Quoi de neuf au Maghreb ? Depuis l’auto-immolation d’unjeune homme désespéré, dans une ville poussiéreuse du sud de la Tunisie, undrame qui fut à l’origine du printemps arabe, dont l’onde de choc s’estrépandue dans tout le monde arabe, où en sont le Maroc, l’Algérie, la Tunisieet la Libye, deux ans et demi plus tard ? La Tunisie et la Libye, les deuxEtats qui ont connu un changement de régime effectif, mais aussi contrastés quedeux pays voisins peuvent l’être, connaissent des destins très différents. LaTunisie et l’Egypte sont de tous les pays arabes ceux qui se rapprochent leplus de ce qui pourrait ressembler à un Etat. Elles ont déjà à leur actif unlong passé de pouvoir centralisé. Elles sont dotées d’institutions etbénéficient d’une cohésion sociale et politique relative.
La Libye, quant à elle, se situe aux antipodes de ce schéma.
La monarchie marocaine et de la république algérienne ont connu desdéveloppements politiques très différents, tout en se suspectant mutuellementde lutter en sous-main pour une hégémonie régionale. Leur intégrationéconomique régionale est entravée par le différend de longue date, qui opposeRabat et Alger, sur le statut du Sahara occidental, une ex-colonie espagnole,dont chacune revendique respectivement le contrôle.
La Tunisie et les espoirs déçus
Dès qu’éclatent les premiers troubles, laTunisie s’annonce, de loin, comme le pays arabe qui affiche les meilleureschances de faire évoluer cette soi-disant révolution de jasmin en solutiondurable, avec, à la clé, l’avènement d’un pluralisme politique sur fond demodèle démocratique.
Le gouvernement provisoire élu en grande pompe en octobre 2011, avec unecoalition contre nature, entre l’islamiste Ennahda et deux partis laïques,éveille alors des espoirs de cohabitation réussie.
Mais Ennahda, en crise idéologique et personnelle, s’avère manquer cruellementde compétences pour gouverner. De leur côté, les partis du camp laïque sontdivisés et peinent à se fédérer. Quant au reste de la classe politique, qui asurvécu à l’ancien régime, il suscite la controverse et la méfiance. Avec uneéconomie exsangue, le pays ne parvient pas à répondre aux défis auxquels ildoit faire face et peine à endiguer la pauvreté endémique qui frappel’intérieur des terres, là où la révolte a commencé. Le laborieux processusvisant à élaborer les termes d’une nouvelle constitution a profondément diviséles membres de la classe politique.
Enfin, l’émergence du salafisme militant en Tunisie tend à confirmer lescraintes des Tunisiens modernes et laïques, qui craignent pour leur mode devie. Et le statut des femmes est particulièrement menacé. Les tensions se sontparticulièrement exacerbées en février dernier, avec l’assassinat de ChokriBelaid, un leader de l’opposition laïque de gauche. Les salafistes lourdementarmés, opèrent actuellement dans les régions frontalières, particulièrementporeuses, grâce en grande partie au trafic d’armes, favorisés parl’effondrement du régime de Mouammar Kadhafi en Libye.
Globalement, la Tunisie se maintient dans un équilibre précaire entre espoird’un pluralisme politique institutionnalisé et affrontements politiques etculturels, sur le même fond de violences qui frappent tout le Moyen- Orient.
Régression libyenne vs. pouvoir marocain
En Libye, les espoirs qu’avaientsuscités les élections de juillet 2012, en vue de la formation d’une Assembléenationale, se sont évanouis. Les nombreuses milices armées, souvent organiséesen clans, conformément aux mentalités tribales, fonctionnent selon leur propresystème de lois. Sur fond de tensions ethniques, des voix s’élèvent pourréclamer la création d’une région autonome dans l’est de la Libye. Et tous cesfacteurs suggèrent que les perspectives de parvenir à un minimum de cohésion etde stabilité en Libye sont minces.
Sans oublier que l’effondrement du régime de Kadhafi a également ouvert laporte à un flux de combattants touaregs lourdement armés, qui transitent de laLibye au Mali. Une invasion qui a précipité l’intervention militaire française,déterminée à repousser les djihadistes salafistes ayant pris le dessus dans larégion nord.
Le Maroc, en revanche, sait contenir en grande partie ses mouvements deprotestation interne. L’habileté politique du roi Mohammed VI, qui manoeuvreles divergences au sein de l’opposition, joue sur leurs diversions internes. Leroi a entrepris, avec force battage médiatique, un processus de réformesconstitutionnelles en 2011, processus qui a fortement contribué à calmer lesesprits.
Une coalition gouvernementale a même vu le jour, sous l’égide du PJD islamiste.Et la reconnaissance de la langue berbère (tamazight) comme langue officiellede l’Etat, est désormais un acquis historique pour le mouvement identitaire berbèredu pays. Mais le pouvoir réel reste entre les mains du Palais, et les problèmessocioéconomiques demeurent aigus.
L’Algérie sur un volcan
L’Algérie enfin, reste un pays pauvre avec unepopulation démunie, malgré la manne de son gaz naturel. Son système politiqueprofondément corrompu et opaque est en mal de légitimité. Une société cynique,aliénée et souvent en colère, le chômage élevé des jeunes, la persistance dudanger d’une insurrection islamiste bien que de faible amplitude, menace à toutmoment d’exploser à la faveur de l’effondrement de l’autorité de la Libyevoisine. Enfin, une minorité kabyle berbère traditionnellement militante estaliénée. Le souvenir de la terrible guerre civile des années 1990 est sansdoute le meilleur moyen pour le régime de se maintenir au pouvoir.
Dernier rempart contre la contagion du Printemps arabe, le gouvernement gère ladélicate transition vers une nouvelle présidence pour remplacer AbdelazizBouteflika gravement malade, en convalescence dans un hôpital français, etespère éviter que les flammes de la révolte ne se propagent en l’Algérie.
Mais rien ne garantit que la chape de plomb qui pèse sur le pays ne finira paspar sauter.
Dans l’ensemble, la situation générale en Afrique du Nord n’est pasparticulièrement encourageante, mais au moins elle échappe au scénariocatastrophe syrien.
L’auteur est directeur de recherche au Centre Moshé Dayan pour les étudesafricaines et moyen-orientales, à l’université de Tel-Aviv.