Monty est un maltais blanc de deux ans qui mène une existence plutôtsympathique. Ses propriétaires, qui l’adorent, l’emmènent faire de longuespromenades dans son quartier, le laissent jouer avec ses petits amis canins etle nourrissent à sa faim, avec des aliments qui le maintiennent en forme (etjamais avec les restes de leurs repas !). Son seul défaut : Monty n’aime pas lasolitude. Du coup, quand ses maîtres ont dû partir en Galilée pour une réunionde famille sans pouvoir l’emmener avec eux, un casse-tête s’est posé. Lelaisser chez des amis ? Impossible : ils avaient déjà tenté l’expérience etcelle-ci s’était révélée désastreuse. Le chien avait tant aboyé que les amisn’avaient pas pu fermer l’oeil de la nuit. Quant à la solution de la pensionpour chiens, il n’en était pas question : trop cruelle.
Il n’y a pas si longtemps, Shmuel Edelblum avait le même genre de problème.
Avant de monter en Israël, il y a dix ans, cet ingénieur du bâtiment originairede Floride laissait toujours ses chiens dans ce qu’on appelle affectueusementdes « villages pour animaux de compagnie » aux Etats-Unis : un lieu où l’onpeut se décharger quelques jours de son compagnon avec la certitude qu’il serabien traité. Hélas, aussi incroyable que cela parut à Edelblum, il n’existaitrien de tel en Israël ! Dans un pays à la pointe du progrès où l’on trouvaitpar ailleurs toutes sortes de services de luxe, nos petits compagnons, eux,étaient encore contraints de vivre au XXe siècle ! Edelblum est depuis toujoursun grand amoureux des chiens. Désormais à la retraite, il élève desAussiedoodles, croisement de caniches royaux et de bergers australiens, à lafois forts et intelligents, et dispose, à Mitzpe Yericho, d’un terrain assezvaste pour accueillir le premier complexe de vacances haut de gamme pourchiens.
Comme en colo
A l’époque où il cogite à son projet, Edelblum rencontre DavidSidman, un éducateur de retour en Israël après plusieurs années passées àBoston. A en croire ce dernier, les chiens séparés de leurs propriétaires ontbesoin d’autre chose que d’une litière confortable et d’une étendue d’herbepour jouer : il leur faut des stimulations mentales et physiques pour rester enbonne santé.
Les deux hommes associent donc leurs forces. Le résultat ? Une combinaisonunique : un « spa pour animaux » et un centre d’éducation canine qui porte lenom sympathique de « Kelevland » (kelev signifiant chien en hébreu).
Kelevland a ouvert fin 2012 et déjà accueilli des dizaines de clients à quatrepattes. A leur arrivée, ceux-ci reçoivent un emploi du temps détaillé qui doitrappeler à leurs propriétaires des souvenirs de colo : lever à 6 heures,promenade de deux heures dans le désert, puis, à 8 h 30, cours d’obéissance. A9 heures, petit-déjeuner et, à 10 h 30, entraînement d’une heure, escalade etsaut d’obstacles. A midi, l’heure la plus chaude, cours de natation dans lapiscine privée de 8 mètres qui leur est réservée (nettoyée aux sels de la merMorte, et non au chlore). Déjeuner à 14 heures, puis c’est quartier libre : lesanimaux peuvent s’ébattre entre eux ou se baigner en attendant l’heure dudîner.
A ce stade, les chiens sont si exténués qu’ils vont se caler avec ravissementsur leur lit-poire, conçu à leur intention par des designers israéliens, dansleur chambre individuelle climatisée équipée d’un écran plasma branché 24heures/24 et 7 jours/7 sur Dog TV (là encore une création israélienne). Unewebcam permet à leurs propriétaires de s’assurer qu’ils dorment bien.
Et le lendemain matin, le programme recommence.
« Nous ne sommes pas une garderie pour chiens », explique Edelblum, « maisplutôt un “Club Med” pour chiens.
Nous voulons qu’à la fin du séjour, l’animal que vous allez récupérer soit “enmeilleure forme” que celui que vous nous avez laissé. »
Un nouveau concept
«C’est un peu comme une start-up », renchérit Sidman.
« C’est un nouveau concept que nous introduisons dans le monde, pour procureraux chiens un changement de vie radical, avec les défis mentaux et physiquesdont ils ont besoin. » Comme pour toute start-up, Edelblum a investi beaucoupd’argent dans la construction de Kelevland, qui comprend les chenils (enfin,les chambres à coucher), la piscine, la pelouse et les parcours d’agilité.Sidman y travaille à plein-temps, tous les jours sauf le Shabbat, et desemployés qualifiés viennent le rejoindre en cas d’affluence.
Tout cela se paie cher : 150 shekels par jour, soit le double, voire le tripled’une pension « normale », même si Sidman estime qu’étant donné la qualité duservice, ce tarif est sous-évalué. On peut ensuite ajouter des extras, commeune promenade au bord de la rivière Ein Prat toute proche, ou encore untoilettage, de longues séances de « Va chercher ! », 20 minutes de caresses surle ventre, ou encore un régime alimentaire particulier. « Si le propriétaireveut que son chien mange du filet mignon saignant, nous le lui donnerons, tantque ce n’est pas néfaste pour le chien », affirme Sidman, ajoutant qu’enréalité, personne ne lui a encore fait une telle demande. Tout comme on ne luia pas encore réclamé de séances d’acupuncture pour chien.
Par la suite, Edelblum et Sidman entendent construire un complexe multiservicepour chiens dans le désert, où l’on travaillera avec une diététicienne quimettra au point des régimes sur mesure à base de viande crue, par exemple.
« C’est bien plus sain que les croquettes achetées en magasin. Avec ça, le poilest plus brillant, les dents plus blanches », indique Sidman.
Parcours canin
L’aventure canine de Sidman l’éducateur débute dès son arrivéeen Israël, en 1999. Aussitôt incorporé dans l’armée, il est affecté à l’unitéOketz, spécialisée dans le dressage des chiens. Ses chiens et lui partent enservice actif, flairant le terrain à la recherche des bombes placées dans lesmaisons de Gaza. Aujourd’hui, l’unité Oketz est très demandée, car presquetoutes les opérations se mènent avec des chiens.
Sidman continue d’effectuer ses périodes de réserve à l’armée, mais à son grandregret, il ne s’occupe plus de chiens.
Après son service militaire, il retourne aux Etats-Unis, où il crée une écoled’éducation canine qui remporte un très grand succès. Il reçoit un diplômeofficiel d’éducation des animaux en pensionnat. Ce n’est pas facile au départ.« J’avais appris à travailler avec des chiens militaires », explique-t-il, «mais je ne savais pas comment éduquer les caniches pour qu’ils ne fassent paspipi sur le tapis du salon ! » Après 4 ans aux Etats-Unis, il choisit derentrer en Israël avec sa femme israélienne et sa petite fille. Il se fait trèsvite une clientèle à Jérusalem en tant qu’éducateur. Par le plus grand deshasards, Edelblum est l’un de ses premiers clients.
Aujourd’hui, Sidman essaie d’importer en Israël l’une des dernières techniquesen matière de dressage canin : le sauvetage en eau, inventé en Italie. Un tuberelié à un gilet de sauvetage est attaché sur le chien, qui rejoint à la nagela personne en danger de noyade. La victime attrape le tube et le chien la tireainsi jusqu’à la rive. Sidman est également spécialiste de la recherche d’objetsdans l’eau, qu’il enseigne à des chiens dans la rivière proche de Kelevland. Ilcontinue en outre à proposer des « visites à domicile » et des séancesd’éducation canine avant ou après ses longues journées de travail avecEdelblum.
Distraire avant tout
Les clients qui inscrivent leur chien pour un séjour àKelevland sont surtout attirés par le côté « spa », explique Sidman : « Ilssont heureux de savoir que leur chien va s’amuser », affirme-t-il. Pendant lesvacances de leurs compagnons, les propriétaires restent en contact avec Sidmanet Edelblum, qui les tiennent informés des progrès de l’animal. Desphotographies sont envoyées par e-mail.
« C’est l’équivalent d’un camp de vacances actives pour les êtres humains »,dit-il, ne plaisantant qu’à demi. « Les chiens reviennent avec une visiondifférente. On ne s’en rend pas forcément compte tout de suite, ils ne semettent pas à sauter dans des cerceaux une fois chez eux, mais ils ont connu denouvelles choses. Nous avons étendu leur horizon. » Un séjour moyen à Kelevlanddure deux semaines et la plupart des clients habitent dans le centre du pays(Kelevland peut venir chercher l’animal chez vous et vous le ramener en fin deséjour). « Nous avons beaucoup de jeunes couples de la région de Tel Aviv », indiqueSidman, « mais aussi des diplomates étrangers. Jusque-là, nous n’avons faitnotre publicité qu’en anglais. » Pour lui, le fait que Kelevland se situe « aumilieu de nulle part » est plus un avantage qu’un inconvénient. « Les gensaiment l’idée que leur chien soit à la campagne, loin du bruit et de lapollution. Nous ne pourrions pas les emmener en promenade au bord d’une rivièredans le Kishon, par exemple », ajoute-t-il, faisant référence au cours d’eautrès pollué qui coule dans la baie de Haïfa.
Monty, le maltais, est revenu de son week-end à Kelevland sans trop seplaindre. Certes, il a eu du mal à quitter sa nouvelle bande de copains (il yavait trois autres « clients », plus la demi-douzaine d’Aussiedoodles quivivent à côté), et il lui a fallu quelques jours pour daigner manger autrechose que le poulet cru qu’Edelbaum lui servait à chaque repas. Quant à savoirsi c’est désormais un meilleur chien qu’avant son séjour, c’est difficile àdéterminer.
« Malheureusement », soupire Sidman, « les chiens ne peuvent pas raconter àleurs maîtres à quel point ils se sont amusés.
J’aimerais bien, pourtant ! »