Les nouveaux « judaïsants »

Comment les pentecôtistes américains cherchent à se rapprocher du judaïsme, au point d’adopter ses pratiques, et de militer haut et fort pour la sécurité de l’Etat d’Israël

Baptême dans le Jourdain (photo credit: YONATHAN WEITZMAN)
Baptême dans le Jourdain
(photo credit: YONATHAN WEITZMAN)
Des chrétiens de plus en plus juifs ! Un raccourci certes, mais qui illustre une certaine réalité. Le nombre de chrétiens, notamment américains, appartenant au courant évangélique et qui revendiquent leur proximité avec la religion juive ne cesse de croître. Ils en adoptent les symboles, les pratiques, et plaident pour le retour des juifs en terre d’Israël, une étape nécessaire selon eux, avant le retour sur terre du Messie, Jésus.
Les chrétiens de ce courant mettent avant tout l’accent sur la Bible, et en particulier sur les figures des prophètes, qui représentent pour eux des modèles de missionnaires. Animés d’une ferveur et d’un militantisme souvent virulents, leur montée en puissance de par le monde peut parfois inquiéter. On sait notamment qu’ils ont joué un rôle important dans l’élection du président Donald Trump.
Rappelons-nous de l’épisode très médiatisé lors de la campagne présidentielle américaine, quand le révérend Wayne T. Jackson de l’Eglise « Great Faith Ministries International » de Detroit, a convié le candidat républicain à une cérémonie religieuse le 1er septembre 2016, un chabbat, pour exprimer sa proximité avec la religion juive. Lors d’une cérémonie solennelle retransmise à la télévision devant des millions d’Américains, il a enveloppé Donald Trump dans un talit bleu et blanc, le châle de prière juif, et n’a pas hésité à glorifier le milliardaire, allant même jusqu’à dire qu’il transmettait en quelque sorte la parole divine. Il l’a présenté comme l’homme étant capable de fédérer les Afro-Américains, balayant certains propos tenus par Trump les semaines précédentes et qui avaient été qualifiés de racistes. Pour finir, Jackson a gratifié Trump d’un exemplaire du livre Jewish heritage study Bible rédigé par le Dr Everette Gaddy, un ouvrage dont il s’est lui-même inspiré et qui explique toutes les traditions, pratiques et origines du judaïsme, ainsi que ses liens avec le christianisme.
Cette visite controversée a fait couler beaucoup d’encre et en a indigné plus d’un. Elle était pourtant dans l’air du temps, car les chrétiens évangéliques, désireux de se replonger dans les racines du christianisme, ont un rôle influent et sont de plus en plus nombreux dans la société américaine
Le révérend Jackson appartient au mouvement pentecôtiste, une branche du courant des évangéliques. Il a fondé son Eglise à Detroit et est à l’origine d’une chaîne de télévision Impact network, à destination d’un public chrétien afro-américain. Il a également publié plusieurs livres à succès. Jackson est l’exemple même du dignitaire religieux pentecôtiste moderne, soucieux de son indépendance et désireux de pratiquer sa foi en toute liberté. Il revendique haut et fort les racines juives du christianisme, et dénonce ceux qui, parmi la communauté chrétienne, négligent ces origines.
De plus en plus d’adeptes adhèrent au mouvement pentecôtiste au sein du monde chrétien. Ils sont aujourd’hui quelque 500 millions de fidèles dans le monde à s’opposer aux tenants d’une orthodoxie chrétienne qui considèrent qu’intégrer les concepts, les pratiques et les symboles du judaïsme peut se révéler dangereux. Il ne faut pas oublier, en effet, que depuis la naissance de celui-ci, les disciples de Jésus ont cherché à se distancer du judaïsme, s’attachant à répertorier les différences entre les deux croyances.
Le judaïsme a été dépeint comme une religion de lois, de règles à respecter, alors que le christianisme est considéré prônant l’amour et la foi avant tout. Cependant, les contrastes entre les deux religions sont nettement moins affirmés chez les pentecôtistes. Ce courant, né à la fin du XXe siècle, s’attache au contraire à revaloriser les racines juives du christianisme et souhaite « judéiser » (selon les termes chrétiens) l’ensemble de son Eglise. Pour ses adeptes, embrasser le judaïsme n’est pas interprété comme dangereux mais au contraire légitime, salvateur : à leurs yeux, cela s’apparente à un retour aux Ecritures saintes et aux sources authentiques de la foi chrétienne.
Repenser Jésus
Etudier la vie de Jésus, comprendre l’évolution de l’homme, mettre en exergue ses origines juives et ses éventuelles contradictions, ont de tout temps passionné les théologiens, autant chrétiens que juifs. L’historien Joseph Klausner a été un des premiers juifs à écrire un livre consacré à Jésus. Son ouvrage Jésus de Nazareth ; Son temps, sa vie, sa doctrine, paru en hébreu pour la première fois en 1922, est un des plus importants sur la vie de celui-ci. Il estime que « Jésus est le plus juif de tous les juifs… plus juif même que Hillel », pourtant qualifié d’une des plus importantes figures de l’histoire du judaïsme. Klausner bat en brèche de nombreuses idées reçues sur l’antijudaïsme de Jésus, et s’est de ce fait opposé à de nombreux intellectuels chrétiens, réticents à assumer l’héritage juif de celui-ci. Pour Klausner, Jésus était un juif qui appartenait au mouvement pharisien, bien qu’il ait entretenu des points de divergences avec cette communauté.

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Certains chrétiens ont toutefois fini par adopter les thèses de Klausner, justifiant leur choix en démontrant que les affirmations de l’historien étaient validées par les faits historiques et les découvertes archéologiques. Le célèbre archéologue biblique William F. Albright corrobore ainsi les travaux de Klausner. En participant à l’étude sur l’authenticité des manuscrits de la mer Morte, il a notamment conclu qu’il existait un « lien indissociable entre la préchrétienté judaïque et la chrétienté », et souligné que « le Nouveau Testament est en fait plus juif que nous ne le pensions ».
Brad H. Young, professeur à l’Université chrétienne évangélique d’Oral Roberts en Oklahoma, évolue dans la même mouvance. Après avoir étudié à l’Université hébraïque de Jérusalem sous la direction du chercheur David Flusser (également auteur d’une biographie de Jésus, parue en 1969), il est devenu une figure importante au sein des pentecôtistes. Dans un livre intitulé Jésus le théologien juif, Young déplore le processus de « déjudaïsation » exprimé par les premiers chrétiens et le rejet de leurs racines juives.
Aujourd’hui, nombre d’experts se concentrent sur les affinités entre les deux croyances. Des chercheurs comparent maintenant Jésus, Paul de Tarse et d’autres célèbres figures chrétiennes aux rabbins contemporains. Les théologiens insistent sur la compatibilité de la pensée juive avec le christianisme, tandis que les pasteurs évangéliques évoquent une tradition « judéo-chrétienne ». Tous prennent comme socle l’identité juive de Jésus.
La judaïsation de Jésus a des incidences sur de nombreux aspects de la vie religieuse et influence la pratique de la foi et la politique des chrétiens évangéliques. Il ne s’agit pas uniquement de débats intellectuels entre théologiens et experts universitaires. Cette mouvance influe concrètement sur la manière dont des millions de chrétiens de par le monde vivent leur foi, se définissent politiquement, choisissent leurs lieux de pèlerinage ou leurs objets de culte.
Israël, un foyer spirituel
Mike Huckabee, un homme politique républicain, ancien candidat à la présidentielle américaine et pasteur baptiste, est un fervent partisan d’Israël. Il s’y est rendu à de multiples reprises, et y a accompagné de nombreuses délégations d’évangéliques américains, à qui il fait découvrir les lieux saints. Au cours de ces voyages, il se fait fort de souligner les liens étroits entre le judaïsme et le christianisme.
La forteresse de Massada, où s’étaient réfugiés les zélotes juifs pour échapper aux Romains, fait partie des lieux de pèlerinage qu’il fait visiter. Massada relate un épisode tragique de l’histoire juive quand, en 73 après J.-C. et après trois ans de siège, les juifs, refusant d’être pris par les Romains et sachant leur fin proche, se sont suicidés collectivement. Ce lieu historique est présenté par Mike Huckabee comme un lieu de souvenir et de pèlerinage également pour les chrétiens.
En 2016, plus de 300 000 chrétiens évangéliques ont visité Israël, soit 40 % de la totalité des chrétiens américains qui se sont rendus en Terre sainte cette même année. La plupart d’entre eux estiment que cette terre est leur « foyer spirituel ». Les évangéliques sont aussi très attirés par les objets de culte juifs dont le chofar (instrument de musique réalisé à partir d’une corne de bélier) et le talit, l’étude de la Torah, l’apprentissage de l’hébreu pour réciter les prières et le respect du chabbat. Lors de leur voyage, ils achètent aussi bien des huiles saintes que des CD éducatifs ou des livres écrits par des rabbins.
La fascination chrétienne pour la Terre sainte ne se limite pas aux seuls pentecôtistes. Catholiques, orthodoxes et protestants sont également passionnés par la découverte des lieux bibliques. Mais les pentecôtistes sont ceux qui font preuve d’une véritable ferveur lors de leurs voyages en Israël, car ils adoptent véritablement les pratiques juives. Au point que certains sont d’ailleurs devenus extrémistes dans leur pratique, et forment des groupes marginaux au sein du mouvement.
En 1900, déjà, l’évangéliste de Chicago John Alexander Dowie n’avait pas hésité à nommer « Sion » sa communauté religieuse sur les rives du lac Michigan, après avoir déclaré être une réincarnation du prophète Elie. Dowie se drapait dans des longues robes pour ressembler aux dignitaires religieux des temps bibliques, et s’est attaché à développer les pratiques juives au sein de sa communauté.
D’autres hommes ont suivi cette voie. En 2012, Ralph Messer, qui s’est autoproclamé rabbin, a dirigé une cérémonie de couronnement en l’honneur du pasteur de l’Eglise de Georgie, Eddie Long, en l’enroulant dans des rouleaux de la Torah, et en déclarant qu’une « âme royale émanait de lui ». Par la suite, Long a été au centre d’un scandale sexuel impliquant des mineurs. En 2009, Messer s’était livré à la même cérémonie pour Paula White, la célèbre télévangéliste, devenue depuis la conseillère spirituelle du président Trump.
Au sein des évangéliques, Messer est un personnage controversé et dénoncé aussi bien par des chrétiens que par des juifs. Il est identifié au courant du « judaïsme messianique », un mouvement religieux issu du christianisme qui combine la théologie chrétienne avec une pratique religieuse partiellement juive. Ses fidèles se définissent ainsi comme des juifs affirmant la messianité de Jésus (Yeshoua). Plusieurs tendances existent dans cette mouvance, dont la plus connue est « les juifs pour Jésus » (Jews for Jesus).
Certains rabbanim orthodoxes s’efforcent de tendre la main à cette mouvance chrétienne évangélique. Le rabbin Shlomo Riskin, fondateur de l’implantation d’Efrat en Judée-Samarie, fait partie des juifs qui plaident pour le rapprochement entre les deux communautés religieuses. Il dirige depuis 2008 le Centre pour la coopération et l’entente entre chrétiens et juifs (Center for Christian-Jewish Understanding and Cooperation), ce qui l’amène à collaborer avec des organisations de Chrétiens sionistes et à participer aux visites menées par des évangéliques.
Retombées politiques
Ces courants évangéliques mènent un lobbying très actif en faveur d’Israël, dans les milieux politiques. Sans les juifs et Israël, il n’y aura pas de retour du Messie sur terre, soulignent ces chrétiens sionistes, qui prennent les prédictions de la Bible au pied de la lettre. Selon eux, le retour du Messie aura lieu en Israël une fois que tout le peuple juif s’y sera rassemblé. C’est aussi là qu’aura lieu le combat final entre le Créateur et les forces du mal. Une bataille à l’issue de laquelle les juifs se convertiront et reconnaîtront en Jésus leur Messie.
Des organisations comme les « Chrétiens pour Israël » (Christians Standing for Israel) et l’« International Christian Embassy » font un savant mélange entre les symboles juifs et chrétiens, utilisant à la fois des croix, des étoiles de David et des colombes dans leurs représentations. Depuis 2015, Mike Evans, issu du mouvement des chrétiens sionistes et qui se définit comme « juif messianique », dirige la fondation des amis du musée de Sion, situé à quelques encablures à l’ouest de la Vieille Ville de Jérusalem. Cette organisation caresse le « rêve de réinstaller le peuple juif sur sa terre historique et encourage les non-juifs à les aider à réaliser ce rêve ». Evans, qui finance depuis des mois des campagnes d’affichage en Israël à la gloire de Trump, qualifie son musée de rempart contre l’antisémitisme et contre le mouvement BDS (Boycott Désinvestissement Sanctions).
Le musée présente les contributions des amis d’Israël et cite, entre autres, les présidents américains Harry Truman, George Bush, le Premier ministre britannique Winston Churchill, et des Justes parmi les nations comme Oskar Schindler, Raoul Wallenberg et Corrie Ten Boom, qui ont mis leur vie en danger pour sauver des juifs persécutés dans le monde entier. Ces hommes et femmes sont, selon Evans, des personnes qui se sont « courageusement déclarées en de maintes occasions au côté du peuple juif jusqu’à sacrifier leurs vies pour les protéger ».
John Hagee, fondateur de l’organisation « Chrétiens unis pour Israël », pasteur évangélique texan connu pour son sionisme militant, est une autre figure centrale dans le monde évangélique. Il a adopté les symboles juifs dont les prières, les châles, les huiles d’onction et les chants en hébreu (le chœur de son église entonne des chants juifs dont le fameux Hava Naguila) lors de ses services religieux.
Selon lui, « les Chrétiens ont une dette de gratitude éternelle envers le peuple juif pour leur contribution qui a donné naissance à la foi chrétienne. Il est impossible de se dire chrétien et ne pas aimer le peuple juif », dit-il. « Il faut accepter la connexion entre Jésus de Nazareth et les juifs. Jésus n’a jamais nié sa judaïté, il est né juif », affirme-t-il. « L’Etat d’Israël s’est engagé envers Dieu et mérite pour cela le soutien total des chrétiens », dit-il encore. Quand il a créé son mouvement en 2006, il avait qualifié l’« antisémitisme chrétien » de menace potentielle pour la sécurité d’Israël.
Lorsque Trump a déclaré début décembre 2017 que Jérusalem était la capitale d’Israël, et annoncé le déplacement de l’ambassade américaine dans la Ville sainte, les dirigeants évangéliques ont applaudi haut et fort. Le pasteur Hagee assure que « Trump entrera dans l’immortalité et on se souviendra de lui pendant des millénaires pour son acte de courage ».
Ce mouvement évangélique, avec son développement au cours des prochaines années, aura un rôle de plus en plus déterminant dans l’avenir des relations entre les deux communautés religieuses, mais aussi entre Israël et les Etats-Unis.
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