ans, apparaissait dans beaucoup d’entre elles. Elle était là,encore et encore, à railler les soldats israéliens, alternativement stupéfaitsou flegmatiques, et à lever agressivement le poing devant eux. Et lorsqu’unsoldat a fini par lui saisir le poignet, moment aussitôt immortalisé sur unephoto de presse largement diffusée, elle s’est mise à crier en simulant ladouleur.
En mars dernier, la fillette apparaissait ainsi en couverture du supplémentdominical du Times Magazine à New York, dont l’éditorial faisait l’éloge desvillageois de Nabi Saleh pour leur « résistance pacifique ». Elle a parailleurs été récompensée pour sa « bravoure » par le président de l’AutoritéPalestinienne Mahmoud Abbas.
Aussie Dave, de son côté, a décerné à cette excellente comédienne en herbe lesurnom de « Shirley Temper » (allusion à Shirley Temple, la première enfantstar du cinéma américain, le mot « temper » signifiant « tempérament » enanglais). Les « posts » de son blog sur la fillette se sont vite propagés. «J’ai découvert qu’elle apparaissait dans de nombreuses manifestations à NabiSaleh, poussée par ses parents (l’instituteur activiste Bassem Tamimi et safemme Neriman), toujours munis de caméras », se souvient le blogueur. « Lesphotos d’elle qui étaient parues dans la presse s’inscrivaient toutes dans unetentative fomentée par ce Pallywood (Hollywood palestinien) de présenter lessoldats israéliens sous un jour détestable. »

Disséquer le système

Nabi Saleh,indiquent les Roth dans leur propre blog, est le village d’où est partie AhlamTamimi, parente de la fillette, en ce fatal 9 août 2001, en compagnie duterroriste suicide qui allait perpétrer l’attentat de la pizza Sbarro. Agée de21 ans à l’époque, Ahlam Tamimi travaillait alors à l’information sur la chaînede télévision de l’Autorité palestinienne. C’est elle qui avait choisi la ciblede l’attentat et qui, déguisée en touriste juive, a conduit le terroriste à lapizzeria. Tamimi avait ensuite annoncé la nouvelle du carnage sur sa chaîne detélévision avec une extrême fierté.

Condamnée à 15 sentences de prison à vie, elle a été libérée en 2011 dans lecadre des accords du gouvernement israélien avec le Hamas, avec plus de 1 000autres prisonniers palestiniens, en échange de Guilad Shalit, soldat de Tsahaldétenu en otage par le Hamas. Dès sa sortie de prison, elle a déclaré sur unechaîne de télévision jordanienne : « Je ne regrette pas ce qui s’est passé.Absolument pas. Si c’était à refaire, je le referais aujourd’hui exactement dela même façon. » Les Roth ont utilisé leur blog et d’autres médias publics pourfaire campagne contre la libération d’Ahlam Tamimi. « Aucun membre dugouvernement n’a eu ne serait-ce que la courtoisie de venir nous voir au momentde l’accord », constate amèrement Arnold.
Rien de tout cela ne surprend Richard Landes, autre blogueur bien connu etcritique des médias. C’est à lui que l’on doit le terme de « Pallywood »,contraction de « Palestine » et de « Hollywood », aujourd’hui largement utilisédans les milieux pro-israéliens pour évoquer les événements chorégraphiés misen scène par les Palestiniens à l’intention de journalistes étrangers candidesou complices. La majeure partie de la couverture médiatique « pue »,déplore-t-il dans son blog, intitulé The Augean Stables, les écuries d’Augias,qu’Hercule s’était chargé de nettoyer dans le cadre de ses douze travaux. C’estpourquoi il s’attache à disséquer « les raisons des défaillances du système etdu dysfonctionnement du métier de journalisme ».
Des « dictatures éditoriales »

Richard Landes a par ailleurs produit plusieursdocumentaires en ligne au sujet de « Pallywood ». En 2005, il a en outre lancésur internet un projet de surveillance des médias, The Second Draft, « laseconde copie », dans l’intention de contrer les habituels articles des médias,qui se contentent généralement d’un « premier jet » lorsqu’ils rapportent lesévénements.

Sur ces deux sites, Landes critique la pratique courante de ce qu’il appelle «le journalisme létal » : une couverture discriminatoire et unilatérale desévénements, qui légitime le terrorisme en se faisant exclusivement l’écho desrécriminations palestiniennes concernant l’oppression et la brutalitéisraéliennes, sans chercher un instant à remettre en question ces affirmations.
« Les adeptes du journalisme létal nous ont doublement trahis », fulmine ceprofesseur d’histoire à l’université de Boston. « D’un côté, ils ont obtempérédevant les Palestiniens qui leur demandent de dissimuler leurs défauts, quisont entre autres l’incitation systématique et une haine génocidaire des Juifs.De l’autre, ils balancent tous leurs articles létaux sur les Israéliens,alimentant leur public avec ce poison et ces détritus issus d’une propagandeguerrière déguisée en information. » Les blogueurs comme Elder, Landes, lesRoth ou Aussie Daves, affirme Efune, le directeur de l’Algemeine, aident àébranler ce que l’on pourrait appeler « le journalisme dictatorial ». « Laplupart des grands médias d’aujourd’hui sont conçus comme des “dictatureséditoriales” », explique-t-il, « dans lesquelles un petit groupe de rédacteursen chef détient tout le contrôle et décide de ce qu’il est important que lesgens sachent et ce qui ne l’est pas, ainsi que de l’angle correct pourprésenter les choses. C’est ce climat-là qui facilite le contrôle del’information en fonction des besoins du moment et des idées reçues. » Mais quel’on remette en question ce statu quo, et l’on court le risque d’être tourné enridicule ou, pis encore, ostracisé.
Les « trolls » de la Hasbara

Landes sait que ses prises de position ont fait delui un paria dans le monde universitaire où il travaille, un monde où Israëlpasse souvent pour un agresseur colonialiste moderne et où l’on réserve enrevanche un traitement de faveur à toutes les « victimes de l’impérialisme etdu racisme occidental historique », ceux qu’on appelle « l’autre », unecatégorie assez vaste qui, grâce à l’influence de l’universitaireaméricano-palestinien Edward Saïd et de son ouvrage Orientalisme, en est venueà englober les musulmans dans leur ensemble, y compris les djihadistesmilitants. « La plupart de mes collègues ne m’adressent pas la parole, en toutcas pour parler de ce sujet-là », déplore-t-il. « Si j’assiste à une conférencesur le Moyen-Orient organisée sur le campus et que je conteste ce que ditl’orateur, on me prie de ne pas me montrer impoli ! » Peu importe ce qu’ilspensent sur d’autres sujets, comme l’économie ou le mariage gay, les défenseursd’Israël sont automatiquement catalogués comme « néoconservateurs » ou « hommesde droite », et la bonne société juge leur point de vue inacceptable. AussieDave, dont l’avatar sur internet est un petit koala dessiné avec une kippa surla tête, explique qu’il est pour la paix (sous certaines conditions), mais celan’a pas empêché le New York Times de le cataloguer comme « un blogueur dedroite » pour avoir surnommé Ahed Tamimi « Shirley Temper ».

Mais ce n’est là qu’une critique relativement anodine. « J’ai reçu tout ce quel’on peut imaginer, des menaces de mort aux insultes antisémites, en passantpar des menaces de procès en justice », précise-t-il.
De même, les blogueurs pro-israéliens sont généralement mis sur la touche : onleur reproche d’être les agents (les « hasbara trolls », les « trolls de lahasbara », dans la nomenclature des anti-sionistes) d’une machine de propagandebien huilée qui agit dans l’ombre et que l’on appelle hasbara, supervisée parl’Etat juif. Dans une lettre d’opinion publiée par le journal The Guardian,l’Américain Richard Silverstein, important détracteur d’Israël dans lablogosphère, a parlé de « cynique tentative d’inonder internet et les médiasavec des appréciations favorables, en une vaine démarche pour faire basculerl’opinion publique en faveur d’Israël ».
Selon un autre critique, cette « brigade de hasbara trolls » lancerait descampagnes parfaitement coordonnées pour tenter de noyer les voix critiques,modifier les entrées de Wikipedia en faveur d’Israël et engager en sous-maindes tactiques en vue de diffamer tous les opposants. L’ironie de leursprétendus pouvoirs de conspirateurs face à de sombres réalités – des gars quiviendraient dans leur chambre à coucher munis d’ordinateurs portables –n’échappe pas aux blogueurs.
Un modèle de blog basique et gratuit

« Quand on affirme que je suis payé pourfaire de la propagande, je réponds : “Mais quand est-ce que je vais enfinrecevoir mon chèque ?” », ironise le Sage de Sion. « L’idée que nous sommes“parfaitement coordonnés” est en elle-même hilarante. Certains blogueursanti-israéliens sont capables, en un seul tweet, de mobiliser des milliers depersonnes pour créer un nouveau sujet dont tout le monde parlera sur Twitter oupour voter dans un sondage en ligne », dit-il. « Nous, nous n’arrivons même pasà imaginer comment mettre sur pied un seul site qui puisse paraître aussiprofessionnel que +972 Magazine [publication en ligne de la gaucheisraélienne]. » Elder of Zion utilise pour s’exprimer un modèle de blog basiqueet gratuit.

« Chacun de nous a sa propre idée de l’islam, de la solution à deux Etats, dessujets qui importent et de ceux qui ne comptent pas beaucoup », poursuit Elder.« Je suis en contact avec les autres blogueurs, bien sûr, mais il n’existe pasde “Central de la Hasbara”. Nous avons beaucoup de généraux et très peu desimples soldats. » « Nous ne sommes pas un site de hasbara qui ne serait là quepour défendre Israël », renchérit Arnold Roth, qui poste régulièrement desarticles critiques à l’égard du gouvernement israélien. « Notre blog n’a pas lepouvoir de modifier l’opinion publique, mais il nous sert de plateforme pourfaire passer nos messages. » Parmi ceux-ci, le refus de l’équivalence, faitepar bien des moralisateurs, entre terroristes suicides et victimes d’attentats.L’avocat ne craint pas de qualifier les premiers de « barbares ». « Je sais quecela n’est pas politiquement correct », ajoute-t-il. « Du coup, certains nousaccusent de détester les Arabes. C’est ridicule. Nous sommes en colère, maisnous ne sommes pas haineux ».

Excès = danger

Une telle franchise peut être àdouble tranchant. En refusant de mâcher ses mots dans un monde où règne lepolitiquement correct, même les blogueurs les plus raisonnables et les plussensés risquent de se voir assimilés aux fous furieux du cyberspace, dont, parexemple, certains sionistes chrétiens fondamentalistes.

Début août, un Juif britannique vivant à Tel-Aviv et qui anime un blog surIsraellycool sous le nom de « Brian of London », s’en est pris à la correspondantedu New York Times à Jérusalem, Judi Rudoren. Celle-ci avait écrit un articlesur les jeunes Palestiniens de Beit Ummar, village de Judée-Samarie, quijettent régulièrement des pierres de la taille du poing sur les voituresisraéliennes qui passent.
Rendu furieux par la lecture de l’article et réprouvant la façon trop doucedont Tsahal traite ces « satanés sauvages », il a répondu sur la page Facebookde la journaliste : selon lui, l’un des lanceurs de pierres dont il étaitquestion dans l’article, un garçon de 17 ans, « aurait dû être abattu à boutportant et devrait être déjà mort à l’heure qu’il est. Nous devons les écraser,les tuer et étouffer toutes leurs revendications par une force dévastatrice »,fulmine-t-il. « De toute façon, on nous accuse déjà d’occupation ! » JudiRudoren a demandé au blogueur qu’il cesse de « poster des messages violents etmenaçants », ce qui a poussé Brian of London à exiger des excuses publiquespour « diffamation », affirmant qu’il n’avait « menacé violemment » personne.Cet échange a été largement diffusé et a donné du grain à moudre à unemultitude de sites anti-israéliens comme The Electronic Intifada.
La crédibilité avant tout

« Bien sûr, il y a beaucoup de fous furieux sur leweb », admet Dovid Efune, « mais comme dans toute démocratie, on peut partir duprincipe que la majorité des blogueurs sont des gens raisonnables. » Pour unjournaliste comme pour un blogueur, la crédibilité est capitale. Opérant sansaucun contrôle éditorial sur la toile gratuite-pour-tous qu’est internet, lesblogueurs indépendants peuvent souffler le chaud et le froid à leur guise. «Vous aurez beau faire, instinctivement, un individu lambda fera plus confianceà Reuters qu’à un inconnu qui se fait appeler le Sage de Sion », soupire Elder.« Comme je tiens à conserver la transparence de l’anonymat, je veille à étayermes points de vue avec des références et en indiquant bien quelles sont messources. » En fin de compte, qu’ils s’acharnent à œuvrer dans une relativeobscurité ou qu’ils soient repris et apparaissent au grand jour, les blogueurspro-israéliens continueront à avancer cahin-caha, en faisant ce qu’ils saventle mieux faire : défendre l’Etat juif dans un monde qui lui est largementhostile. « Ces blogueurs peuvent être nos yeux et nos oreilles sur le terrainet à travers le monde », résume Efune.

« Nous avons besoin qu’ils soient encore plus nombreux, afin de briser lemonopole qui s’exerce dans l’arène journalistique ».