Y aller ou ne pas y aller : telle est la question qui taraude les membres de la communauté juive française
By HÉLÈNE SCHOUMANNQuand l’opération Bordure protectrice touche Israël début juillet, temps des vacances, quand la France recommande à ses ressortissants de ne pas se rendre dans certaines des villes, quelle est l’attitude adoptée par les Juifs de France ? Comment se porte le tourisme ? Enquête contrastée au cœur du sujet.C’est un peu comme la phrase de Shakespeare dans la pièce de Hamlet Etre ou ne pas être. La question qui se pose ici serait plutôt « aller en Israël par temps de guerre ou ne pas y aller ? ». Montrer son soutien par une visite à l’Etat juif ou se sentir touriste inopportun dans un pays en crise ? Jusqu’où peut aller le militantisme sioniste ? L’amour pour Israël a-t-il des limites ? Car même la célèbre bulle qui captive toujours autant n’échappe désormais plus aux missiles…Mais c’est aussi en ces temps de crise qu’on évalue la solidité du lien et l’intensité de la solidarité des Juifs de France envers Israël. Pour Yonathan Arfi, vice-président du Crif, cet attachement est aussi familial, car nombreux sont les Juifs de l’Hexagone qui ont de la famille là-bas. Alors il n’y a pas à hésiter, il faut y aller, se rendre sur place pour montrer son soutien dans ces temps d’effroi. La consigne du Crif est claire par ailleurs : une délégation avec deux de ses membres est sur place avec des journalistes de la presse nationale. Pas une seconde il n’a été question de reporter le voyage ou de l’annuler. Et Arfi de conclure : « Les Israéliens ont pu constater que les Juifs de France ont toujours été là : que ce soit dans les périodes d’intifada ou de guerre. »Ecouter l’horloge de ses émotionsSandrine Brauer est productrice du film de Ronit et Schlomi Elkabetz, Guett, qui doit être projeté au Festival du film de Jérusalem. Elle doit partir en Israël. Son débit est rapide au téléphone et l’on sent dans les inflexions de sa voix une certaine anxiété. Mais il lui paraît impensable d’annuler son voyage, car elle y va aussi pour retrouver Schlomi et Ronit avec qui elle est très liée, et dans les moments de crise ce sentiment de retrouvailles est encore exacerbé. « Je me sentirais culpabilisée si je restais car, au-delà de mon film et du festival, j’ai envie d’être avec ceux que j’aime. Si elle s’indigne contre ceux qui boycottent Israël, elle comprend très bien les émotifs et ceux qui, par peur, font marche arrière : « Il faut écouter l’horloge de son émotion et la suivre », note-t-elle. Et puis Sandrine Brauer a produit Testimony le film de Schlomi Elkabetz sur la paix, alors, pour elle, partir en Israël, c’est être en harmonie avec toutes ses croyances.Et voilà nos purs et durs, un peu inconscients, un peu sur le fil du rasoir. Si on y regarde de près, quelque chose s’est rompu avec la France et ils ont trouvé en Israël un asile, une terre nourricière et protectrice. Leur amour pour l’Etat juif est sans limite. C’est le cas de Guy A., 60 ans ; après un divorce fracassant qui le met au bord de la ruine Guy A. se reconstruit tant bien que mal à Tel-Aviv et finit par tourner le dos à l’Hexagone, il y passe de moins en moins de temps. Il ne fait pas grand-chose de son quotidien, mais regarde les gens et les aime. Un peu donneur de leçon, il ne comprend pas qu’on ait peur et s’insurge, quitte à se fâcher avec des amis qui renoncent à voyager en Israël, repoussés par les pluies de missiles qui s’abattent sur le pays.La guerre, c’est de l’adrénalineMême attitude pour Linda qui fréquente un chef d’orchestre israélien et s’apprête à le retrouver entraînant dans son sillage une amie venue pour la première fois. Poussée par les ailes de Cupidon, elle ne semble écouter que son cœur. Sur place, elle a bien l’intention de se rendre à la mer Morte et de faire du tourisme. Mais peut-on aller tranquillement à la plage alors que le chaos est autour ?Ludi Boeken est réalisateur, sa sœur et son frère vivent en Israël. Celui-ci, Bertrand, est professeur à l’université de Beersheva. Une maison touchée par un missile est voisine de la sienne. Ludi bout, pour l’instant, il est obligé de rester à Los Angeles. Il a renoncé à rejoindre son fils au Vietnam pour se rendre à Tel-Aviv au plus tôt. Pour lui, c’est sans débat, il n’a pas peur, même s’il ajoute, lucide : « Vouloir passer ses vacances sous les bombes, cela n’a pas de sens. Mais quand on doit y aller, alors on va, pas de débat. »Johanna est journaliste dans une radio juive. Pour l’instant, on ne l’envoie pas en reportage, donc elle attend. Elle se rendra en Israël en vacances, chez elle, dans son joli appartement qui donne sur le Gan Meir. Pour elle, les guerres sont de l’adrénaline : elle était là pendant la guerre du Liban, à la frontière avec son micro. Et de souligner le courage des Juifs de France qui s’y rendent en délégation, pour soutenir le pays. Elle se souvient aussi de cet attentat rue de Rennes qui avait fauché une mère et sa fille qui fuyaient la guerre de leur pays… Sa conclusion : Il y a plus de chance d’être fauché par un accident de voiture que de recevoir un missile.