Rares sont ceux auprès de qui Shimon Peres semble jeune. Mais Georges Loingerest l’un de ceux-là : il était déjà bar-mitsva lorsque le président d’Israëlest né.
Ce Français de 102 ans était en visite le mois dernier en Israël, avec ungroupe de représentants de l’OSE (OEuvre de secours aux enfants), associationpour laquelle il travaille depuis la seconde guerre mondiale. La délégation,qui comprenait, entre autres, son président Jean-François Guthmann et sondirecteur général Roger Fajnzylberg, était venue remettre la médaille d’honneurde l’OSE à Shimon Peres pour ses efforts pour la paix et son action pour lebien du peuple juif. Elle s’était aussi déplacée pour participer à unecérémonie à Yad Vashem en l’honneur de ces Juifs qui ont sauvé d’autres Juifsdurant la Shoah, et pour développer les coopérations avec des organisationssimilaires en Israël.
L’OSE est une organisation internationale basée en France qui fournitprincipalement des soins de santé et sociaux aux enfants. Néanmoins, et depuisun certain nombre d’années, ses services s’étendent aux personnes âgées juiveset non juives. L’OSE, expulsée de Russie pour avoir reçu des médicamentsenvoyés par des Américains (ce qui à l’époque était totalement inacceptablepour le pouvoir communiste) a, en 1933, et après un certain nombre derelocalisations, finalement élu domicile en France.
Déjà bien établie avant le déclenchement de la seconde guerre mondiale, elle aainsi pu, durant la guerre, s’occuper et sauver d’une mort certaine desmilliers d’enfants juifs de France, d’Allemagne et d’Autriche.
Dès le début des hostilités, l’OSE a logé des enfants, parmi eux des enfantsjuifs allemands dont les parents avaient été tués ou déportés, dans deschâteaux et autres établissements situés en France. Quand les Allemandsenvahissent la France, les enfants logés dans le nord ou le centre du pays –zone occupée – sont redirigés vers le sud, zone libre, considérée encore commerelativement sûre.
Au début de la guerre, l’OSE comptait environ 1 300 enfants placés sous saprotection. Un nombre qui n’a cessé de croître avec la progression desconflits. Entre mai 1941 et mai 1942, l’OSE a réussi à envoyer par bateauquelque 350 enfants aux Etats-Unis.
Et quand les Allemands sont rentrés en zone libre, l’organisation, elle, estentrée en clandestinité.
Le jour de son anniversaire
Jeune homme, Georges Loinger entreprend des étudesde professeur d’éducation physique. Au milieu des années 1930, il estprofesseur et principal de la première école secondaire juive de France.Mobilisé par l’armée française quand la guerre éclate, il est fait prisonnieren 1940, peu après la défaite militaire française, et se retrouve incarcérédans un camp de prisonniers en Allemagne.
Paradoxalement, c’est grâce à l’armée allemande qu’il reste en vie : « Ilssavaient que j’étais juif », se rappelle-t-il, « mais l’armée ne voulait paslaisser la Gestapo entrer dans le camp ».
Déjà marié, Loinger entretient une correspondance avec sa femme. C’estd’ailleurs une lettre de son épouse qui le pousse à chercher un moyen des’échapper : « Ma femme avait la charge de 123 enfants juifs dans un château dela famille Rothschild et elle me confiait ses difficultés à prendre soin d’eux.J’ai donc décidé de m’enfuir et, avec mon cousin, emprisonné comme moi dans cecamp, nous sommes parvenus à nous sauver et à rentrer en France pour l’aider.Je suis même arrivé le jour de son anniversaire ! ».
Très vite, Loinger rejoint une des dix unités juives associée avec laRésistance pour libérer les Juifs des camps d’internement allemands. En 1945,vers la fin de la guerre, il participe à une opération militaire réussie pourlibérer des enfants juifs du sud de la France. La Résistance les lui confie etil cherche alors à les faire passer en Suisse.
Loinger se souvient encore de ce voyage périlleux : « Un responsable deschemins de fer – prendre le train à l’époque était évidemment très risqué – m’ademandé d’où je venais et si j’étais juif, je lui ai répondu que je l’étais. »Cela aurait pu lui être fatal, mais c’était sans compter sur son courage et sadébrouillardise : « Je lui ai alors dit que s’il me faisait quoi que ce soit,il n’aurait pas seulement la Résistance juive à ses trousses, mais laRésistance dans son entier, et il m’a laissé tranquille. »
Rendre ses lettresde noblesse à la Résistance juive
Cette opération est l’une des nombreusesactions organisées par Loinger dans le cadre de l’OSE pour mettre à l’abri lesenfants juifs hors des frontières du pays. L’OSE devait trouver des solutionspour une partie des plus de 1 000 enfants juifs sous sa protection : que cesoit pour les cacher dans des villages, des églises, des orphelinats ou chezdes familles du sud de la France.
« Certains de ces enfants étaient issus de foyers religieux et craignaient queleurs parents ne soient pas contents de les savoir manger de la nourriture noncachère. Nous avons alors dû les amener en Suisse avec d’autres, qui eux, nes’entendaient pas avec leurs familles de placement. Nous avons sauvé ainsi prèsde 300 enfants. » Loinger est fier de ce qu’il a accompli durant la guerre,avec ses compagnons juifs membres de la Résistance. « Sur les 300 000 Juifs quivivaient en France avant la guerre – nés en France ou immigrés d’autres pays –environ 76 000 ont péri, dont des membres de ma famille. Mais tous les autres,c’està- dire 220 000 Juifs, ont survécu à la guerre. » Deux de ces « enfants del’OSE » sont devenus célèbres : Elie Wiesel, prix Nobel de la paix, et l’anciengrand rabbin ashkénaze d’Israël, Israël Meir Lau.
Aussi en Israël
Le travail de Loinger à l’OSE va aussi attirer l’attention desdirigeants du Yishouv (la structure juive présente en Palestine avantl’existence de l’Etat d’Israël) : « Leurs services secrets m’ont parlé del’Exodus et de leur volonté d’amener des Juifs en Palestine. Mon travailconsistait à forger des fausses pièces d’identité et de coordonner les choses.11 personnes sauvées par l’OSE étaient à bord de l’Exodus. » Quelques annéesaprès la guerre, Loinger va écrire un livre sur la Résistance, alors que tellen’était pourtant pas son intention : « Le livre de Raul Hilberg, sorti en 1961et intitulé La destruction des Juifs d’Europe, est un véritable monument surl’annihilation du judaïsme européen, mais il ne mentionne pas les unités deRésistance juive. Quand je lui ai demandé pourquoi, il m’a répondu que rienn’avait été écrit là-dessus et qu’il ne travaillait que sur des documentsécrits. J’ai alors dit à mes anciens compagnons de la Résistance qu’il fallaits’y mettre. » Finalement, Loinger a consacré trois livres au sujet.
Les actions de Loinger ne sont pas ignorées puisque, après la guerre, il reçoitune décoration du général de Gaulle, chef du gouvernement provisoire après lalibération de Paris (d’août 1944 à janvier 1946) puis président de laRépublique.
Il ne s’agit d’ailleurs pas là de sa seule décoration. Mais une de celles quilui tient le plus à coeur n’a aucun lien avec le sauvetage d’enfants juifspendant la guerre : « J’ai reçu une récompense du gouvernement français pouravoir aidé au développement de l’industrie nautique dans le sud de la France.J’ai effectivement favorisé la vente de quatre bateaux à Israël ce qui, d’autrepart, a élevé la compagnie Zim au rang des compagnies de transportinternationales.
Zim ne possédait à l’époque que quelques paquebots, ni très grands, ni trèssûrs. Sur les quatre bateaux vendus, le Shalom, construit en France, a ouvertla ligne navale entre New York et Israël. Deux autres, le Etzel et leJérusalem, ont été payés par les réparations allemandes. » Comment Loingers’est-il retrouvé à travailler pour la compagnie Zim ? C’est « tout simple » :« Peu après la création de l’Etat d’Israël, je m’y suis rendu. Une nuit,quelqu’un est venu me dire que Ben Gourion souhaitait me voir. Il voulaitdévelopper Zim et du jour au lendemain, je suis devenu directeur des opérationsde la compagnie en France, en Belgique et au Luxembourg. » Si l’histoire deGeorges est assez connue en France, ce n’est pas le cas en Israël, noteGuthmann, actuel président de l’OSE. « Sa vie mérite d’être mentionnée dansl’histoire du peuple juif, nous voulions donc venir avec lui en Israël.
Il a accompli des choses importantes durant la Shoah et en rapport avec lacréation de l’Etat d’Israël. »
L’OSE : donner et apprendre
Mais les deuxresponsables de l’organisation ne sont pas seulement venus pour rencontrerShimon Peres et assister à une cérémonie à Yad Vashem. Leur but est aussid’étendre l’action de l’OSE à Israël. Nous travaillons dans quatre domaines et60 % de notre travail consiste à s’occuper d’enfants en détresse », pointeGuthmann, « Juifs et non juifs, ils nous sont confiés par la justice parce queleur famille constitue pour eux un danger, pour cause de violence ou deproblèmes de drogue. Le gouvernement français nous verse des subventions quicouvrent tous les frais. » Selon le président de l’OSE, l’organisation s’occupeaujourd’hui de quelque 1 000 enfants (de 0 à 20 ans), dont 300 sont juifs.
Initialement l’organisation se cantonnait exclusivement à la communauté juive,mais cela a changé au long des années.
« Nous avons commencé à nous occuper aussi des enfants non juifs dans lesannées 1980, partiellement parce qu’il y avait heureusement moins de besoinspour les enfants juifs et aussi puisque, dans la mesure où nous sommes devenustributaires du gouvernement, nous ne pouvons nous considérer comme un organismecommunautaire et refuser de prendre soin des enfants non juifs. » Mais l’OSEassiste tout de même la communauté juive française avec des services pour lesenfants handicapés et aide les personnes âgées qui souffrent de la maladied’Alzheimer. L’organisation désire offrir aux organisations et autres groupesle bénéfice de leur expérience dans les domaines qu’elle connaît bien. «Certaines organisations ici font des choses similaires à ce que nous faisons etnous voulons envisager un partenariat avec eux. Nous sommes déjà en contactavec « Les collines de Jérusalem », une organisation d’Abou Ghosh, dont ledirecteur est français.
Elle s’occupe de plus d’une centaine de jeunes répartis sur sept maisonsd’enfants. Des enfants dans la même situation que ceux placés dans les institutionsen France : pour les protéger, la justice les a retirés de la garde de leurfamille.
L’OSE oeuvre aussi de concert avec Eshel, qui fournit des services aux maladesd’Alzheimer.
« Nous savons que nous pouvons apporter notre expérience à des structuresisraéliennes. Cette collaboration n’est pas à sens unique, l’OSE souhaiteégalement bénéficier du savoirfaire israélien.
« Par exemple, il y a une dizaine d’années, lors d’une grande conférence àJérusalem, les assistants sociaux et employés de l’OSE spécialisés dans lessoins aux personnes âgées s’étaient montrés très intéressés par les centres dejour israéliens pour le troisième âge. La structure était rare en France. A lasuite de notre visite, nous en avons créé une pour les malades d’Alzheimer. Etce centre a influencé les soins dispensés aux patients victimes de cettemaladie dans toute la France. Nous ne sommes donc pas venus en Israël justepour montrer ce que nous savons, mais aussi pour apprendre. »