Ces dernières années, les actes antisémites et leterrorisme contre des cibles juives ont augmenté en Europe et en Amérique duSud. Hormis en Suisse, où le nombre d’attaques contre les institutions juives adiminué en 2012, partout sur le Vieux Continent, y compris dans la calmeScandinavie, on assiste à une recrudescence des attaques contre les synagogueset les centres communautaires juifs, à des profanations de cimetières juifs età la multiplication des graffitis comme des croix gammées et autres symbolesnazis apposés sur des bâtiments de la communauté juive.
Dans plusieurs pays européens, les forces ultranationalistes et antijuives semultiplient. En Grèce, en juin 2010, durant les élections, le parti néonazi(l’Aube dorée) a même remporté 21 sièges au parlement. En Ukraine, le partiradical Liberté a rassemblé 10 % des votes aux élections de novembre 2012. Eten Hongrie, le parti Jobbik constitue une force politique significative. Biensûr, l’antisémitisme trouve toujours sa source dans les racines traditionnelleschrétiennes, mais il faut aussi y ajouter des raisons sociales, économiques et politiques.
Ce qui est nouveau, c’est que cette haine des juifs apparaît de plus en plusdans les communautés musulmanes et ce, dans différentes parties du monde.Inspirée de la « guerre sainte » (djihad) d’al-Qaïda déclarée par Oussama BenLaden contre les « croisés » (les chrétiens) et les juifs. Depuis l’attaque du11 septembre contre les Etats-Unis, des dizaines de tentatives d’attentats pardes islamistes radicaux – reliés à al-Qaïda, à l’Iran ou au Hezbollah – contredes cibles juives et israéliennes, ont été déjouées par le renseignementisraélien ou les services de sécurité installés en Hongrie, en Inde, enTurquie, en Thaïlande, en Azerbaïdjan et dans d’autres pays.
Selon des rapports datés de début avril, des agents secrets du Hezbollah etd’Iran ont été repérés alors qu’ils collectaient des informations et prenaientdes photos de la synagogue de Sofia en Bulgarie.
Il ne fait aucun doute que cette augmentation de l’antisémitisme et ces menacesterroristes islamistes constituent un des soucis majeurs des dirigeants juifsdans le monde.
Mais pas seulement. La communauté du Renseignement israélien aussi. Quelrapport entre le Renseignement israélien et des attaques dirigées contre lescitoyens d’autres pays ? Un rapport étroit. Que l’on pourrait nommer les «services secrets juifs ».
Nativ et Bitzur
Puisqu’Israël est un Etat juif (et démocratique), les servicessecrets israéliens ont le devoir de protéger les juifs où qu’ils résident.Cette idée date de la naissance du pays : les fondateurs – et lesRenseignements – estimaient qu’il était de leur devoir, voire de leur vocation,d’assurer la sécurité des juifs dans le monde et leur immigration vers la Terrepromise.
Cette idée est toujours actuelle. Les communautés juives demandent rarement del’aide à Israël, mais les envoyés israéliens viennent à elles et les formentpour se protéger d’un milieu hostile ou pour les assister dans leur immigrationsi elles la souhaitent.
Dès le début, les services secrets israéliens comprenaient deux unitésparticulières, Nativ et Bitzur, chargées d’accomplir ce genre de missions. Dèsles années cinquante, Nativ, organisait l’immigration des juifs d’Europe del’Est et d’Union Soviétique. Avec l’effondrement du communisme, à la fin desannées quatre-vingt, la liberté de mouvement retrouve ses droits dans ces payset Nativ devient alors inutile.
Les gouvernements israéliens consécutifs ont tour à tour songé à la démanteler.Elle est pourtant toujours en place, bien que de taille réduite et avec desmissions limitées.
L’autre unité, Bitzur, est, par contre, très active. Intégrée au Mossad, elleétait chargée de l’immigration en provenance des pays arabes et musulmans oùles Juifs étaient en danger et ne pouvaient sortir du pays. Ses agents ontaccompli nombre de sauvetages : dans les années soixante-dix, ils font sortirles derniers Juifs d’Irak, de Syrie et du Liban ; dans les années quatre-vingt,c’est le tour des juifs éthiopiens du Soudan, et dans les annéesquatre-vingt-dix, les juifs du Yémen. Sans compter les juifs d’Iran qui, toutau long des années, seront évacués. Bitzur était aussi et est encoreresponsable de former les communautés juives locales pour leur donner lesmoyens de se défendre et de protéger leurs biens.
La colère de Begin
Il faut comprendre que ces missions sont très délicates. Cesjuifs de diaspora ne sont pas des citoyens israéliens. Les pays concernésn’apprécient guère l’intervention d’Israël dans la vie de leurs citoyens et surle territoire national.
Les communautés juives ou les juifs qui reçoivent cette assistance qu’ils n’ontpas demandée, peuvent aussi souffrir de cette ingérence – ou être accusés parla majorité non juive et par leurs gouvernements respectifs d’avoir une doubleallégeance.
Aussi uniques et touchantes que soient ces missions, cette idée de l’existencede « services secrets juifs » paraît, au bout du compte, aller relativement desoi. Après tout, Israël se définit comme le pays des juifs et a institué la «loi du Retour » qui octroie la citoyenneté israélienne automatique à tout juifqui arrive sur la terre d’Israël (et la demande). Par ailleurs, cetteimmigration est aussi stratégique, elle renforce Israël tant du point de vuedémographique, que d’un point de vue sécuritaire.
Parce qu’il s’agit généralement de sujets sensibles, les chefs du Renseignementévitent de parler des faces cachées de leurs missions, du moins en public.Toutefois, si on les interroge en privé, ils les évoquent comme les plus bellesopérations qu’ils aient eu à accomplir.
Les dirigeants israéliens, eux aussi, préfèrent rester discrets et secontentent de propos généraux sur « la solidarité entre frères juifs».
Une fois seulement une exception a eu lieu. Au lendemain de l’attentatterroriste (attribué à la faction palestinienne d’Abu Nidal) sur le restaurantGoldenberg, rue des Rosiers, dans le Marais à Paris, le 11 août 1982. Sixpersonnes avaient été tuées au cours de l’attaque qui faisait suite à une vagued’antisémitisme et d’accidents terroristes contre des juifs et cibles juives etisraéliennes, dans la capitale française.
Le Premier ministre Menachem Begin avait alors violemment accusé legouvernement français et le président socialiste, François Mitterrand : « Siles autorités françaises n’empêchent pas les manifestations néonazies contreles juifs, je n’hésiterai pas, en tant que juif, à appeler la jeunessefrançaise juive à se défendre pour préserver la vie de Juifs et leur dignitéhumaine. » Begin insinuait par-là qu’il pourrait donner l’ordre à Bitzurd’activer ses missions auprès des juifs locaux, généralement membres desmouvements de jeunesse sionistes, pour défendre le judaïsme français.
Comme au bon vieux temps
C’était exactement ce qui s’était passé 20 ansauparavant, en Argentine. Suite à la capture d’Adolf Eichmann à Buenos Aires, sonprocès et son exécution en Israël, une vague d’attaques antisémites avaitdéferlé sur le pays sud-américain.
Les violences étaient organisées par un groupe fasciste qui bénéficiait dusoutien des officiers militaires et de la police. En juillet 1962, desfascistes argentins allaient kidnapper une étudiante juive et lui tatouer unecroix gammée sur la poitrine. Les juifs argentins étaient terrifiés et lesjournaux israéliens pressaient leur gouvernement « d’envoyer de l’aide à nosfrères juifs ».
Et le Mossad, alors dirigé par le célèbre Isser Harel, était bel et bienintervenu. Pour mettre en place une Misgeret (cadre ou structure), pourentraîner les jeunes juifs d’Argentine à défendre leurs communautés.Entraînement dans des camps d’entraînement dirigés par des militairesisraéliens spécialistes des arts martiaux, collecte d’informations,surveillance, navigation et utilisation d’armes étaient au programme.
Et une fois prêts, ces jeunes volontaires ont été affectés à des tâches desécurité variées, comme l’accompagnement d’enfants vers et au retour del’école, la garde des institutions juives et, si nécessaire, l’attaque degroupes fascistes. Pour la sécurité des membres de la communauté.
Aujourd’hui, quelque 50 ans plus tard, les mêmes concepts, mesures et modesopératoires sont toujours mis en place.
Bien entendu, de nos jours, Israël comprend mieux les problèmes complexes liésà la défense des communautés juives. Mais en cette ère où l’information sepropage en un rien de temps, ne serait-ce que via les médias sociaux, gardersecrètes des missions délicates qui vont parfois contre la souveraineté desnations concernées, relève de l’exploit.
Car Israël sait que la défense d’une communauté juive d’un pays incombe augouvernement de celui-ci. L’Etat hébreu fournit donc les informationsnécessaires sur les complots fomentés contre les cibles juives et coopère avecles autorités nationales de tel ou tel pays, spécialement ceux avec lesquels ilentretient de bonnes relations. Mais dans le pire des cas, il n’hésitera pas àréemployer ses vieilles méthodes.