Courant juin, le président israélien a célébré son 90eanniversaire, en compagnie de nombreux dignitaires du monde entier. Commel’exigeaient la nature de l’événement et le statut de Shimon Peres, le bureauprésidentiel a travaillé d’arrache-pied pour parvenir à établir une listed’invités spectaculaires, incluant l’ancien président américain Bill Clinton,l’ancien président russe Mikhaïl Gorbatchev et la star internationale BarbraStreisand. Mais au bout du compte, les paparazzis seront restés sur leur faim,puisque tous les invités escomptés ne sont pas venus. Parmi les essaisinfructueux, le Jerusalem Post a appris tout récemment que la présidence avaitengagé des discussions discrètes avec le bureau du duc et de la duchesse deCambridge, à savoir le prince William – second dans l’ordre d’accession au trônebritannique – et sa femme, la princesse Kate, dans l’espoir de compter lecouple princier lors des festivités et d’apporter une touche de noblesse auxcélébrations. Malheureusement, l’invitation a été poliment déclinée. Pour laraison officielle que l’événement avait lieu à quelques semaines à peine duterme de la grossesse de Kate. Mais en fait, les chances d’une visite du coupleen Israël, qui n’aurait pas manqué d’être largement médiatisée, étaient minces.Car en 65 ans de relations diplomatiques entre l’Etat hébreu et le Royaume-Uni,aucun représentant de la monarchie britannique n’a encore effectué de visiteofficielle en Israël. Et si la reine Elizabeth II, qui va bientôt célébrer ses60 ans de règne, a entrepris plus de voyages officiels à travers la planète quen’importe quel autre chef d’Etat de l’histoire anglaise, elle n’a jamais poséle pied en Terre promise. Certes, quelques membres de la royauté britanniqueont bien effectué de rares séjours en Israël, mais tous ont été clairementprésentés comme « des visites strictement personnelles ».
Et pourtant, la famille royale arpente le globe. L’an dernier, en l’honneur deses noces de diamant, le nombre des visites à l’étranger de la reine a étépublié : 261 visites officielles dans 116 pays depuis 1952. Elle a ainsiséjourné au Moyen- Orient plusieurs fois, de la Jordanie au Koweït, en passantpar Bahreïn et l’Arabie Saoudite. D’autres membres de la famille royale onteffectué des dizaines de visites officielles pour la seule année dernière. Lefils aîné de la reine, le prince Charles, a lui aussi fréquenté la régionplusieurs fois, seul ou en couple. Il s’est ainsi rendu au Qatar, à Bahreïn eten Arabie saoudite avec la princesse Diana, dans les années 1980, et plusrécemment, en Jordanie, Arabie Saoudite, au Qatar et à Oman avec sa secondeépouse, Camilla.
« Ils ne me laisseront pas venir »
Depuis des années, les ambassadeursisraéliens basés à Londres tentent de vérifier, via des canaux de communicationcalmes et fiables, s’il serait possible d’envisager une visite officielle de lareine d’Angleterre en Israël. Ou du moins du prince Charles. Mais Pereslui-même, qui a été fait chevalier par la reine, lors d’une cérémoniemajestueuse au palais de Buckingham, avait alors fait savoir qu’un déplacementde la reine était un événement très compliqué à gérer, qui nécessite 24 mois depréparation. Mais il avait toutefois précisé qu’il espérait que le princeCharles, puisse, lui, se rendre dans l’Etat hébreu dans un futur proche.
Eric Moonman, président de la Fédération sioniste de Grande-Bretagne, a ainsidéclaré l’an dernier que Charles était d’ailleurs très intéressé par lesréalisations écologiques d’Israël, et qu’un séjour du prince était envisageabledans les trois années à venir. Mais la vérité – que Jérusalem et Londresconnaissent bien –, c’est que tout cela ne dépend pas vraiment d’Elizabeth,Charles, William ou Kate. Selon les propres mots de Charles, murmurés à unmembre du corps diplomatique, il y a quelques années : « ils ne me laisserontsimplement pas venir ». Une réponse qui correspond à la position délivrée parBuckingham Palace: les visites officielles de la famille royale ne se font quesur ordre du gouvernement.
« Ce n’est pas que la reine boycotte Israël, mais elle suit les instructions dugouvernement à la lettre. L’Angleterre est une monarchie constitutionnelle, etsa majesté et sa famille ne feraient jamais rien qui contreviendrait à lapolitique gouvernementale », explique le professeur Jeffrey Alderman,spécialiste de l’histoire moderne anglaise et des relations judéo-britanniques.
«La reine ne fait que se conformer aux ordres du gouvernement », note-t-il, «et pour des raisons politiques et diplomatiques, chaque gouvernement depuisChurchill a recommandé de n’effectuer aucune visite officielle en Israël ».
Le ministère des Affaires étrangères sait très bien que la décision d’un séjourne dépend pas du palais Windsor. Car pour l’heure, la position qui prévaut,c’est qu’un déplacement d’un membre de la famille royale ne sera possible qu’aprèsla résolution du conflit israélo-palestinien. « La question clé, qui précéderatout voyage officiel, c’est la paix », confirme Simon McDonald, ambassadeurbritannique en Israël en 2006.
Pourtant, pour certains officiels de premier plan, impliqués dans les relationsisraélo-britanniques, la raison du boycott royal serait un peu plus complexe.Et pourrait résulter de l’histoire entre les deux pays, toujours autant chargéeémotionnellement.
Bouc émissaire idéal
L’Etat d’Israël a vu le jour sur l’expiration du Mandatbritannique dans la région. Les Anglais plieront bagage à la hâte, au termed’une période conflictuelle où luttes politiques et militaires ont opposél’armée britannique à la communauté juive. Au cours des premières années quisuivront sa création, la jeune nation israélienne nourrit un certainressentiment et une suspicion envers la famille royale britannique quiprivilégie alors des liens économiques, politiques et stratégiques avec lesmagnats du pétrole du golfe persique et de la péninsule arabique. C’est aussil’époque où l’Angleterre restreint ses ventes d’armes à Israël. Le ministèredes Affaires étrangères considère toujours qu’une des raisons du boycottbritannique vient du fait que le Royaume-Uni désire éviter toute controverse avecses alliés. « En général, la royauté européenne évite de se rendre dans desrégions où les tensions sont vives, et Israël est considéré comme un endroitchaud », explique Moshé Raviv, ambassadeur d’Israël à Londres dans les années1970. « Et c’est d’autant plus vrai pour la monarchie britannique, au regard deson héritage et de son histoire avec l’Etat hébreu. Aujourd’hui encore, lesAnglais se sentent coupables pour leur départ précipité de Palestine, etresponsables de ne pas avoir créé un Etat palestinien aux côtés de l’Etat juif.» Même si les tensions se sont apaisées dans les années 1950, les diplomatesisraéliens estiment que leurs homologues britanniques affichent toujours uneinclinaison pro-arabe.
« Israël n’a que peu d’amis au sein des Affaires étrangères britanniques et desautres pays du Commonwealth », note Itzhak Shochet, rabbin londonien et leaderjuif britannique. « Certes, depuis le Printemps arabe, Londres affiche unnouveau regard et semble apprécier les bénéfices que constitue le fait d’avoirune démocratie comme Israël au Moyen-Orient. Mais cela ne devrait pas durerlongtemps, car l’Etat hébreu fait systématiquement office de bouc émissaireidéal dans cette région tourmentée. La Syrie est engagée dans une guerrecivile, l’Egypte est dépassée par les révoltes et Gaza croule sous le chaos.Rien de plus simple que de blâmer Israël pour tout cela. »
Quand la Dame de ferbrave le boycott
Mais même si on laisse la reine de côté, le conflit israélo-palestinien a toujours donné du fil à retordre au Royaume- Uni où l’opinionpublique s’est systématiquement opposée à la présence israélienne dans lesterritoires et à la construction d’implantations juives en Judée-Samarie. Etcette dernière décennie, la Grande-Bretagne est devenue un des fiefs des activitésde délégitimation d’Israël à travers le monde. Dernier événement en date : lerefus du scientifique Stephen Hawking de participer à la conférence duprésident Peres. Certes le 10 Downing Street – résidence du Premier ministrebritannique – s’emploie à rappeler qu’il ne s’agit pas là de la politiqueofficielle du gouvernement, mais les associations qui œuvrent pour le BDS(Boycott, désinvestissement, sanctions) de l’Etat hébreu en appelant à unboycott économique, culturel et académique du jeune Etat juif pour protestercontre « l’occupation », gagnent du terrain. Jusqu’au milieu des années 1980,le boycott était également de rigueur parmi le gouvernement britannique et sonPremier ministre. C’est la Dame de fer, Margaret Thatcher, qui sera la premièreà rompre avec la tradition, quand, en 1986, elle ignore les recommandations desAffaires étrangères et entreprend une visite officielle en Israël. Et pour lapetite anecdote, une fois sur place, quand elle se verra demander si la reineen personne pourrait éventuellement effectuer un déplacement, elle répondrainnocemment : « Mais je suis là ». Le séjour de Thatcher, puis le dégeltemporaire entre Israéliens et Palestiniens qui allait suivre les accordsd’Oslo conduiront à un adoucissement de la position diplomatique britannique.Ainsi, la première visite – personnelle – de sang bleu en Terre promise, auralieu l’année suivante.
« Les membres de la famille royale consultent toujours les Affaires étrangèresavant de voyager à l’étranger », avait alors fait savoir Buckingham Palace, parvoie de communiqué, à propos du déplacement du prince Philip, le mari de lareine, en octobre 1994. « Et les Affaire étrangères ont décidé que le tempsétait venu pour une visite en Israël. » Philip, invité par Yad Vashem, rencontreradonc le Premier ministre de l’époque Itzhak Rabin et le président Ezer Weizman,mais sans les formalités inhérentes à une visite officielle ou gouvernementale.
Fils de Juste
Invité par Yad Vashem, car si le duc d’Edimbourg a des racines ausein des familles royales danoises, grecques et britanniques, il peut égalements’enorgueillir d’un lien particulier avec le peuple juif et Israël par sa mère,la princesse Alice.
Alice von Battenberg, née Victoria Alice Elizabeth Julia Marie a grandi dans lescours royales de Londres et Paris, avant de convoler en justes noces avecAndréas, prince de Grèce. Pendant la seconde guerre mondiale, elle habite lepalais de la famille de son époux dans la ville d’Athènes, alors occupée parles nazis. Elle s’engage pour la Croix-Rouge et se porte volontaire pourdifférentes soupes populaires. La nuit, elle se consacre à 6 Juifs grecs,qu’elle cache. Pendant plus d’un an, elle abritera Haimki Cohen et sa familledans son palais du centre d’Athènes. Cohen était un ancien membre du Parlementgrec qui entretenait des relations chaleureuses avec la famille royale grecque.
Bien qu’interrogée à plusieurs reprises par la Gestapo, Alice protégera lafamille juive et prendra soin personnellement de leurs besoins jusqu’à ce quela Grèce se libère du joug nazi. Après la guerre, elle formera un ordre denonnes infirmières grec orthodoxe, avant de passer les dernières années de savie auprès de son fils, à Buckingham Palace, jusqu’à son décès, en 1969. Ellesera enterrée au château de Windsor. Avant sa mort, Alice avait formulé un vœu: être inhumée dans les jardins de l’église Marie-Madeleine, au mont desOliviers de Jérusalem, auprès de sa tante, la Grande-Duchesse de Russie,Elizabeth Fyodorovna, tuée lors de la Révolution bolchévique, en 1918. Vingtans après sa mort, la dernière volonté d’Alice sera exaucée. Sa dépouille seratransportée en Israël et mise en terre à Jérusalem, au cours d’une cérémoniequi aura exigé d’Israël et du Royaume-Uni une coordination religieuse et diplomatiqueavec les Eglises russe et grecque orthodoxe.
Visites uniquement privées
Lors du transfert du cercueil d’Alice en Israël, en1988, les Affaires étrangères britanniques conseilleront au prince Philip de nepas être du voyage. Mais l’événement mettra en lumière la dimension historiquede la princesse Alice et son rôle dans le sauvetage de la famille Cohen, quitranscenderont les considérations diplomatiques. Ainsi, en 1994, quand YadVashem reconnaît Alice comme Juste parmi les Nations, le prince Philip seraautorisé à se rendre à Jérusalem pour planter un arbre en l’honneur de sa mère,et à se recueillir sur sa sépulture. « La Shoah a été la plus grande tragédiede l’histoire du peuple juif, et restera à jamais dans la mémoire collectivejuive. Pour cette raison, il s’agit d’un hommage lourd de sens que celui renduà ces milliers de non-Juifs, qui, comme ma mère, ses ont identifiés à votresouffrance et ont fait le peu qu’ils ont pu pour alléger les horreurs », adéclaré Philip lors des cérémonies.
Un an plus tard, un autre représentant de la famille royale se rendra en Terrepromise : la reine Elizabeth enverra le prince Charles à l’enterrement duPremier ministre Itzhak Rabin, là encore, à titre personnel. Puis la mêmeannée, la sœur de la reine, la princesse Margaret, résidera quelques jours surles rives du lac de Tibériade, lors d’un voyage privé en Jordanie. La décenniesuivante se déroulera sans aucune visite de sang bleu. Jusqu’en septembre 2007,quand le plus jeune fils d’Elizabeth, le prince Edward, se rendra en Israëlpour un séjour de 4 jours. Edward, comte de Wessex, était invité par uneassociation de jeunes Juifs et Arabes. Son emploi du temps chargé inclura unecérémonie d’inauguration à l’université de Haïfa, une levée de fonds avec l’hommed’affaires Nochi Dankner, un repas de Shabbat avec le Grand Rabbin YonaMetzger, et bien sûr, une visite de Yad Vashem et une plantation d’arbre enmémoire de sa grand-mère. Mais encore une fois, aucune rencontre avec lePremier ministre ou le président.
Une fois de plus, Buckingham Palace, mettra les choses au clair, précisantqu’il s’agit uniquement d’une « visite privée. Les visites officielles se fontsur demande des Affaires étrangères ».
Respecter le statu quo
En novembre 2007, deux mois après ce dernier voyage, ildevenait clair qu’Israël ne devait pas espérer d’autres déplacements, suite àl’embarrassant échange de mails entre deux assistants séniors du princeCharles, rendu public à la presse. Plus tôt dans l’année, l’ambassadeurisraélien Zvi Hefetz avait invité le secrétaire personnel du prince, MichaelPate, et son assistant, Clive Alderton, pour un voyage de 4 jours en Israël, aunom de la Knesset. Apparemment, les deux hommes avaient accepté. Mais desfuites parvenues au journal britannique Jewish Chronicle qui les publieralaissent entendre le contraire.
« Est-il raisonnable de penser qu’il puisse réellement y avoir une possibilitépour que cette visite ait lieu ? », écrivait l’assistant du secrétaire à sonsupérieur, avant de se plaindre des incessantes demandes du ministère israélienpour un tel déplacement. Selon lui, une telle visite n’aurait pour but que depréparer le terrain pour un séjour du prince couronné. «Accepter cetteinvitation permettra à Israël d’utiliser sa relation avec Charles pouraméliorer son image internationale. Trouvons une façon pour revoir à la baisseleurs attentes », disait encore le mail. Le bureau du prince ne contestera pasavoir émis ce message, et se contentera de l’habituelle réponse laconique : «Toutes les visites du prince de Galles sont planifiées sur ordre dugouvernement ».
Mais que sait-on des opinions personnelles de la reine ? Très peu de choses. Aucours de ses six décennies de règne, Elizabeth n’a quasiment jamais exprimé sonpoint de vue sur des questions publiques ou politiques, et n’a que trèsrarement accordé d’interviews. Celle qui préfère passer son temps à regarderdes courses de chevaux ou de chiens jouit d’une cote de popularité relativementstable au sein de l’opinion publique anglaise et peut même s’enorgueillir dusoutien des leaders de la communauté juive, qui, tout au long de l’histoire,ont toujours entretenu des liens étroits avec la famille royale. ChaqueShabbat, dans toutes les synagogues du pays, les fidèles juifs du royaume prientpour la santé de la reine. Les membres de la famille royale participentfréquemment aux conférences et autres événements juifs et nombre d’entre euxaffichent également des relations chaleureuses avec des représentants depremier plan de la communauté. Le systématisme élégant avec lequel la reineElizabeth ignore les invitations de l’Etat juif constitue la seule source decritiques, mais la communauté juive préfère éviter le sujet pour ne paséveiller les tensions. « Comme la reine qui n’exprime pas ses convictionspersonnelles, la communauté en fait de même », note un de ses leaders. « Par lepassé, certains représentants ont bien tenté d’évaluer les possibilités d’unevisite en Israël, mais cela a été fait en toute discrétion ».
Ce que reine veut, Dieu le veut
La question d’un déplacement royal ne faitdésormais plus partie de la routine diplomatique entre Israël et le Royaume-Uni, a fait savoir le ministère des Affaires étrangères israélien qui sedéclare sceptique quant à un déplacement officiel dans un futur à court oumoyen terme. Pour autant, cela n’affecte pas les relations entre les deux pays,les échanges diplomatiques et commerciaux restent au beau fixe.
Mais le boycott royal continue d’alimenter les conversations de ceux quiestiment que si elle le voulait vraiment, la reine aurait déjà fait ledéplacement et accepté une des nombreuses invitations officielles qui lui ontété faites de se rendre en Israël.
Pour David Landau, ancien rédacteur en chef d’Haaretz, et accessoirementd’origine britannique, pour beaucoup d’officiels anglais, la position de lareine du « quand il y aura la paix » est tout simplement inacceptable. « Jesuis sûr qu’il nous manque un bout de l’histoire », affirme-t-il, « parcequ’ils font tant d’efforts pour ne pas venir. Cela doit provenir deréminiscences de l’hostilité britannique envers Israël et ils refusent cet actesymbolique de reconnaissance et de légitimation du pays ».
Dans un article de l’an dernier, Landau avait d’ailleurs écrit que la «formidable, étonnante et dévouée reine de 86 ans n’est la marionnette depersonne. Si elle voulait vraiment visiter l‘Etat juif, elle insisterait pourle faire, et elle le ferait ». Il l’avait ainsi enjoint à « mettre fin à cesdélais fétides et un terme au boycott ».
Pour Landau, un séjour royal constituerait un pas significatif dans la luttecontre le boycott et la délégitimation d’Israël qui se joue en Angleterre. « Lareine n’aurait même pas besoin de se déplacer en personne, un des princescouronnés, Charles ou William, seraient également les bienvenus. » Mais commel’entourage de Peres a pu le constater, même la plus grande fête de la ville nesuffit pas pour faire faire une exception à la famille de Windsor.