C’estostensiblement dans le cadre du sommet de la Coopération islamiquequ’Ahmadinejad s’est rendu au Caire. En fait, il voulait explorer commentdévelopper les relations avec l’Egypte. C’était sa troisième rencontre avecMorsi depuis l’élection de ce dernier à la présidence en juin 2012. Comme lesdeux précédentes, elle se tenait dans le cadre d’une réunion internationale ouislamique, mais les observateurs n’ont pas manqué d’observer la chaleur desaccolades et les longues discussions. Il est clair que les deux hommescherchent à tourner la page de l’ère Moubarak.
Khomeini avait rompu les relations diplomatiques avec l’Egypte pour protestercontre l’accord de paix avec Israël ; plus tard, l’Iran n’a pas ménagé sesefforts pour renverser le régime Moubarak, par les actions subversives del’organisation terroriste Gama’a al Islamiya qui s’est livrée à une séried’attentats dans la dernière décennie du vingtième siècle et a failliassassiner le président à Addis Abeba en 1995. Moubarak était « coupable », nonseulement de respecter le traité de paix, mais encore d’être le fidèle allié del’Amérique ; il avait pris la tête du front des états arabes pragmatiques –Arabie Saoudite, pays du Golfe, Jordanie et Maroc – contre l’Iran des Ayatollahs.
Lorsque Téhéran a proclamé que Bahreïn était en fait la quatorzième région del’Iran menaçant ainsi l’indépendance du petit Etat, Moubarak s’est renduimmédiatement dans la capitale, Manama, pour avertir Téhéran de ne pas mettreses menaces à exécution. Le président égyptien – et son allié américain –constituait le rempart des pays du Golfe contre leur voisin iranien.
Aujourd’hui, nouvelle donne. Le premier ministre des Affaires étrangères aprèsla chute de Moubarak – Nabil elArabi – s’est empressé de déclarer « La nouvelleEgypte n’a pas d’ennemis », et a laissé entendre que ses propos s’adressaient àl’Iran. Des propos bientôt suivis par des actes.
Des personnalités iraniennes de haut rang sont venues plus ou moins secrètementau Caire, alors gouverné par le Conseil suprême des forces armées. Desbâtiments de guerre iraniens ont reçu l’autorisation de transiter par le canalde Suez, en route pour la Méditerranée où ils s’apprêtaient à faire unedémonstration de force.
Le comité des quatre ?
Téhéran répète en toute occasion souhaiter améliorer lesrelations avec le Caire et rétablir les liens diplomatiques.
Un message que le ministre iranien des Affaires étrangères est venu transmettreen personne, il y a quelques jours.
Parallèlement, selon le quotidien koweïtien Alkabas, le chef de la force Alkuds– l’élément moteur de la Garde révolutionnaire iranienne –, a effectué unevisite secrète au Caire. Il aurait été invité à venir expliquer comment mettresur pied un corps d’élite distinct de l’armée et qui ne devrait allégeancequ’au président Morsi.
Selon certaines informations, les Frères musulmans seraient en train de formerune milice spéciale chargée de protéger le régime ; cette milice serait presqueopérationnelle.
On parle beaucoup depuis la révolution de la nécessité pour l’Egypte dedévelopper des relations économiques et commerciales, ainsi que le tourisme etles liaisons aériennes avec l’Iran. Les deux pays, qui comptent ensemble plusde 160 millions d’habitants, ont tout à y gagner. Les Iraniens promettentd’importants investissements dans l’industrie égyptienne, qui en a un besoinurgent. Ce n’est pas tout.
Les Frères musulmans et leur chef, le président Morsi, sont trop préoccupés parla crise politique interne pour formuler une véritable politique étrangère. Onsait pourtant qu’ils voudraient mettre sur pied un forum arabo-islamique pourtraiter des problèmes de la région.
C’est pourquoi Morsi avait suggéré la formation d’un comité de quatre – Egypte,Arabie Saoudite, Turquie et Iran – pour résoudre la crise syrienne. Cetteinitiative a rapidement échoué, la Turquie et l’Arabie Saoudite ayant quitté lecomité, compte tenu de leur opposition à la politique de Téhéran.
Morsi a voulu faire un nouvel essai la semaine dernière à l’occasion du sommet,mais l’Arabie Saoudite a refusé de participer. Le roi Abdallah et lesdirigeants des pays du Golfe se méfient de l’Iran qu’ils accusent de se livrerà des opérations subversives ; ils sont aussi très inquiets de son programmenucléaire et de son soutien à la Syrie.
Ils accusent le régime des Ayatollahs d’encourager les minorités chiites de larégion – notamment à Bahreïn, Koweït et en Arabie Saoudite – à se rebellercontre les régimes sunnites de ces pays.
Ils sont préoccupés par l’influence grandissante de l’Iran sur l’Irak où lepouvoir est passé des sunnites aux chiites à la suite de l’intervention alliéepuis du retrait de leurs troupes.
La Turquie est en crise ouverte avec l’Iran sur la question syrienne.
Le baiser du roi
Ces considérations n’empêchent pas les Frères Musulmans derechercher une meilleure entente avec Téhéran. Ils ne veulent surtout pas d’unconflit ; ce qui les intéresse, après leur succès en Egypte et en Tunisie,c’est de voir leur influence s’étendre sur l’ensemble du Moyen-Orient, àtravers les mouvements qui leur sont affiliés, notamment en Libye et en Syrie.
Ils ont le sentiment d’avoir le vent en poupe et ne veulent pas raterl’occasion exceptionnelle qui leur a été accordée et qui ne se reproduira sansdoute pas. Morsi est convaincu que la chute d’Assad est inévitable et ne veutpas entendre parler d’une intervention armée des Etats-Unis ou d’autres paysoccidentaux qui déstabiliserait davantage encore la région.
En attendant il parle aussi peu que possible de la Syrie, et en termes modérés,tout en soulignant que l’Iran aura son rôle à jouer ce qui ne peut que plaireaux Ayatollahs.
Morsi pense également qu’il est possible d’arriver à un modus vivendi entrel’Arabie et l’Iran.
Le roi Abdallah cherche lui aussi à apaiser les tensions dans la région et amontré sa bonne volonté en laissant les bâtiments de guerre iraniens en routepour le canal jeter l’ancre à Djeddah, « s’agissant d’un simple exercice etdans le cadre des bonnes relations régionales » selon le communiqué saoudien.
Le roi a même embrassé Ahmadinejad avec la plus grande amabilité lors de savenue à La Mecque pour le sommet économique islamique l’an dernier. Il fautdire que depuis la chute de Moubarak, les relations entre le royaume et lespays du Golfe avec l’Egypte se sont nettement dégradées du fait des activitéssubversives des Frères musulmans dans la région. Il y a peu de temps lesEmirats Arabes Unis ont arrêté un groupe de Frères qu’ils accusent d’avoirvoulu faire tomber le régime.
Les jeux sont faits
On se demande cependant si, compte tenu de l’antagonismeprofond entre l’islam chiite et l’islam sunnite, il peut y avoir un accordentre les Ayatollahs qui veulent instaurer l’hégémonie chiite sur tout leMoyen-Orient à l’aide de ses alliés – Irak, Syrie et Hezbollah – et les Frèresmusulmans qui ne ménagent pas leurs efforts pour imposer le sunnisme le plusextrême sur cette même région.
Le cheikh d’Al Azhar qui a rencontré Ahmadinejad au Caire la semaine dernièrel’a averti de ne pas provoquer les chiites contre les sunnites. On ne pouvaits’attendre à moins de ce chef religieux. Seulement nécessité n’a pas de loi etla Confrérie est prête à tout pour se maintenir au pouvoir ; elle poursuit doncses efforts pour trouver un terrain d’entente avec l’Iran en se concentrant surles intérêts communs et en laissant de côté les points d’opposition.
L’Iran, pour sa part, regarde avec inquiétude l’évolution de la situation auMoyen-Orient et appréhende la chute de son fidèle allié syrien qui rendrait plusdifficile ses liens avec le Hezbollah. Il ne veut surtout pas se trouver isoléet se montre donc disposé à trouver ce terrain d’entente – au moins jusqu’à cequ’il ait pu réévaluer ses intérêts dans la région.
L’Amérique et le traité de paix avec Israël ne sont pas absents des calculségyptiens. Le président Obama a montré sa sympathie vis-à-vis du régime desFrères ; dès sa réélection il a par ailleurs déclaré qu’il pèserait de tout sonpoids pour trouver une solution diplomatique au nucléaire iranien – sans pourautant renoncer aux autres options. Il n’aurait sûrement aucune objection à unrapprochement Iran-Egypte qui faciliterait les efforts de la diplomatieaméricaine.
Certes l’hostilité des Frères vis-à-vis d’Israël n’a rien à envier à celle deTéhéran, mais Ahmadinejad a tendu la perche à Morsi en déclarant au quotidienAl Ahram, le 6 février, « que l’Iran ne menaçait pas d’attaquer l’ennemisioniste et ne développait son potentiel militaire qu’à des fins défensives. »Il ne faudrait pas qu’Israël prenne pour argent comptant des propos destinés àfaciliter l’entente avec l’Egypte sans mettre en danger les liens de ce paysavec les Etats-Unis.
Pour le moment, les relations diplomatiques n’ont pas été reprises – malgré lestrois rencontres entre les chefs d’état et les nombreuses visites depersonnalités iraniennes au Caire.
La presse égyptienne ne semble pas s’opposer à une reprise.
Bref, les jeux sont faits, même si personne ne veut le dire tout haut.