Récemment encore, une vingtaine d’hommesd’affaires israéliens richissimes possédaient 60 pour cent de la richesse brutedu pays et touchaient un tiers des revenus des 500 plus grandes compagnies.
Aujourd’hui, la majorité d’entre eux accusent de sérieux problèmes financiers.Ils se sont enrichis grâce à d’énormes emprunts de banque et autres fonds depension, qu’ils ont utilisés pour contrôler des entreprises et investir dansl’immobilier.
Aujourd’hui très endettés, ils luttent pour rembourser leurs prêts et intérêtsbancaires, arrivés à date d’échéance, alors que nombre de leurs investissementsont perdu de leur valeur dans la récession globale.
Si la fortune des magnats peut susciter notre curiosité, leurs problèmes,par-contre, nous concernent au premier chef. Le fait qu’ils doivent de l’argentaux fonds de pension menace la stabilité des plus grandes banques d’Israël, etmême l’économie du pays. C’est ce que montre le rapport de l’agenceinternationale de notation financière Moody, qui, au mois de mai dernier, aabaissé la perspective pour la dette publique d’Israël de «stable» à «négative»parce qu’elle prévoyait une chute économique. Or, l’une des causes de celle-ciest certainement reliée aux emprunts de banque effectués par les magnats,puisqu’une partie de ces prêts ne sera sans doute jamais remboursée.
Les dangers de l’effet de levier
Ces familles richissimes sont peu nombreuses,on en compte 19 en Israël : les Dankner, Ofer, Tshuva, Weissman, Arison, Bino,Federmann, Borovich, Leviev, Hamburger, Azrieli, Fishman, Strauss, Wertheimer,Alovich, Zisapel, Shahar, Kass et Schmelzer. Tous se sont enrichis grâce àl’effet de levier, c’est-à-dire qu’ils ont emprunté avec un minimum de fondspropres. Avec cet argent, ils ont acheté un assortiment de compagnies financièreset industrielles.
Quelques-uns, néanmoins, comme Zisapel, Wertheimer ou Strauss, ont patiemmentbâti leur empire. S’ils ont réussi, c’est uniquement grâce à leur savoir-faireindustriel, leur dynamisme et leur esprit d’entreprise. Mais c’est l’exception.
La majorité a fait fortune sans toucher à leur propre capital et grâce à leursrelations.
L’un d’eux, Nochi Dankner, fait maintenant la une des journaux. Sa compagnieIDB est débitrice de 4,2 milliards de shekels aux porteurs de bons et 2,2 milliardsde shekels aux banques et institutions financières. Soit un total de 6,4milliards de shekels, dont 750 milliards à la banque Hapoalim. L’établissementsemble d’ailleurs avoir fait le deuil d’une large partie de l’emprunt.
Dankner se bat avec les porteurs de bons sur un prochain remboursement, aprèspublication du rapport financier d’IDB du second trimestre et l’avertissementdes commissaires aux comptes, sur la capacité de la compagnie à fonctionner.
Fin octobre dernier, les avoirs d’IDB valaient moins que ses dettes, et sesactions avaient chuté de 1 500 dollars en novembre 2011 à 571 dollars, soit unebaisse de presque deux-tiers.
D’autres hommes d’affaires opulents luttent pour rembourser l’argent emprunté.Parmi eux, Lev Leviev (Africa-Israel Corp.), Itzhak Tshuva (Immobilier Delek),Ilan Ben-Dov (Partner), Shaoul Alovitz (Bezeq) et Eliezer Fishman (IndustrialBuildings Corp.). Ce dernier a déjà connu des problèmes financiers après avoirperdu beaucoup dans la spéculation monétaire.
Si Tshuva et Leviev ont utilisé leur richesse personnelle pour éponger leurdette, Danker pourrait ne pas être capable d’agir de même.
Mais qui est Nochi Dankner ?
Ce multimillionnaire de 58 ans est le neveu deShmuel Danker, le patriarche de la famille.
A la tête du groupe IDB, il est plutôt connu pour ses activitésphilanthropiques. A travers ses compagnies, il contribue financièrement auxuniversités et hôpitaux. Commandant dans les unités de réserves de l’armée, ilest diplômé en droit et en sciences politiques de l’université de Tel-Aviv.
En 2003, il devient un magnat lorsqu’il contracte un emprunt pour acquérir IDB.Le prêt principal vient d’Amitim, une union des anciens fonds de pension de laHistadrout, mis en commun pour consolider et améliorer leur efficacité.
Ironiquement, c’est donc l’argent de la retraite des travailleurs, membres dusyndicat Histadrout, et donc pas particulièrement proches des magnats, qui arendu possible l’accession de Dankner au statut de grosse fortune.
Mais comment lui et d’autres en sont-ils arrivés là ? Comment ont-ils fait pouraccéder à une telle richesse ? En fait, c’est assez simple. Au temps del’inflation, des emprunts et des achats de biens, si vous aviez de bonnesrelations, il était facile d’obtenir des crédits. Les banques voulaient prêterde l’argent et les fonds de pension achetaient des obligations avec jubilation.Ensuite vous remboursiez votre dette aisément : l’argent du prêt avaitentretemps été dévalué et votre compagnie avait prospéré. En fait, vousrachetiez votre compagnie avec l’argent que celle-ci avait fait.
Pour les hommes d’affaires, le timing est essentiel. Il s’agit de rembourser ladette avant que les temps difficiles n’arrivent.
Il faut savoir anticiper et sortir du jeu avant d’en être la victime. Mais mêmesi on le sait, on n’y arrive pas toujours.
Tout d’abord, certains biens ne sont pas transférables en argent liquide, ilfaut donc vendre et ce n’est pas toujours aisé.
Mais surtout, personne n’a vraiment envie d’arrêter : c’est comme si, sachant qu’unefête va mal se terminer, on la quittait alors qu’elle bat son plein. Quelqueshommes d’affaires y sont arrivés, mais Danker, non, comme beaucoup d’autres.
Quel est le problème d’IDBH ?
IDB Holdings (ou IDBH) est un ensemble decompagnies de différents domaines : assurances, portables, bio-tech, commercesde vêtements, ciment, immobilier, services financiers et produits chimiques.Mais IDB Holdings tient plus de l’inventaire de Prévert que d’un groupe solideet homogène. D’ailleurs, le principe du conglomérat ne se fait plus auxEtats-Unis et ce, depuis 30 ans.
Quoi qu’il en soit, si les compagnies d’IDB font de l’argent, elles peuventpayer leurs dettes. Mais si elles n’en font pas, elles ne peuvent lesrembourser. Or, dernièrement, Cellcom, Super-Sol, Clal Insurance ou NesherCement, jusque-là prospères, ont dû faire face à une concurrence de plus enplus importante et ont réduit leurs profits de manière significative.
Le problème actuel d’IDB est lié à trois décisions fatales que Danker alui-même prises. Premièrement, il a acheté de nombreuses valeurs boursières dela banque du Crédit Suisse global. Au début, on a salué son génie puisque leprix de l’action est monté de 20 dollars en 2008 à presque 60 en 2009.
Mais depuis, les actions du Crédit Suisse ont plongé de nouveau et sontretombées à 21 dollars. Le conglomérat de Dankner a donc subi de lourdespertes.
Deuxièmement, Dankner s’est associé à Tshuva, autre grand magnat, pour acheterdes terrains à Las Vegas au prix faramineux de 1,24 milliard de dollars. Lepaiement s’est fait grâce à des prêts. Et aujourd’hui, les terrains valent bienmoins que la somme empruntée.
Enfin, en mars 2011, Dankner IDB, par l’intermédiaire de Discount Investments,a acheté le quotidien Maariv avec un nombre exagéré de 2 000 employés et despertes accumulées depuis 2000 d’un montant de 800 millions de shekels. Unetransaction qui a provoqué en 2011 une chute des actions de DiscountInvestments de 60 %. En septembre 2012, Maariv a été revendu à l’éditeur ShlomoBen-Zvi, mais IDB est encore tenu responsable de ses dettes.
Bien que Maariv l’ait défendu contre les médias de la presse et de latélévision les plus hostiles, il est clair que Dankner a voulu se faireplaisir, à un prix fort coûteux. Deux porteurs de bons minoritaires de DiscountInvestments ont ainsi poursuivi IDBH et Dankner en justice. Pour eux, acheterMaariv c’était «manquer de logique du point de vue des affaires et del’économie». Comme l’a noté Stella Korin- Lieber, «Dankner n’a pas prêtéattention aux changements qui se passaient dans le monde des affaires. Trèsarrogant, il avait la conviction que ‘tout irait bien’».
Nul ne sait comment le conflit entre Dankner et ses créanciers se résoudra.L’homme semble miser sur le temps, il espère que son investissements’améliorera pour générer des liquidités qui lui permettront de s’acquitter deses dettes.
Mais justement, comme le temps presse et que l’échéance se rapproche, il sepourrait que d’ici peu, Dankner ne soit plus un magnat.
Alors, quelle est la morale de l’histoire ? Ou à qui la faute ? Il y a assez dereproches à distribuer pour tout le monde.
Dankner, lui-même, a commis de terribles erreurs. De son côté, le conseild’administration d’IDBH ne l’a pas assez contrôlé. Les régulateurs de la Banqued’Israël, eux, ont été laxistes. Sans compter la négligence des banques et desfonds de pension qui lui ont prêté de l’argent sans précaution.
Enfin, nous, citoyens ordinaires, sommes certainement à blâmer. Il faut ne nousen prendre qu’à nous-mêmes et à notre passivité. Nous n’avons pas exigél’interdiction de ce genre de pyramides financières qui ont permis à la petitecompagnie de Dankner, Genden Holdings, de contrôler une grande part del’économie israélienne. Nous avons permis à ces hommes d’affaires d’emprunterde manière irresponsable de grandes sommes. Nous méritons donc d’être dans lepétrin où les magnats nous ont entraînés.
Un groupe de protestation sociale appelé Israël Yekara Lanou (Israël nous estcher) a ainsi déclaré : «Les banques ont profité des milliards de dollars quenous, citoyens israéliens, avons déposé pour fournir des prêts aux magnats afinqu’ils puissent monopoliser le marché. Puis, ceux-ci ont augmenté le prix deleurs produits pour rembourser leurs dettes.» Il y a du vrai là-dedans.
Notre seule consolation, bien qu’elle soit modeste, est que la récessionglobale qui a maintenant un impact sur Israël et frappe tout le monde pourraitréduire l’énorme puissance économique exercée par les magnats.
L’auteur est unchercheur vétéran à l’Institut S. Neaman du Technion, Institut de technologied’Israël.