Les ambassadeurs se suivent et se ressemblent. Ou pas. Patrick Maisonnave est de ceux qui donnent du corps à la mission de représentation qu’il s’est vu confiée par la France. L’homme transpire derrière la fonction. Il parle vrai, défend ses idées, ou celles de la France, ou celles de la France qui sont aussi les siennes. On finit par se demander, tellement le discours est naturel, le propos personnel. On en oublierait presque qu’il est ambassadeur français en Israël. Pour autant, aucun faux pas chez celui qui semble avoir résolument tourné le dos à la langue de bois.Physique de jeune premier, regard franc et verbe assuré, Maisonnave incarne ces diplomates des Temps modernes qui ont relégué au placard leur armure formelle et empesée. Certes, le poste a sans doute des intérêts stratégiques dans la carrière de tout ambassadeur qui se respecte, mais si Maisonnave a choisi Israël, « c’est parce que les réalités y sont intenses ». Et considère comme « un privilège ce mandat que le président de la République lui a accordé ».Il admire « ce mode de vivre ensemble qui se construit au quotidien » et qu’il a pu constater lors de ses récents déplacements à Ashdod et à Sdérot, au début de la crise avec Gaza. Un baptême du feu en quelque sorte pour celui qui a pris ses fonctions en septembre dernier et essuie ici son premier conflit. L’ambassadeur se dit frappé par la maîtrise et le sang-froid des habitants du sud : « Ils ont l’habitude, font preuve de beaucoup de résilience ». Et de saluer le courage des Français touchés par la forme de sympathie que le représentant de la France tient à exprimer en venant à leur rencontre. En ces temps de crise, ses services sont plus que jamais à l’écoute des Franco-Israéliens ou des touristes, présents dans le pays.Israël ? « C’est un pays pluriel, cosmopolite ». Maisonnave est séduit par la richesse des histoires personnelles, par la diversité des parcours. Par la diversité des points de vue qui s’expriment. Le locataire de la chancellerie de Tel-Aviv compte bien imprimer son style au cours de son mandat de trois ans, « et plus si affinités ».Entretien Vous succédez à Christophe Bigot, qui avait su créer un véritable élan de sympathie auprès des Français d’Israël. Est-ce facile de prendre la relève ?Ma personnalité, c’est de ne pas nécessairement copier ce que font les autres, mais je ne cherche pas non plus à tout prix à marquer la différence. Tant mieux si mon prédécesseur était estimé par la population locale, car, au-delà des personnes, c’est aussi la France qui est en jeu. Donc tout ce qu’il a pu faire pour contribuer à améliorer l’image de la France en Israël, c’est très bien. J’espère apporter ma contribution aussi, avec mon style.Ce qui m’importe, c’est que la France occupe une position plus conforme à son poids, dans tous les domaines, politiques, économiques, culturels. La relation est bonne entre les deux pays, on l’a vu avec la visite de François Hollande. Il existe un capital de sympathie en dépit de ce qui a pu se passer par le passé, car on parle souvent d’un avant et d’un après 1967, dans la relation franco-israélienne. Justement, on a longtemps reproché au Quai d’Orsay d’être pro-arabe. Est-ce que les choses ont changé ?Je crois que les choses ont beaucoup changé. Les Israéliens eux-mêmes le reconnaissent. Il y a un renouveau dans la relation depuis 6 ou 7 ans, depuis l’élection de Nicolas Sarkozy et qui a été confirmé par François Hollande. Même si cette conviction demeure encore dans certains milieux, nombreux sont ceux qui donnent crédit à la France et reconnaissent une relation plus équilibrée.Donc ces accusations étaient fondées ? Historiquement, la France a toujours parlé à l’ensemble des peuples de la région. Elle a des amis partout, également dans les pays arabes. Et c’est l’avantage de notre situation, justement, que de pouvoir parler à tout le monde.Elle a des amis ou des intérêts ?Les seuls intérêts de la France, ce sont la paix et la sécurité, qui font partie de ses responsabilités compte tenu de sa place dans le concert des nations. Oui, bien sûr, elle a aussi des intérêts économiques, comme tout le monde.On enregistre ces dernières années une forte hausse de l’aliya de France. Est-ce la preuve d’un malaise pour les Juifs dans le pays des Droits de l’Homme ?Il faut mettre les choses en perspective. Il y a eu 3 moments au cours desquels l’aliya a fortement augmenté : après 1967, après la seconde Intifada et aujourd’hui. A l’image des deux vagues précédentes, je ne sais pas si l’aliya qui se dessine actuellement sera durable, appelée à se renforcer, s’il s’agit d’un pic ou d’une tendance. Pour l’heure, personne n’en sait rien.Qu’est-ce qui, selon vous, motive l’aliya ? Est-ce que ce sont des considérations sécuritaires liées à l’antisémitisme ou économiques ?La question de l’antisémitisme est très complexe. D’un côté, les Juifs de France donnent crédit aux efforts entrepris par le gouvernement – et ses prédécesseurs – pour lutter avec détermination contre l’antisémitisme. La France est en effet le pays européen où la législation est la plus répressive – puisque tout acte ou opinion est sanctionné – et appliquée avec sévérité. Le Crif, par exemple, n’a aucun doute là-dessus.Mais de l’autre, on assiste à une montée de l’antisémitisme – pas seulement en France – et plus d’actes, d’opinions, sont exprimés dans la rue, dans les réseaux sociaux. Ce qui alimente un sentiment d’insécurité auprès de la communauté juive, et peut influer sur l’aliya. Je ne suis pas satisfait d’une France dans laquelle les Juifs ne se sentiraient plus en sécurité, et d’ailleurs ce n’est pas bon pour la France elle-même. Comme l’a dit Manuel Valls : « La France sans les Français juifs ne serait pas la France ».L’Europe assiste à une montée des extrêmes. Comment gérer cette tendance en France ?Tous les extrémismes sont préoccupants, l’antisémitisme, l’islamophobie, tout ce qui contribue à mettre en cause le pacte social, le mode de vivre ensemble, à l’intérieur d’une démocratie est préoccupant. Effectivement, les partis l’extrême ont fait récemment de bons scores, mais il s’agissait d’une élection européenne avec, en France, un taux d’abstention de 60 %, et non pas d’une photographie de la France aujourd’hui. Nous verrons lors des élections majeures à venir, les présidentielles 2017.Ces derniers temps, on assiste à nombre d’initiatives de Hasbara, qui consistent à faire venir des leaders d’opinion en Israël pour leur montrer la réalité du terrain. Qu’en pensez-vous ?Je crois que ce genre d’initiatives est très utile. J’ai d’ailleurs contribué à un certain nombre, pour essayer de modifier dans le bon sens la perception que ces Françaises et ces Français ont d’Israël. L’image de ce pays est souvent assez caricaturale, avec l’oppresseur israélien et l’opprimé palestinien. Et venir ici, c’est se rendre compte que les réalités sont plus complexes, qu’Israël ce n’est pas seulement le conflit, c’est aussi une grande démocratie, une réelle liberté d’expression qui surprend d’ailleurs beaucoup les journalistes de la presse française. Mais encore une économie extrêmement dynamique, une jeunesse et une société dotées d’une forte vitalité, des établissements d’enseignement et de recherche exceptionnels, une vraie culture du high-tech. Donc oui, ces initiatives sont utiles.Mais cela fait des années qu’on essaye de montrer cela, de changer le regard et les mentalités, sans succès…Je crois que l’opinion – pas seulement française d’ailleurs, internationale aussi – affiche une forme de lassitude par rapport au conflit israélo-palestinien. Par rapport au fait que depuis bientôt 70 ans, en dépit de tous les efforts qui ont été conduits, les résultats n’ont pas été atteints. Et aujourd’hui, par-delà le conflit israélo-palestinien, il y a tout le reste dans la région, ce qui est en train de se passer en Irak, en Syrie, avec la perception que les problèmes ne sont pas réglés et vont même en s’aggravant.Et le monde voit Israël comme le seul responsable ?Certainement pas. Comment Israël pourrait-il être tenu pour responsable des soubresauts actuels dans le monde arabo-musulman ? Mais quant au conflit israélo-palestinien, je crois que l’opinion internationale, qu’on le veuille ou non, et même si la réalité est beaucoup plus complexe, voit d’un côté un Etat, Israël, qui dispose d’une armée performante, et de l’autre un Etat palestinien qui, jusqu’à présent, n’a pu être créé. Ceci alimente la perception d’un rapport de fort à faible. La réalité, on le sait, et surtout quand on vit dans ce pays, est beaucoup plus complexe.Est-ce que le conflit est bien compris ?Je n’ai pas de doute que pour l’immense majorité des Français, le droit à l’existence d’Israël, le droit d’Israël à occuper cette terre, est reconnu. En revanche, la frustration prévaut en l’absence de solution politique. Car dès lors qu’on reconnaît le droit à l’existence d’Israël et le droit des Palestiniens à choisir leur avenir, pourquoi ne pas inventer ensemble les formes, les modalités d’un accord de paix ?Actuellement, le processus de paix est au point mort. Est-ce que la France a à cœur de le renouveler ?Il n’y a pas d’autres solutions que la paix juste et durable. Il n’y a pas d’autres solutions que deux Etats pour deux peuples. Toutes les autres formes d’organisations, comme un Etat binational, n’ont pas d’avenir. Nous sortons d’une période frustrante, car au terme de plusieurs mois de négociations, avec une très forte implication américaine et de la communauté internationale, nous sommes parvenus à un échec. Est-ce à dire qu’on n’y arrivera jamais ? Non. Il y aura d’autres initiatives.Pour l’heure, nous sommes dans une phase chaude de la crise, l’heure des diplomates n’est pas revenue, mais cet affrontement entre Israël et le Hamas, la question de Mahmoud Abbas, de son autorité, tout cela n’est soluble que par un accord de paix. La meilleure garantie de sécurité pour les Israéliens, c’est la paix.Comment reprendre les pourparlers avec le gouvernement d’union palestinien Fatah-Hamas ?C’est compliqué car le Hamas est considéré comme une organisation terroriste. La France ne parle pas au Hamas, mais parle à des gens qui parlent au Hamas. La France a toujours été claire quant à ce gouvernement de réconciliation : nous attendons de lui qu’il respecte les conditions du Quartet. Au Hamas de voir s’il est prêt à y souscrire ou pas. Mais aujourd’hui, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il souscrit à la violence.Notre objectif, c’est de soutenir les efforts de Mahmoud Abbas, qui est engagé en faveur de la paix. Notre intérêt sur le moyen et long terme, c’est de parvenir à la paix, c’est donc un accord de paix.Aujourd’hui, nous sommes au plus fort de la crise, les armes répondent aux armes. Le temps de la diplomatie doit revenir. Aujourd’hui, il faut bien sûr appeler à la retenue, et trouver les voies d’un cessez-le-feu.Quel est le talon d’Achille de la relation franco-israélienne ?Nous avons une belle relation politique, avec une forme de confiance retrouvée, mais il y a un déficit dans la relation franco-israélienne, c’est l’économie. Je ne me satisfais pas d’une situation où la France n’est que le 6e fournisseur de l’économie israélienne, très loin derrière les 5 premiers, avec une part de marché très faible de 2,5 %. Cela ne reflète pas la puissance économique de la France qui reste la 5e puissance économique dans le monde. Il y a donc un vrai potentiel qui reste à exploiter.Pourquoi est-ce aussi compliqué ?Du côté israélien, il y a une méconnaissance du potentiel économique français. Du côté français, d’abord Israël est un petit pays de 8 millions d’habitants, et il existe encore des clichés qui demeurent : le fait qu’Israël ne soit pas en paix avec tous ses voisins rend peut-être les choses plus compliquées en termes d’investissements, de présence économique. Mais par-delà les obstacles, un certain nombre d’investisseurs sont en train de prendre Israël pour ce qu’il est, c’est-à-dire un pays en pleine croissance, avec un fort potentiel dans le domaine des infrastructures et du high-tech. Et cela va finir par aboutir à un vrai courant d’affaires. Bien sûr, la crise actuelle fait réfléchir un certain nombre d’investisseurs. Mais encore une fois, la paix est le meilleur garant d’Israël pour sa sécurité, mais aussi pour son avenir économique et social.Quels sont les secteurs privilégiés ?Avant mon arrivée, il n’y avait aucun mariage, aucun lien entre les start-up françaises et israéliennes, alors qu’il s’agit de deux grands pays du high-tech. Nous avons engagé des efforts depuis quelques mois, dont un effort financier, pour encourager à des partenariats, et dans les deux ans qui viennent, je suis sûr qu’ils vont porter leurs fruits.Il y a un grand programme d’équipements dans ce pays, en matière d’infrastructures, d’énergie – EDF-EN, par exemple est le premier producteur d’électricité à partir d’énergies renouvelables – de transport, avec les projets de métro à Tel-Aviv, ou la ligne de TGV Eilat-Tel-Aviv, autant de projets sur lesquels une vraie expertise française existe.Mon souci concerne plutôt les PME. On trouve relativement peu de produits français dans les magasins, et pas seulement pour des raisons de cacherout. Pour beaucoup, le marché israélien est complexe et trop protégé, par des droits de douane, par des formes d’entente entre producteurs et distributeurs locaux. Mais je fais crédit au gouvernement israélien, suite aux mouvements sociaux d’il y a 2 ans contre la vie chère, qui fait de gros effort de libéralisation pour abaisser les droits de douane, simplifier les procédures. Il faut maintenant que ces évolutions soient connues, et notamment de nos exportateurs. Aujourd’hui, il s’agit de faire le lien entre les opérateurs du marché israélien, qui est un marché qui se transforme, et les acteurs côté français. Notre travail consiste à aller chercher les PME pour leur expliquer qu’il y a actuellement une baisse importante des droits de douane, ce qui représente une véritable opportunité de business. Et cela est vrai pour l’alimentaire, le textile, l’aménagement de la maison, le sport... La société israélienne accède à un mode de consommation dans lequel il existe de vraies opportunités d’affaires.Un mot sur le culturel, toujours au beau fixe ?Ce qui me frappe, suite au « désamour » d’après 1967 entre les 2 pays, c’est que les références culturelles sont quelque peu datées. Ce qui ne veut pas dire qu’elles ne sont pas bonnes, mais elles se sont arrêtées aux années 1960-1970 avec Aznavour, Dalida, Joe Dassin, Adamo. Aujourd’hui, il y a une bonne scène française, et un vrai potentiel dans le champ culturel, d’où la décision prise entre François Hollande et Binyamin Netanyahou de faire de 2018, à l’occasion des 70 ans de l’Etat d’Israël, une année culturelle croisée. Les deux pays vont mobiliser leurs institutions et lancer des initiatives pour montrer leurs réalités culturelles dans les domaines de la musique, théâtre, danse, littératures, etc. C’est une initiative importante qui va rajeunir l’image de la France en Israël et d’Israël en France. Car cette belle relation a aussi besoin de beauté, de douceur, d’empathie.© Reproduction interdite - Droits réservés Jerusalem Post