En 2006, Mahmoud Al-Zahar, cofondateur du Hamas, tentait de contredire lesdéclarations israéliennes sur la chaîne de télévision Al-Arabiya : « Nous necommettons pas d’opérations suicides », déclarait-t-il. « Les Israéliensessayent de nous provoquer en parlant de suicide parce qu’ils savent quel’islam l’interdit. Nos combattants sont des martyrs qui agissent en accordavec l’islam. » Ces propos ne sont pas surprenants. Al-Zahar n’est ni lepremier ni le dernier à employer ce genre d’argumentation pour parler desmotifs des terroristes. Ce qui est plutôt choquant et inquiétant, c’est que lereste du monde soit d’accord avec lui. Bien que l’on parle couramment d’«attentat suicide », des universitaires et des spécialistes de sécuritécontinuent d’insister sur le fait que les terroristes auraient des motifsidéalistes, et seraient mus par une idée de sacrifice et non par une volonté desuicide.
Aux Etats-Unis, en Europe et ailleurs, on enseigne aux étudiants que cesterroristes suicidaires se trouvent dans la position psychologique du soldatqui se précipite au-devant d’une explosion pour protéger ses camarades. Oucomme le dit Robert Pape, professeur américain et ancien conseiller pour deuxcampagnes présidentielles : « Ils sont comme des militaires animés d’un sens dudevoir puissant et d’une volonté de sacrifice pour le bien commun. » Cetteopinion est dangereuse parce qu’elle glorifie ces terroristes et, par là même,encourage les futures recrues.
Mais elle est aussi complètement infondée. J’ai passé plus de trois ans àétudier des transcriptions d’entrevues, des messages, des vidéos de « martyrs »et des témoignages. J’ai observé ainsi plus de 130 cas de terroristes. Or, ilsprésentent les conditions de risques classiques rencontrées dans un cas desuicide conventionnel. Je n’ai, par contre, pas vu une seule fois un terroristepurement motivé par l’idéologie et l’altruisme.
Il faut savoir que ceux qui se portent volontaires pour un acte de terrorismesont généralement en situation de crise dont ils cherchent à s’échapper à toutprix. D’autre part, ceux qui y sont contraints sont habituellement faibles etdésespérés et préfèrent mourir plutôt qu’abandonner ou désobéir.
Dans certains cas, ils admettent leur souffrance et leur désespoir. Unterroriste, Zuheir, a reconnu qu’après des années d’abus physiques par sesparents, il s’était porté volontaire : « non parce que j’appartenais à uneorganisation, mais parce que je pouvais réaliser mon voeu de mourir ». Unautre, Nazima, contraint à perpétrer un attentat, a avoué après son arrestation: « Quand ils m’ont dit que j’allais mener “une action” j’ai beaucoup pleuré,je me suis presque évanoui, tout est devenu noir devant mes yeux… Je leurrépétais que je n’étais pas religieux, que je ne priais pas, et ils m’ont dit :“quand tu mourras, tu seras plus proche d’Allah”. » Ces terroristes sont deshommes désespérés et suicidaires et en aucun cas des martyrs.
Des terroristes suicidaires, sans guillemets
Mais le problème n’est pas là, onl’a vu récemment avec les déclarations faites par l’ambassadeur israélien auxNations unies, Ron Prosor. Celui-ci, comme d’autres le font souvent, a suggéréqu’une lutte antiterroriste efficace consisterait à combattre l’idéologie liéeà la notion de martyr. Celle-ci est en effet glorifiée dans beaucoup de cultureset les personnes prêtes à sacrifier leurs vies pour une cause sont mythifiées.
En cela, l’islam n’est pas différent du christianisme ou du judaïsme. Quandquelqu’un comme Ahmed Tibi, membre de la Knesset dit : « Dans l’histoire desnations et de leurs conflits, le martyr est la source ultime de fierté », il acertainement raison. Le vrai problème est ailleurs : il est dans la confusionentre un attentat suicide et un acte de sacrifice. Au lieu de condamnerl’idéalisation du martyr, les chefs de gouvernement, les universitaires, et lesjournalistes devraient insister sur le fait que les attentats sont des suicidesdéguisés en actes idéaux.
On devrait montrer que les terroristes ne sont pas prêts à sacrifier leursvies, mais cherchent tout simplement à se suicider. Nous en avons aujourd’huila preuve et il est temps de dévoiler cette supercherie.
Israël et ses alliés devraient jouer un rôle majeur dans cette lutte. Ilsdevraient corriger ces idées reçues, trop largement diffusées, qui permettent àdes terroristes suicidaires d’être considérés comme des individus équilibrés etidéalistes.
Des cas célèbres de suicidaires, Cléopâtre, Hemingway ou Sylvia Plath, l’ontclairement montré. On peut être éduqué, intelligent, rationnel, avoir undiscours cohérent et savoir écrire, planifier ses actions et être bien, puis laminute suivante vouloir se tuer.
Peu importe d’ailleurs d’où ils viennent, ou comment ils agissent, si quelqu’unse suicide, c’est parce qu’il ne veut plus vivre, un point c’est tout. Lesterroristes qui se suicident ne sont pas différents, même s’ils tentent dedissimuler leurs problèmes personnels et de se déguiser en combattants pour unecause.
Les dirigeants israéliens devraient inviter les universitaires et journalistesmusulmans à venir parler aux terroristes suicidaires emprisonnés. Ils leurconfieraient leurs véritables motivations. Confrontés à leurs confessions surleur désir de mourir, ces spécialistes verraient enfin la vérité. Ils auraientensuite à informer le public : un certain nombre de terroristes n’auraientjamais pu être de vrais martyrs. On verrait alors d’une autre manière ceux quiprétendent être des shahid et shahida.
Par-delà les discours et déclarations idéologiques, on reconnaîtrait les «martyrs » pour ce qu’ils sont vraiment : des malheureux qui veulent en finiravec la vie.
Finalement, le combat antiterroriste devrait être une campagne sémantique. Ils’agit effectivement de changer le langage des attentats suicides, de façon àce que des termes comme « sacrifice » ou « martyr », ne soient plus utiliséspar des commentateurs, par ailleurs modérés.
L’histoire nous a montré que les mots que l’on entend nous affectent au niveauinconscient et influencent nos opinions et comportements. C’est ainsi que deseuphémismes comme « solution finale » ou « nettoyage ethnique » ont pu êtretellement efficaces – car, au niveau émotionnel, tout le monde a, par exemple,des réactions positives au terme de nettoyage. Il faut appeler les choses parleur nom : lors d’un attentat suicide, les terroristes commettent un « suicide» et leurs motifs sont, oui, suicidaires, sans guillemets.