18 années ont passé et nul n’a encore été jugé pour les attentatsmeurtriers du 18 juillet 1994 contre la communauté juive d’Argentine,l’Asociación Mutual Israelita Argentina (AMIA), à Buenos Aires.
Selon les autorités argentines elles-mêmes, l’attentat, qui a coûté la vie à 85personnes, aurait été commandité par Téhéran et perpétré par un terroriste duHezbollah.
Au terme d’une enquête calamiteuse, que finira par désavouer la magistratureargentine, le pays s’est révélé incapable d’appréhender les organisateurs de cemassacre, qui reste la plus importante agression contre des cibles juives endehors d’Israël depuis la Shoah.
En 1992 déjà, Buenos Aires avait subi un autre attentat, contre l’ambassaded’Israël cette fois, qui avait fait 29 victimes civiles. Là aussi, le Hezbollahet l’Iran, son protecteur, étaient impliqués.
Un déconcertant dialogue entre l’Argentine et le gouvernement iranien a débutéen janvier 2011. Un rapprochement secret qui suivait de longues annéesd’hostilité ouverte.
Aujourd’hui, huit hauts responsables du régime iranien font toujours l’objetd’un mandat d’arrêt international émis par l’Argentine dans le cadre del’attentat de l’AMIA. Cinq d’entre eux figurent sur la liste des « noticesrouges » (avis de recherche) d’Interpol, qui exigent une arrestation immédiateen vue de l’extradition. Et six noms ont été publiés en 2006 : Ahmad Vahidi,actuel ministre iranien de la Défense ; Mohsen Rabbani, ancien attaché culturelde l’ambassade d’Iran à Buenos Aires ; Hadi Soleimanpour, ambassadeur enArgentine en 1994 et aujourd’hui vice-ministre des Affaires étrangères chargéde l’Afrique ; Ali Akbar Velayati, ex-ministre des Affaires étrangères etactuel conseiller en relations internationales de l’ayatollah Ali Khamenei ;l’exprésident Akbar Hashemi Rafsanjani et enfin, Mohsen Rezai, anciencommandant de la Garde Révolutionnaire. Velayati et Rezai sont tous deuxcandidats à la succession de Mahmoud Ahmadinedjad à la présidence de l’Iran.
En 1999, le gouvernement argentin avait en outre émis un mandat d’arrêt contrele super-terroriste du Hezbollah, Imad Moughniyah, qui serait lié aux 2attentats. Mais ce dernier a trouvé la mort en 2008, à Damas, dans un attentatà la voiture piégée.
Les nouveaux amis de Buenos Aires
Désormais, le ministre argentin des Affairesétrangères Héctor Timerman (premier Juif de l’Histoire à occuper ce poste)semble avoir choisi de tourner la page. Dès le 24 janvier 2011, dans la villesyrienne d’Alep, il rencontrait en secret son homologue syrien Wallid Mouallem,ainsi que le président Bashar el-Assad.
Ces liens entre la Syrie et l’Argentine n’étaient pas nouveaux, puisqu’enjuillet 2010, la présidente argentine Christina Kirchner avait déjà reçu Assadà Buenos Aires.
Le voyage en Syrie de Timerman n’a jamais été officiellement reconnu par BuenosAires. Fin mars 2011, Timerman se rend en Israël où, lors d’une conférence depresse commune avec lui, le ministre israélien des Affaires étrangères AvigdorLiberman affirme que ce sujet « a été tiré au clair ». Quelques mois plus tard,en juillet, l’Iran annonce l’ouverture d’un canal de communication avecl’Argentine.
Dans les faits, l’Argentine avait bel et bien engagé des négociations avecl’Iran. Le 23 janvier, veille de la rencontre à Alep, le ministre syrien desAffaires étrangères avait reçu l’un après l’autre ses homologues argentin etiranien. Le lendemain, Timerman quittait Damas pour Alep, où le rencontraientAssad et Mouallem. Et le même jour, Ali Akbar Salehi, ministre iranien desAffaires étrangères, se trouvait lui aussi à Alep.
Pourquoi un ministre argentin accompagnant son président dans une tournée auxEmirats Arabes Unis, au Koweït et en Turquie quitterait-il soudain la missionofficielle pour gagner une ville syrienne très éloignée de la capitale, le mêmejour que le ministre iranien des Affaires étrangères ? Le réchauffement desrelations entre Damas et Buenos Aires date de janvier 2010, lorsque Kirchnerreçoit le ministre syrien de l’Information Mohsen Bilal dans le palaisprésidentiel. Six mois plus tard, Kirchner réserve un accueil chaleureux àAssad à Buenos Aires et, en gage de cette amitié retrouvée, demande qu’Israëlrestitue le plateau du Golan à la Syrie, réaffirme « le droit du peuple palestinienà former un Etat sur son territoire et le droit d’Israël à vivre dans desfrontières internationalement reconnues. » C’est la première visite d’undirigeant syrien en Argentine.
La compassion de l’Iran
Mais si les rencontresde janvier 2011 entre Syriens, Iraniens et Argentins ont été le point de départdu dialogue actuel entre Buenos Aires et Téhéran, le désir d’une cordialitémaximale envers la Syrie avait déjà été manifesté par le mari défunt deKirchner, Néstor Kirchner, lorsqu’il dirigeait le pays.
Cela se passait en 2006, pendant la seconde guerre du Liban, où Israëlcombattait le Hezbollah. Le représentant de la communauté arabe d’Argentine,Roberto Ahuad, avait alors accusé l’Etat d’Israël de pratiquer « le terrorismed’Etat, de la même façon que la dictature l’avait fait en Argentine. » En 2007,le parti argentin au pouvoir (le Front de la Victoire) proposait Ahuad commecandidat au Congrès national.
En 2009, le sénat confirmait sa nomination au poste d’ambassadeur d’Argentine àDamas.
En juillet 2011, l’Iran se déclare alors prêt pour « un dialogue constructif etune coopération avec le gouvernement argentin en vue de faire toute la lumièrepossible sur les attentats de 1994 ». Jamais il n’a accepté de remettre lesindividus incriminés à la justice argentine.
« La République d’Iran », ajoute-t-il, « comptant elle-même parmi les grandesvictimes du terrorisme, condamne toute action terroriste, y compris l’attentatde l’AMIA en 1994, et exprime toute sa compassion aux familles des victimes ».
Mais la communication ne s’arrête pas là : « Le ministère dénonce par ailleursle fait que la recherche de la vérité sur cet acte criminel soit devenue unprétexte à une série de complots et de jeux politiques. Les responsablesargentins de l’époque, dont les activités illégales avaient été découvertes etqui s’étaient vus condamnés par les tribunaux, ont sciemment entravé l’enquêtejudiciaire et se sont arrangés pour que les vrais coupables puissent prendre lafuite, tout en pointant un doigt accusateur sur un certain nombre deressortissants de la République islamique d’Iran. » Aussitôt, le 17 juillet, leministère argentin des Affaires étrangères saluait « les progrès sansprécédents et très positifs réalisés par les autorités de la République islamiqued’Iran dans l’affaire de l’AMIA ».
La mise en garde d’Israël
Réagissant le jour même aux propos iraniens,l’ambassadeur d’Israël à Buenos Aires, Daniel Gazit, se montre pluscirconspect. « Cela ne signifie rien », déclare-t-il. « Si les Iraniens souhaitentcoopérer, ils doivent avant tout livrer les inculpés que réclame la justiceargentine. Il y a des gens qui avaient joué un rôle dans l’attentat de l’AMIAqui, par la suite, ont reçu des honneurs en Iran, au Liban et de la part dugroupe terroriste Hezbollah. » Le 28 octobre dernier, le premier tour despourparlers entre l’Iran et l’Argentine qui se déroulait à Genève s’est soldépar un échec. L’idée était de « se mettre d’accord sur des mécanismesconsensuels pour permettre que les auteurs de l’attentat de 1994 soient jugés». Tandis que Timerman qualifiait ces premiers contacts de « positifs », RaminMehmanparast, porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères,annonçait : « Le gouvernement de Téhéran condamne et rejette les accusations deterrorisme lancées contre certains de ses citoyens ».
Côté économique, les exportations de l’Argentine vers l’Iran sont passées de 84à 371 millions de dollars en 2008, puis à 1 455 en 2010 et à 1 189 en 2011. Leséchanges entre les deux nations ont atteint le chiffre de 1 085 millions dedollars en 2011 et se sont encore accrus en 2012.
Selon La Nación de Buenos Aires, grand quotidien argentin, l’Argentine commercede plus en plus avec des régimes dictatoriaux ou autoritaires ces dernièresannées : une part des exportations qui s’élève aujourd’hui à 24 %, dont unegrande partie vers l’Iran, alors que l’Etat néglige des marchés qui serévéleraient pourtant plus compétitifs.
Le 30 octobre dernier, Israël a mis en garde l’Argentine : Jérusalemn’approuvera pas un accord Argentine-Iran qui n’inclue pas l’extradition des 8suspects et le versement de dommages et intérêts aux familles des victimes.C’est d’ailleurs la position d’Alberto Nisman, le procureur argentin dansl’affaire de l’AMIA, pour lequel il ne fait aucun doute que l’Iran et leHezbollah sont les coupables.
« Aucune preuve tangible »
En octobre dernier, Itzhak Shoham et Reuven Azar,chargés de l’Amérique latine au ministère israélien des Affaires étrangères, sesont rendus à Buenos Aires, mais n’ont pas été reçus par Timerman, a révélé lequotidien Haaretz. Selon cette même source, Israël aurait prévenu l’Argentineque l’Iran pourrait bien utiliser le rapprochement des deux Etats pour menerl’enquête dans une impasse.
En septembre, Timerman avait rencontré le ministre israélien des Affairesétrangères Liberman à New York et lui avait affirmé que son pays ne selaisserait pas abuser par les Iraniens et qu’il continuerait à réclamerl’extradition des suspects.
Le 31 octobre toutefois, d’après la chaîne d’Etat iranienne Press TV, leministère des Affaires étrangères iranien déclarait que c’était sous unepression intense des Etats-Unis et d’Israël que l’Argentine avait accusé l’Irande l’attentat. « Les procureurs argentins », affirmait-il, « n’ont aucunepreuve tangible. Ils se sont fondés sur des déclarations fausses etcontradictoires de dissidents iraniens qui cherchaient l’asile politique enOccident pour proférer leurs accusations contre la République islamique. » Unnouveau round de pourparlers est prévu dans les prochaines semaines. D’ici là,il n’existe qu’une seule façon relativement cohérente pour le fantasquegouvernement de Kirchner d’émerger de ce fiasco avec, au moins, une partie desa réputation intacte : abandonner le « dialogue ». Téhéran ne négociera rien,surtout en présence d’un gouvernement comme celui de l’Argentine, qu’il necraint pas et qu’il respecte encore moins.