Quand la députée Pnina Tamnou-Shata du parti Yesh Atid, a prononcéson discours d’investiture à la Knesset, pas un oeil n’est resté sec dans leplénum.
La jeune femme de 31 ans, est arrivée d’Ethiopie à l’âge de 3 ans, avec «l’opération Moïse ». Elle a évoqué ce voyage de son Ethiopie natale aux rivesisraéliennes, les vagues souvenirs qu’elle en a gardé, lorsque tiraillée entreespoir et désespoir, elle voyait pour la première fois les soldats de Tsahalqui leur distribuaient de l’eau et des bonbons, l’intensité avec laquelle ellepriait pour que sa mère puisse les rejoindre dans le camp de réfugiés du Soudan.
« Et 28 ans plus tard, me voici debout devant vous, à la Knesset. Moi, filled’Israël, fière d’appartenir à la magnifique communauté juive éthiopienne,femme, juive et noire, dont l’identité a été modelée par tous ces paramètres »,déclarait-elle.
Un discours poignant
Debout sur l’estrade parlementaire, Tamnou-Shata a affirmévouloir combattre, sans attendre, le racisme et les discriminations auxquelselle a dû faire face en grandissant, de pensionnats en mauvais quartiers, pourfinalement arriver à grimper l’échelle sociale et devenir avocate, puisjournaliste (elle a été journaliste juridique pour la chaîne israélienne Aroutz1).
Mais la députée a aussi insisté pour que les griefs et les différends soientmis de côté. Elle souhaite se consacrer à l’amélioration du sort de toute lasociété israélienne, sans exception. Tamnou-Shata est fière d’avoir pu offrirson soutien aux communautés juives et groupes pro-israéliens de par le monde,fière d’avoir été l’ambassadrice de son pays au sein d’organisations comme l’«Appel unifié pour Israël » et la « Fédération juive », en leur faisant valoirce qu’elle appelle « le beau côté d’Israël ». Au terme de son discours, lapremière femme députée israélienne d’origine éthiopienne à faire son entrée àla Knesset s’est levée pour réciter le Chehe’heyanou, la bénédiction aveclaquelle on remercie Dieu de nous avoir « donné la vie et assuré notresubsistance jusqu’à ce jour, et nous permet de vivre ce moment-là ».
Maintenant que le nouveau gouvernement est formé, maintenant qu’elle est membreà part entière de la coalition, Tamnou-Shata peut s’atteler à sa tâche etcommencer sérieusement son travail parlementaire. Elle s’est confiée auJerusalem Post, pour évoquer son passé, sa nouvelle vie en tant que député etses espoirs pour l’avenir.
Pourquoi avez-vous décidé d’entrer en politique ?
Dès mon plus jeune âge,j’ai toujours voulu agir pour que les choses changent. Sans doute parce quej’ai été confrontée très jeune à des injustices. Celles faites aux femmes etaux émigrés qui font leur aliya en général, et celles qui frappent les membresde la communauté éthiopienne en particulier.
Je me suis retrouvée confrontée à un establishment implacable.
Après avoir vu des enfants éthiopiens refusés dans des écoles en raison de leursorigines, constaté que, lors de collectes de sang, celui des éthiopiens étaitrefusé, j’ai commencé à me mobiliser. De plus, il faut savoir que lesÉthiopiens n’ont pas leur propre rabbinat, alors que leur rituel est tout àfait singulier, et c’est la porte ouverte à des discriminations en tout genredans de nombreux domaines.
J’ai grandi dans une famille très sioniste. Chez nous, on positive. On veuttoujours voir la coupe à moitié pleine.
Mais ce n’est pas une raison pour que notre communauté reste à la traîne. Et ily a beaucoup à faire pour faire valoir l’égalité des chances. Je ne suis pasmoins israélienne que les autres. J’avais trois ans en arrivant en Israël, j’aieu des amis de toutes origines dans les pensionnats dans lesquels j’ai été scolarisée.La marginalisation des minorités doit cesser.
J’ai réalisé que toutes les batailles contre le racisme se gagnent par lalutte. J’ai ressenti le besoin d’utiliser le pouvoir que me donne ma position,pour être l’ambassadrice de ma communauté et oeuvrer là ou les décisions seprennent. La Knesset est le lieu où se joue le sort des individus. Même si jene peux pas tout changer, je peux faire en sorte que mes doléances soiententendues et prises en compte.
Pensez-vous que les députés éthiopiens précédents ont représenté leurcommunauté avec succès ?
Shlomo Molla (du parti Hatnoua), mon prédécesseur, afait passer beaucoup de lois. Mais la plupart d’entre elles ne concernent pasnotre communauté. Cela dit, je n’ai pas l’intention de me concentrer exclusivementsur la communauté éthiopienne, non plus. Il ne faut pas oublier que le travaild’un député n’est pas seulement de faire adopter des lois. Il est de saresponsabilité de faire entendre la voix des plus faibles et de défendre lesdroits des minorités de l’ombre. Je veux que les gens de notre communauté aientune influence dans les sphères du pouvoir.
Les législateurs d’origine éthiopienne, ont-ils le pouvoir de faire passerdes lois susceptibles d’aider leur communauté ?
Au début, je pensais que lacomposition de la Knesset n’avait pas d’incidence sur les prises de décisions.Mais j’ai fini par réaliser qu’au contraire, la diversité ethnique parmi sesmembres joue un rôle décisif, parce que leurs objectifs sont différents. Ils nesont pas seulement des professionnels, mais leur travail a aussi une portéepolitique.
Je serai comme le député Ahmed Tibi (Ta’al), qui représente fidèlement sonpeuple. Je rappellerai aux députés que derrière la notion de communauté un peuabstraite et floue, il y a des enfants pauvres et des personnes en souffrancepar manque d’opportunités et de perspectives sociales. On oublie que des êtresde chair et de sang la composent, avec des enfants qui se battent poursurvivre. Ils ne devraient pas avoir à vivre dans ce dénuement ! Le fait que jesois en poste ici contribue à faire évoluer le discours. Le poids de mareprésentation n’est pas négligeable.
Quels sont les premiers projets de loi que vous comptez soutenir ?
Mapriorité sera de faire fermer les écoles qui persistent à pratiquer unediscrimination raciale. Pour les contraindre à renoncer à ces pratiquesdiscriminatoires, il faudra commencer par supprimer les subventions dont cesétablissements bénéficient. Il faut toucher leur porte-monnaie, c’est là où çafait mal. Jusqu’à ce qu’ils comprennent qu’il n’y a pas de place pour lesdiscriminations raciales dans ce pays.
Et s’ils persistent dans leurs pratiques, il faudra fermer ces établissements.
Deuxièmement, j’aurai à coeur de défendre la précarité de l’emploi etl’exploitation des travailleurs les plus fragiles. Je vais encore plancher surla question, mais je pense qu’on ponctionne leurs salaires abusivement, qu’ilsn’ont aucune sécurité de l’emploi et pâtissent de mauvaises conditions detravail. Quand quelqu’un paye 100 shekels pour un travail, mais que celui quil’exécute n’en touche que 20, il y a un problème.
Ce sont les populations les plus faibles qui ont ces emplois précaires, commeles nouveaux immigrants et les mères célibataires. De plus, il est à déplorerque les municipalités ignorent les quartiers pauvres. Chaque ville comporte deces zones de résidence des populations les plus défavorisées, dont la classepolitique se souvient subitement la veille d’élections. Il est temps d’investirpour développer ces périphéries et les quartiers pauvres.
Tamnou-Shata est mariée et mère de deux enfants. Elle a donné naissance à sondeuxième fils en juin dernier, quatre mois avant le déclenchement de ladernière campagne électorale. Elle explique que sa vie de famille et lesépreuves qu’elle a dû surmonter ont influencé son parcours politique, le choixdu parti auquel elle s’est ralliée, et la façon dont elle a fait campagne.
Pourquoi Yesh Atid ?
Il y a des gens étonnants dans le parti Yesh Atid. Quandje suis arrivée, je m’attendais à être confrontée à un parti très hiérarchisécomme partout ailleurs en Israël. Eh bien non. Je ne l’ai pas trouvé ! C’étaittrès stimulant.
Quelle a été l’expérience la plus intéressante au cours de cette campagne ?
Tout d’abord, j’ai senti que les temps sont mûrs pour le changement. L’électiontournait enfin autour des questions sociales. Il est indéniable que la majoritédes électeurs souhaite un changement. Cela m’a rendu très heureuse, car il y aencore quelques années, mon souci de justice sociale n’était pas en tête despréoccupations de la classe politique.
Les Israéliens sont entravés par des problèmes sociaux graves. Cette campagne aété jalonnée de moments forts. J’ai adoré rencontrer les personnes âgées de macommunauté et leur parler de mon enfant du point de vue amharique.
J’ai pu m’adresser à l’ensemble de l’électorat israélien, pas seulement desEhiopiens. Et de voir tant de chaleur et de désir de changement, m’a surpris.
Pensez-vous que les difficultés que vous avez rencontrées dans votre vie vousont amenée là où vous êtes aujourd’hui ?
Je suis heureuse de chaque étape de mavie et des difficultés que j’ai rencontrées. Elles m’ont forgé et chacune acontribué à ce que je suis aujourd’hui. Je suis diplômée en droit. Je n’ai doncpas peur de m’atteler à la loi. J’ai travaillé dans les médias, donc je saiscomment m’adresser à la presse. Mon expérience dans la diplomatie a renforcémon nationalisme et m’a aguerrie aux relations publiques. J’ai parlé à desambassadeurs et des personnes de haut rang, et j’ai appris à parler en public.
Cette nouvelle Knesset compte un nombre record de femmes et d’élus religieux.Pensez-vous que cela va jouer sur son mode de fonctionnement et induire deschangements ?
Je suis traditionnaliste ; je crois en Dieu et je suis shomeretShabbat (je respecte les lois du Shabbat).
Je suis la petite-fille d’un Kes (chef spirituel de la communauté éthiopienne)et j’aime Eretz Israël.
Mais mon mode de vie est libéral. J’ai commencé à observer le Shabbat il y a unan seulement. Je pense que les femmes seront amenées à jouer un rôle majeurdans les années qui viennent.
Nous allons agir avec féminité et élégance, en tout cas je l’espère. Je penseaussi que nous aurons la capacité de prendre les décisions de société quis’imposent et qu’elles porteront leurs fruits. Les statistiques tendent àprouver que plus les femmes sont impliquées dans les décisionsgouvernementales, dans les domaines de l’économie et de la vie sociale,meilleurs sont les résultats.