Enfants du Mossad

Trois enfants d’agents secrets racontent leur vie à l’ombre de héros légendaires israéliens.

mossad (photo credit: Reuters)
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(photo credit: Reuters)

En février 2012,plusieurs centaines de personnes assistent à l’inauguration d’une expositioncommémorative, au Beit Hatfoutsot, le musée de la Diaspora et du Peuple juif deTel-Aviv. Celle-ci marque les 50 ans de la capture d’Adolf Eichmann enArgentine. L’excitation est à son comble parmi les participants, au seindesquels figurent de nombreux proches de ceux qui ont été impliqués dansl’opération.

Au cours des années qui ont suivi cette action héroïque, un des moments fortsde l’histoire du pays, différentes versions ont circulé, émanant des chefs duMossad et du Shin Bet (l’Agence israélienne de sécurité) engagés dans cettemission – dont la plupart ne sont plus là aujourd’hui.
La décision du Mossad de révéler, pour la première fois, des dizaines de raresbribes d’information liées à l’opération, fournit alors aux visiteurs du BeitHatfoutsot une nouvelle occasion de parler de ceux qui sont entrés l’histoire.La plupart des intervenants ont choisi cependant de le faire sous couvertd’anonymat.
Une femme se présente à la foule de spectateurs : « Daphna, la fille de TsviAharoni », un agent prêté au Mossad par le Shin Bet pour la capture de RicardoKlement (un des pseudonymes utilisé par Eichmann pour échapper à sespoursuivants). Elle rend d’abord hommage aux pilotes et aux chercheursimpliqués dans la chaîne d’événements qui ont conduit à l’enlèvement. Puis elledemande à tous de reconnaître la contribution de celles sans qui les espionsn’auraient jamais pu obtenir de tels résultats : « les femmes qui se sonttenues aux côtés de ces héros au fil des ans, attendant patiemment à la maison,portant seules ce lourd fardeau et assumant toutes les questions familialessans protester ».
Pour Daphna, « grandir dans une famille où le père était un agent du Mossad,c’était grandir dans une maison de silence. Je n’avais jamais le droit dedemander ce que mon père faisait dans la vie. » 
Employés de bureau ou vendeursde chaussures 
Toutes les épouses des agents du Mossad subissent un contrôle desécurité et reçoivent l’habilitation sécuritaire requise. Elles s’engagent à nepas informer leurs enfants, ni aucun autre membre de la famille, de quelquedétail que ce soit.
« Les enfants savent que leur père travaille à l’ambassade, à la sécurité, oupour le ministère de la Défense, mais ni dans quel cadre, ni dans quels pays.La plupart d’entre eux ont compris que leur père officie pour une sorted’organisation secrète, et de temps en temps des questions se posent, aveclesquels ils se débattent du mieux qu’ils peuvent », explique le journaliste etromancier Gad Shimron, spécialiste en matière de renseignement et ancien agentdu Mossad lui-même. « 90 % des employés du Mossad travaillent dans un “bureau”de 9 à 17 heures La seule différence, c’est qu’ils n’ont pas le droit deraconter à leur famille ce qu’ils font. Et pour les 10 % restants, “les agentsde terrain”, la difficulté majeure réside dans leurs fréquents déplacements àl’étranger. A cet égard, ils ne diffèrent pas tellement des vendeurs dechaussures, sauf qu’ils ne sont pas autorisés à parler de leur travail. »Aujourd’hui, les espions du XXIe siècle vivent à l’ère des ordinateurs, dans unmonde saturé de technologie, qui ne connaît pas de frontières. Aux débutsd’Israël, les agents opérationnels fonctionnaient dans un environnementcomplètement différent. Chaque opération en pays étranger exigeait des semainesde préparation, et de longs voyages en pays lointains étaient la norme. Toutcela avec très peu de moyens de communication, ce qui affectait grandement lemode de vie des familles des agents. De nos jours, les voyages peuvent êtreplus courts, mais les foyers des agents – qui doivent également maintenir lesecret absolu – sont toujours affectés par le danger qui plane au-dessus destêtes de leurs proches, qui ont, comme avant, toujours recours à de faussesidentités.
Oublie ça ! Ce n’était rien du tout 
« Nous savions que notre père travaillaitdans quelque chose en rapport avec le gouvernement. On savait qu’il travaillaitpour “le Bureau”… Souvent, on se réveillait le matin et il n’était plus là »,raconte Daphna au sujet de son père.
Né en Allemagne en 1921, Aharoni fait son aliya avant que n’éclate la SecondeGuerre mondiale. Il rejoint le Mossad au début des années 1960, après denombreuses années de service dans l’armée britannique, la Hagana, l’arméeisraélienne et le Shin Bet. « Sur les formulaires de l’école, je me rappelleque l’on m’avait recommandé d’écrire qu’il travaillait pour le ministère desAffaires étrangères. C’est comme ça que nous avons grandi, sans poser dequestions. » Elle se souvient d’avoir trouvé une fois une photo de son père,l’un des premiers opérateurs dans l’unité « Césarée » du Mossad, qui se tenaità côté des pyramides en Egypte. Quand elle lui a demandé ce qu’il était alléfaire là-bas, il lui a répondu tout de go : « Oublie ça ! Ce n’était rien dutout. » Daphna, 55 ans, est journaliste. Elle couvre les sujets liés à lanature et est aussi guide touristique. Elle habite la maison dans laquelle agrandi. Elle a du mal à se remémorer où son père voyageait pour son travail, ouà quelle fréquence il devait s’absenter. « Je me souviens juste vaguement quec’était normal qu’il ne soit pas là. » Un voyage, cependant, est resté gravédans sa mémoire. Au début des années 1960, le Shin Bet a « prêté » son père auMossad pour prendre part à l’affaire Eichmann. Il a beaucoup voyagé enArgentine à l’époque.
Le retour du héros 
« Quand mon père est rentré de l’un de ses voyages enArgentine, il nous a ramené des vestes en cuir, à mon frère et moi. Une rougepour moi et une beige pour mon frère. Il a aussi rapporté une caisse de poiresgéantes. On s’est assis en face de la maison avec nos vestes en cuir et on amontré les poires sucrées que notre père nous avait ramenées d’Argentine. » Sila plupart des opérations dans lesquelles son père a été impliqué demeurent unsecret jusqu’à aujourd’hui, son rôle dans la localisation de la rue Garibaldi aété plus difficile à cacher. « Nous savions dès le début qu’il avait capturéEichmann, mais nous n’avions pas le droit de le révéler à qui que ce soit », sesouvient-elle. « Il y a tellement de choses que j’ignore encore aujourd’hui. »Daphna souligne que, enfant, elle avait l’impression que la vie quotidienne desa famille était semblable à celle de ses amis. Mais avec le recul, elle serend compte que l’épreuve a été difficile pour sa mère, morte quand Daphnan’avait que 19 ans.
« Les épouses des agents devaient élever leurs enfants plus ou moins toutesseules, sans savoir exactement où se trouvaient leurs maris », poursuit Daphna.
« Bien que le Mossad ait été en contact avec notre famille et ait toujours faiten sorte que tout aille bien pour nous, que nous n’ayons jamais de soucisfinanciers, s’occuper des affaires familiales toute seule a été extrêmementpénible pour ma mère. Ce n’est pas une situation naturelle. Dans notre cas, mamère était responsable de notre éducation, et elle portait ce fardeau sur sesépaules. Mon père n’était jamais là pour l’aider, et quand il finissait parrentrer, c’était comme le retour du héros, comme si Dieu Lui-même était apparu.» 
Un secret connu de tous 
Omer Malchin se souvient, lui aussi, qu’il devaitécrire « employé au ministère des Affaires étrangères » sur les formulaires, àl’endroit de la profession de son père. Omer est le fils de Tsvi Malchin, undes premiers membres fondateurs du Mossad. « Je me doutais qu’il faisaitquelque chose en rapport avec la sécurité du pays, mais je ne savais pasexactement quoi. Enfant, je ne faisais pas vraiment attention aux détails.J’étais assez grand pour me rendre compte qu’il n’était pas un simple employé,mais je ne posais pas de questions. » 
Le père d’Omer a passé le plus clair deson temps loin de la maison et n’a pas rencontré beaucoup de ses professeurs. «Mon père partait en voyage et venait nous rendre visite quand il en avait letemps », se souvient-il. « Ma mère est celle qui nous a élevés. Une fois, ilest venu avec moi à l’école, et c’était toute une affaire. Passer du temps aveclui ne faisait pas partie de mon emploi du temps quotidien, si bien que, quandil était à la maison, c’était la fête. » Aujourd’hui Omer est âgé de 50 ans. Ilvit et travaille à San Francisco. Il a passé la majeure partie de sa vie endehors d’Israël. Comme beaucoup de familles du Mossad dans les années 1960et 1970, la sienne a déménagé à Paris pendant quelques années. C’est là que lesmères et les enfants attendaient le retour des maris et pères, qui revenaientde pays lointains.
« Le fait que mon père était au loin et en proie au danger, était toujoursprésent en filigrane dans notre vie de tous les jours », se rappelle Omer. Sonpère était considéré comme l’un des plus importants agents du pays, et il aremporté à deux reprises le prix de la Sécurité nationale.
« Nous vivions dans une de ces enclaves sécuritaires, donc la plupart des gensautour de nous savaient qu’il travaillait pour le Mossad. Certains des parentsde nos amis avaient été blessés au cours d’opérations sur le terrain. Lacapture d’Eichmann était en quelque sorte un secret connu de tous. C’était laseule opération dont chacun d’entre nous avait entendu parler. Les enfants sontvenus me voir à l’école et ils m’ont dit que mon père était celui qui avaitcapturé Eichmann. Quand je suis rentré chez moi, j’ai réalisé que c’étaitvraiment ce qui s’était passé. » 
Paroles de fin de vie 
Pendant ses années auMossad, Tsvi Malchin découvre son amour pour la peinture. Il utilise son artcomme couverture sur le terrain et peint des scènes et des portraits depersonnes qu’il voit.
« Parfois, je me réveillais au milieu de la nuit et je le voyais peindre surune toile. C’est ainsi qu’il passait son temps quand il était seul. La peintureétait un exutoire pour exprimer ses émotions et ses pensées, pour montrer aumonde ce qu’il éprouvait sans l’aide de mots et sans exposer les personnes oules opérations auxquelles il participait. Il n’a jamais été juste un espion,c’était aussi un artiste », souligne Omer. Sa créativité était l’une desraisons qui faisaient de lui un espion d’une telle envergure.
Tsvi Malchin prend sa retraite à l’âge de 46 ans, après avoir travaillé pour leMossad pendant 27 ans. Il continuera à cultiver son amour de la peinture etpubliera également six livres.
« Certains agents sont devenus chefs d’entreprise et PDG, mais mon père enétait incapable », explique son fils. « Il ne voulait pas former des espions ouvendre des armes. Ce n’était pas dans son ADN. Quand il a quitté le Mossad, iln’avait même pas un CV. La seule chose qu’il possédait, c’était la peinture etl’écriture. » Dans les mois qui précèdent sa mort en 2005, Malchin se livre àde longs entretiens avec son fils, au cours desquels il évoque certaines de sesexpériences passées dans les services secrets.
« Mon père a toujours été quelqu’un de très réservé. Il ne savait pas commentvivre autrement. Il a même gardé secret ce qui n’avait pas besoin de l’être »,explique Omer. « Mais en vieillissant, il a voulu se confier à moi. Et de moncôté, j’ai aussi eu vraiment envie d’entendre parler de tout cela. Je pensequ’il voulait être sûr de me mettre au courant de tout ce qu’il pouvait. Il m’araconté les histoires et les opérations qui ont eu une importance historique,comme le procès Eichmann. Mais il voulait aussi me parler des relations qu’ilavait eues avec les gens et de ce que sa vie avait été. » 
Deux options 
Contrairement à la vie relativement calme des enfants des membres de l’équipeEichmann, la vie d’Oded Gour Arieh ressemble plus à des montagnes russes. Sonpère, Wolfgang Lutz (Zeev Gour Arieh) était connu comme « l’espion à cheval »ou « l’espion au champagne ». Un personnage célèbre dans la famille durenseignement israélien.
Les traits aryens de Lutz et sa maîtrise de l’allemand ajoutaient foi à sonhistoire de couverture quand il vivait en Egypte, au début des années 1960. Ilaura été un agent extrêmement précieux jusqu’à son arrestation en mars 1965. Ilest alors condamné à la prison à vie.
Les souvenirs d’Oded sur la vie mouvementée de son père donnent un petit aperçud’un drame que même Ian Fleming n’aurait pu imaginer.
Lutz est né à Berlin. Il fait son aliya en 1933. Après son service dans l’arméebritannique, la Hagana et l’armée israélienne, il est recruté à l’intelligencemilitaire et plus tard rejoindra le Mossad. La famille Gour Arieh déménage, àla fin des années 1960, au siège du Mossad à Paris. Ce sera le pied-à-terred’où son père partira en mission, afin d’obtenir des informations vitales surles programmes d’armement égyptiens, sous le régime de Gamal Abdel Nasser.
Sous le pseudonyme de « Shimshon », Lutz adopte la fausse identité d’un ancienofficier nazi reconverti en homme d’affaires et fonde un grand clubd’équitation en Egypte. Pendant cinq ans, sous sa direction, ce clubd’équitation va attirer toute la haute société du Caire. « Shimshon » réussit àse lier d’amitié avec le personnel militaire et des fonctionnaires égyptiens dehaut rang, ainsi que des scientifiques allemands et soviétiques venus assisterl’Egypte dans son développement militaire.
Pendant toutes ses années d’opération en Egypte, sa famille l’attend à Paris,où il fait de brèves apparitions tous les deux mois pour des séancesd’information liées au travail et des sorties en famille. Au cours d’une de cesvisites, son fils est exposé à son monde secret alors qu’il accompagne son pèredans un café parisien pour rencontrer un autre agent. C’est ainsi qu’il réaliseque son père est un agent du Mossad en Egypte.
« J’avais 12 ans à l’époque, et beaucoup de choses intéressantes se déroulaientautour de moi, se souvient Oded. Aujourd’hui âgé de 64 ans, il est professeurde gestion d’entreprise et consultant dans le Michigan. « C’était une décisioncalculée de me mettre dans la confidence. Ils avaient deux options : soitgarder le secret sur tout et courir le risque de me voir dire ce qu’il nefallait pas au mauvais moment, soit m’expliquer la situation. A cet âge-là, jetrouvais tout cela passionnant “comme un film de James Bond”. J’avaisl’impression de faire partie d’une aventure palpitante pour protéger Israël. » 
La double vie de Shimshon 
Un jour, vers la fin de février 1965, Oded a 15 ans,il descend au kiosque pour acheter un exemplaire de l’International HeraldTribune pour sa mère. Un des titres à la une mentionne, « Six Allemands del’Ouest disparaissent en Egypte ». L’article explique qu’un réseau d’espionnagechargé d’assassiner des scientifiques égyptiens et allemands a été démantelé.Son père est l’un des espions arrêtés.
« Nos vies ont soudain basculé. En une nuit, l’aventure palpitante s’esttransformée en histoire de survie. Toute l’opération était extrêmement secrète,parce que nous devions maintenir la couverture de mon père soi-disant allemand», explique Oded.
L’article lui apprend également que son père risque d’être exécuté, mais Odeddécouvre surtout un autre douloureux secret : Lutz a été arrêté avec sa femme.Oded réalise que son père menait clandestinement une double vie.
Plus tard, les responsables du Mossad confirmeront ses plus grandes craintes :alors que son épouse et son fils vivent aux côtés d’autres familles du Mossad àParis, Lutz tombe amoureux d’une jeune allemande, nommée Waltraud. Il n’enparlera jamais, ni à sa femme ni à son fils, pas plus qu’il n’a révélé àWaltraud qu’il avait déjà une famille.
Ses agents aussi ignoraient tout de sa double vie. Quand le Mossad prendconscience de la situation, il décide de laisser Lutz sur le terrain et de nerien dire à sa femme, Rivka.
Immédiatement après son arrestation, les renseignements allemands acquiescent àla demande du Mossad de présenter l’espion israélien en tant que citoyenallemand. De cette façon, Lutz reconnaît être un espion israélien, mais ilparvient à maintenir sa couverture. Il est condamné à perpétuité, et Waltraudécope de trois ans de prison.
La solitude pour compagne 
En plus de l’inquiétude pour la vie de son père etles dangers qui le menacent, Oded doit garder tout cela secret et ne soufflermot à âme qui vive. Garder le silence est indispensable afin d’éviter quequelqu’un en Israël puisse reconnaître Lutz et révéler sa véritable identité.Une réunion spéciale des éditeurs de journaux israéliens a lieu, pour empêcherles médias de publier son identité. Par ailleurs, le Mossad acquiert unéquipement pour perturber la diffusion du procès égyptien à la télévisionisraélienne. « Cela a été une période terriblement solitaire pour moi. Je nepouvais pas répondre aux questions de mes amis, ou même à ma petite amie, pourexpliquer où était mon père. Je devais continuellement inventer des histoires.En général, je me contentais de raconter qu’il était en voyage d’affaires, maiscombien de temps quelqu’un peut-il rester en déplacement pour le travail ? Aubout d’un moment, les gens ont tout simplement cessé de poser des questions. » 
« Le Mossad nous a aidés pour toutes les questions logistiques et financières,mais il ne nous a apporté absolument aucun soutien sur le plan personnel.Aujourd’hui, il fournit un soutien psychologique pour la moindre broutille.Mais à l’époque, cela n’était pas encore rentré dans les mœurs. La psychologiene faisait pas partie du lot. Il nous fallait rester fermes et forts en touteoccasion. Aujourd’hui, quand j’y repense, je suis étonné de ce que j’ai dûendurer. J’avais 16 ans quand tout cela est arrivé, et je n’avais absolumentpersonne à qui me confier. » 
Réapprendre à être le fils de son père 
Après laguerre des Six Jours, Lutz et Waltraud sont libérés (avec les autres agentsimpliqués dans l’affaire) dans le cadre d’un échange de prisonniers, en partiegrâce à une lettre qu’Oded adresse au Premier ministre pour lui demander de nepas abandonner son père. Quand Lutz rentre en Israël, il annonce à son filsqu’il a décidé de divorcer de Rivka et de continuer à vivre avec Waltraud.
« Je venais juste d’être appelé sous les drapeaux, et j’avais passé ma vieentière sans aucun lien avec mon père. Tous les deux, nous voulions établir unerelation l’un avec l’autre, mais cela manquait d’intimité et de chaleur »,explique Oded.
Il relate alors les difficultés rencontrées lorsque l’on vit sous une fausseidentité pendant de longues années, que l’on s’efforce de maintenir les liensavec sa famille et que l’on rentre enfin chez soi.
« Les fausses informations sont le quotidien des espions. Telle est leurmission. Ils doivent gagner la confiance d’autrui pour ensuite en tireravantage. Je suppose que c’était plus facile pour lui de mentir et de se servirdes autres. C’est ce qui arrive quand on fait du mensonge et de la duperie sonmétier », souligne-t-il. « Manifestement, c’est dans l’intérêt du pays, maisl’acte en soi reste odieux, et l’on développe une certaine propension à agirainsi. » 
« Je n’ai pas vraiment souffert de la façon dont les choses ont tourné», poursuit-il. « J’ai appris à être fort avec le temps. Mais j’étaismalheureux pour ma mère. Elle a été profondément blessée, et c’était très durpour moi, car c’est quelqu’un de très spécial. Après l’arrestation de mon père,elle a perdu toute confiance en lui et en tous ses amis du Mossad. Il s’estavéré en effet qu’ils étaient au courant depuis le début, mais avaient préféréne rien dire. Je ne sais pas comment elle a pu vivre avec ça. » 
Au cours despremières années qui suivent son retour en Israël, Lutz est traité avec leshonneurs « en héros national ». Mais ses entreprises échouent et il sombre dansla dépression après la mort de Waltraud en 1971. Il a du mal à s’adapter à lavie au grand jour. Il s’investit dans un certain nombre d’entreprisescommerciales infructueuses, se remarie deux fois encore, et passe les dernièresannées de sa vie en Allemagne, où il décède en 1993.
Espions malgré eux 
« Le Mossad recrute des personnes relativement jeunes aveccertaines compétences et les entraîne pour être des espions professionnels »,déclare Oded.
« Par la suite, ils prennent leur retraite relativement tôt, mais tout cequ’ils savent faire, c’est de l’espionnage. C’est très difficile pour eux deregagner leur foyer et de mener une vie simple et normale. Ils vont recherchertoutes sortes d’échappatoires, que ce soit la peinture, l’écriture ou s’engagerdans diverses activités, qui souvent les conduisent aussi loin d’Israël,physiquement. » Que ce soit ou non le fait du hasard, Tsvi Aharoni et PeterMalchin ont tous les deux aussi choisi de vivre en dehors d’Israël. Aharoni aquitté le Mossad en 1970 et s’est lancé dans un projet d’entreprisecommerciale. Dans les années 1980, il s’installe en Angleterre, où il écrit unlivre qui décrit sa version des faits qui ont mené à la capture d’Eichmann.
« Il avait l’habitude de vivre loin de sa famille, et c’est ainsi qu’il achoisi de vivre même après sa retraite. Il trouvait également que ce n’étaitplus le même Israël qu’avant, et il n’aimait pas la façon dont les chosesavaient évolué », explique son fils.
« Tous ceux qui travaillent pour le Mossad ne sont pas forcément des espions.Il existe un vaste réseau de soutien. Mais les agents, qui passent leur temps àmener des opérations sur le terrain, vivent dans un monde qui a ses propresrègles. Et après avoir vécu dans ce monde, il leur est très difficile de seréadapter à la vie qu’ils menaient auparavant », poursuit-il.
« Quand il a pris de l’âge et que sa vie a changé, mon père s’est rendu compteque le système était défectueux. Je ne pense pas qu’il ait regretté d’avoirchoisi la voie qui était la sienne. Il était très patriote, mais il avait unelongue liste de griefs. Il aimait vraiment Israël et était prêt à travaillerpour le bien du pays, mais c’était plus facile pour lui de le faire à distance.