Le plus grand projet urbain jamaisimaginé pour Tel- Aviv est en préparation. La rue Hamasger, zone industriellede la Ville blanche, connue pour sa myriade de garages crasseux et de magasinsde matériel informatique, va radicalement changer de visage. C’est du moins cequ’a prévu la municipalité.
Considérée comme une véritable décharge par les habitants, ce quartier sud-estde Tel-Aviv est coincé entre l’autoroute Ayalon à l’est, la rue Hamasger àl’ouest, la rue LaGuardia au sud et la rue Itzhak Sadeh au nord. Selon lesplans dessinés par une équipe d’ingénieurs et d’architectes – actuellement enphase d’approbation par la commission des prévisions et des constructions duministère de l’Intérieur - cet espace de 330 000 mètres carrés de petitsimmeubles deviendra en dix ans une nouvelle zone résidentielle et commercialede luxe.
S’ajouteront de vastes jardins et espaces verts, un centre commercialcomprenant magasins et restaurants, et des tours qui modifieront éternellementle visage de la ville et en feront l’égale des autres grandes métropolesmondiales.
Rendre le quartier des affaires accessible
Shmouel Decker en connaît un rayonsur l’immobilier. Un quart de siècle après avoir fondé une entreprised’ingénierie civile qui s’est fait une réputation à l’international, ce diplômédu Technion (Institut israélien de technologie) fait partie des dizainesd’entrepreneurs embarqués sur le projet. Pour résumer, il dira seulement : ilétait temps. « Les autorités municipales ont enfin compris que l’axe del’autoroute d’Ayalon et ses alentours sont le centre urbain de la grandemétropole tel-avivienne », explique-t-il depuis ses bureaux dans le quartier deYad Eliyahou. « Cette idée est arrivée avec 20 ou 30 ans de retard sur le mairede Ramat Gan Zvi Bar. Et c’est pourquoi tout le quartier de la finance et ducommerce de diamant s’est monté là-bas ».
La société de Decker devrait jouer un rôle déterminant dans la constructiond’un bâtiment à 4 étages qui servira de terminus à une ligne de métrosouterraine, sur l’emplacement actuel du carrefour de Beit Maariv. Il ne taritpas d’éloges sur la conception visionnaire de l’ancien maire de Ramat Gan.
« Si l’on observe la concentration de bâtiments jouxtant l’autoroute d’Ayalon,c’est Bar qui les a construit. C’est lui qui a fait avancer les choses et qui apoussé les entrepreneurs à bâtir dans la zone. Il est le premier à avoircompris qu’Ayalon est l’artère la plus importante de toute la région Dan, etpas seulement de Tel-Aviv. Il a intégré cela rapidement et fait de Ramat Gan unendroit extraordinaire ».
Le large plan de rénovation urbaine prévoit l’élévation de quinze tours quiappartiendront aux plus grands conglomérats de l’immobilier, dont le groupeMeshulam Levinstein, les frères Azouri, le patrimoine Shevet Moshé et desdizaines d’autres investisseurs. Selon Decker, qui construira également unetour de 14 étages sur la rue Hamasger pour servir de siège social à de grandescompagnies, les urbanistes ont finalement compris que le centre commercial ethigh-tech de la ville doivent être relocalisés dans une zone facile d’accès.Les grandes banques et entreprises financières qui se situent actuellement surle boulevard Rothschild ou la rue Yehouda Halevi sont difficiles à atteindrepour les automobilistes. En effet, les impasses et rues étroites y sontnombreuses. Le plan de rénovation permettra aux employés d’arriver directementpar Ayalon, ou encore par le métro.
« Pour gagner le centre de Tel-Aviv et lequartier de Rothschild, on met plus de 30 minutes entre Ayalon, ou le boulevardMenahem Begin, qui prolonge la route Namir et l’Autoroute 2 », explique Decker.« C’est une véritable Via Dolorosa. Les autorités ont enfin compris qu’il fautabsolument tracer aujourd’hui des plans qui porteront leurs fruits dans 20 ou30 ans ». Aharon Maduel siège au conseil municipal de Tel-Aviv. Représentant d’« Ir Lekoulanou » (une ville pour nous tous), formation affiliée au particommuniste et judéo-arabe Hadash, Manuel donne régulièrement de la voix contrela politique urbaine de la ville. Voilà longtemps qu’il dénonce la favorisationdes intérêts des riches promoteurs immobiliers aux dépens des habitants quipeinent à s’ajuster aux conséquences économiques de l’embourgeoisement galopantde la ville. Cette fois-ci, il est néanmoins favorable aux plans annoncés, touten y ajoutant sa propre patte. « Le quartier est traditionnellement parsemé detours donc je soutiens le projet en principe », dit-il. « La rue Hamasger et leboulevard Menahem Begin sont de larges axes de transports en commun, et on va yajouter un tramway. De la sorte, aucun quartier résidentiel ne sera touché etcela n’endommagera pas le tissu urbain. Cette zone est tout à fait adaptée àune construction en hauteur ».
Cols blancs contre cols bleus
Restent ceux qui payeront malgré tout le prix :les petits et moyens commerces, principalement des magasins de réparation devoitures, qui seront incapables de suivre l’inévitable hausse de prix. «L’impact sur les cols bleus qui vivent dans le quartier à l’heure actuelle seraà déplorer », note Maduel. « La municipalité repousse systématiquement lesaffaires industrielles et les garages à l’extérieur de la ville. Tous lesefforts sont faits pour qu’ils s’en aillent et c’est dommage ». Et de continuer: « nous devons protéger ces gens. Pas seulement là-bas, c’est tous les petitscommerces de Yaffo et du sud de Tel-Aviv. Il faut maintenir ces endroits pourque les ouvriers puissent rester en ville ». Amiram Kalay a toujours vécu àTel-Aviv. Il détient un garage pour Mazda et Ford sur la rue Twersky depuis 1964.Il a vu ses activités chuter, comme dans toute la zone industrielle du sud deTel-Aviv, en particulier depuis que la récession économique touche les servicesde réparation automobile. A 63 ans, Kalay aura pris sa retraite depuislongtemps quand la rénovation sera achevée. « Cela ne m’affectera pas parce queje suis propriétaire », déclare-t-il. « En revanche, je serais concerné si lamairie transformait Itzhak Sadeh en rue piétonne. La circulation sera en partiebloquée et les voitures auront du mal à arriver jusqu’ici ». Le ralentissementéconomique s’est largement fait sentir cette année, avec une baisse de 25 %d’activité par rapport à l’année dernière. Sans relance à l’horizon, Kalays’est résigné à voir disparaître son secteur de la capitale économique du pays.« Je ne serai plus là dans dix ans », prédit-il, « je ne tiendrai pas le coup.Avant, la zone industrielle était florissante. Les ateliers de polissage dediamant étaient là, avant qu’ils aillent à Netanya. C’était très vivant. Maisle temps passant, les gens sont partis ». La rénovation devrait s’avérer uneaubaine pour la municipalité qui pourra collecter un impôt bien supérieur auxentreprises qui s’installeront. Kalay sait que la transformation du quartierfinira par évincer les petits commerces qui ne pourront pas faire face auxlourdes charges. « Beaucoup sont locataires ici, c’est donc un problème »,analyse-t-il.
« De mon point de vue, j’espère que cela se développera et que le quartierdeviendra très à la mode avec des milliers de nouveaux appartements. Mais je nepeux pas influencer les plans de la mairie. S’ils vont jusqu’au bout, mapropriété prendra énormément de valeur, donc j’en bénéficierai ».
L’homme possède une licence à vie pour son garage, ce que les autorités nepourront pas modifier. « S’ils veulent que je bouge, il va falloir medédommager », lance-t-il. « Je ne déplacerai pas mon garage. Je n’ai pas lapatience de rouvrir à Holon ou à Kyriat Arieh (à Petah Tikva). Je suis àTel-Aviv.
Où sont donc les zones industrielles de la ville ? Je n’en vois pas. Mais si lamunicipalité alloue des terrains pour une nouvelle zone, nous y achèteronsprobablement ».
Pour Decker, l’évacuation des garages et des magasins industriels pourraitprendre « plus de 20 ans » car la municipalité devra trouver des accords dedédommagement avec les propriétaires qui ne partiront pas sans se battre.
Selon le quotidien économique Calcalist, la rue Hamasger pourrait être rénovéeen 13 ans, si les batailles judiciaires ne retardaient pas trop l’échéance.