Passé les ruellesétroites et encombrées du camp de réfugiés de Dehaishe, à Bethléem, enJudée-Samarie, Amoun Abed Rabbo, 81 ans, vide lentement un sac de draps – latouche finale à l’appartement tout neuf qu’elle finit de préparer pour son filsqui devrait bientôt être libéré de prison. Issa Abed Rabbo, 51 ans, purge unepeine de 99 ans pour avoir assassiné un couple d’Israéliens en 1984. Il a déjàpassé 29 ans derrière les barreaux. C’est le plus ancien prisonnier palestiniende Judée-Samarie.
Le « doyen des détenus » pourrait rentrer chez lui dès le 13 août. Sousl’impulsion américaine, le cabinet israélien a approuvé, le 28 juillet dernier,la libération de 104 incarcérés de longue date, pour aider à la relance desnégociations avec les Palestiniens.
Vêtue d’une longue robe noire traditionnelle et coiffée d’un foulard blanc,Abed Rabbo se dit soulagée, après près de trois décennies de visites dans lesprisons et d’inquiétude constante, à l’idée que son fils, qui a vu tant deprisonniers aller et venir, pourrait être enfin libéré. « Il a déjà passé lesdeux tiers de sa vie en prison », déclare Abed Rabbo. « Il a le droit de vivreles années qui lui restent chez lui. » Les murs de sa salle de séjour sontcouverts de photos de son fils prises au fil des ans. La dernière montre unhomme mince, chauve et rasé de près, dans un uniforme de prisonnier brun,souriant légèrement.
« Tout le camp de réfugiés va fêter l’événement, danser et chanter dans lesrues le jour où Issa va rentrer à la maison », indique Majed Hamad, un voisin.« Ce sera comme un grand mariage. » Les Palestiniens considèrent les détenusdans les geôles israéliennes comme des héros, symboles de la lutte pourl’indépendance. Et la libération de chacun d’entre eux est cause de réjouissancespubliques.
Israël, qui compte quelque 4 800 incarcérés dans ses prisons, affirme que lamajorité sont des terroristes qui ont du sang sur les mains.
Une seule demande validée
Le chef del’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, a longtemps exigé la libération desprisonniers détenus par Israël antérieurement à la signature des accordsd’Oslo, en 1993, l’accord de paix intérimaire qui a conduit à la création del’Autorité palestinienne.
Le principal négociateur palestinien Saeb Erekat a salué l’initiative, qui,selon lui, arrive avec 14 ans de retard. « Cette décision du cabinet israélienest une mesure que l’on attendait depuis longtemps, en application de l’accordde Charm el-Cheikh de 1999, par lequel Israël s’est engagé à libérer tous lesprisonniers d’avant Oslo », souligne-t-il dans un communiqué.
De leur côté, les Etats-Unis cherchent à négocier un accord pour une solution àdeux Etats, qui passe par l’établissement d’un Etat palestinien indépendant enJudée-Samarie, Jérusalem-Est et dans la bande de Gaza, capable de coexisterpacifiquement aux côtés d’Israël. Le secrétaire d’Etat John Kerry a ainsieffectué six voyages au Moyen-Orient en moins de six mois depuis sa prise defonctions. Et réussi à amadouer Palestiniens et Israéliens pour les amener àreprendre les négociations le 30 juillet, après presque trois ans d’impassepolitique. Kerry a surtout exhorté les deux parties à faire des « compromisraisonnables » dans l’objectif de parvenir à un accord sur le statut finald’ici neuf mois.
Au menu des exigences palestiniennes préalables à la reprise des pourparlers :la libération des anciens prisonniers, un gel des constructions dans lesimplantations de Judée-Samarie et une garantie que les négociations sur lesfrontières seront basées sur les lignes d’avant la guerre des Six Jours de1967.
Israël n’a accédé qu’à une seule demande, celle de relaxer les détenus en gagede bonne volonté, relaxe qui se déroulera en quatre étapes, en fonction desprogrès des négociations.
Rien n’a changé
Cela peut certesapparaître comme une victoire pour Abbas. Mais les analystes estiment, aucontraire, qu’une libération des prisonniers permettra à Netanyahou decontourner les autres demandes palestiniennes. « C’est en fait un lot deconsolation pour Abbas », affirme George Giacaman, professeur à l’université deBirzeit. « Après les pressions exercées par les Etats-Unis pour retourner à latable des négociations, et renoncer à la position qu’il maintient depuislongtemps concernant les implantations et les frontières, une libération deprisonniers, c’est tout ce qu’il devrait obtenir. » Et comme la plupart desPalestiniens soutiennent la libération de prisonniers, cela va donner à Abbasun coup de pouce plus que nécessaire à sa cote de popularité, même s’il est decourte durée, ajoute Giacaman. « Car le lendemain de toutes les réjouissances,les Palestiniens se rendront compte qu’en fait, rien n’a changé », conclut-il.
Les Palestiniens estiment que les implantations juives réparties sur l’ensemblede la Judée-Samarie sont illégales. Selon eux, elles compromettent lapossibilité d’un Etat palestinien contigu à Israël. Pour autant, le Premierministre Binyamin Netanyahou refuse de mettre un terme à leur construction.Motif : il veut maintenir les plus grands blocs d’implantations comme partieintégrale du territoire israélien dans le cadre de tout accord de paix.
Pour l’heure, on ne sait pas comment les Etats-Unis, qui ont gardé secrets laplupart des détails concernant les négociations, comptent résoudre les questionsclé au cœur du conflit : les implantations juives en Judée-Samarie, lesfrontières définitives, le sort des réfugiés palestiniens et le statut deJérusalem.
Faible enthousiasme palestinien
A Ramallah, lacapitale de facto de l’Autorité palestinienne, les Palestiniens se disentprofondément déçus par plus de deux décennies de négociations intermittentesavec Israël, qui ont échoué à leur fournir un Etat. Ils doutent que lalibération de prisonniers sera suffisante pour ouvrir la voie à un traité depaix qui mettrait fin à plus de soixante ans de conflit.
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« Une libération de prisonniers est un geste considérable, mais à quel prix ? »s’interroge Samer Radwan, 56 ans, un chauffeur de taxi pris dans la circulationaux heures de pointe. « Les Palestiniens vont être forcés de faire davantage deconcessions », souligne-t-il, tout en réduisant le volume de son autoradio.
De profondes divisions internes menacent encore davantage la réussite et lamise en œuvre de tout accord de paix. Des centaines de manifestants du Frontpopulaire pour la libération de la Palestine avaient organisé un rassemblementà Ramallah, le 28 juillet dernier, contre la reprise des pourparlers de paix.Conséquences : des affrontements avec les forces de sécurité palestiniennes,qui ont essayé d’étouffer la contestation.
La reprise des pourparlers est également impopulaire parmi certains membres duFatah, le propre parti de Mahmoud Abbas. Quant au mouvement islamiste du Hamas,qui contrôle la bande de Gaza, il est farouchement opposé à cette démarche.
Selon un sondage réalisé en juin dernier par le Centre palestinien de rechercheet d’études politiques, 56 % des personnes interrogées sont opposées à unereprise des négociations sans conditions préalables. Par ailleurs, bien que 53% soient favorables à la solution à deux Etats, 58 % estiment que ce n’est plusréalisable, en raison des implantations israéliennes.
Pour Bassem Zubeidi, professeur de sciences politiques à l’université deBirzeit, les Palestiniens sont de plus en plus opposés aux négociations parcequ’ils ne sont pas convaincus de la capacité de leurs dirigeants à négocieravec Israël. Ils jugent l’Autorité palestinienne trop faible et sanssouveraineté politique, car elle fonctionne, selon eux, en définitive souscontrôle israélien.
« Tant que le rapport de forces est en faveur d’Israël », déclare Zubeidi, «les Palestiniens resteront dans une position de faiblesse et ne pourront, aufinal, qu’accepter les propositions édulcorées. »
Occuper le devantde la scène
En clair, selonles observateurs, si les dirigeants palestiniens retournent à la table desnégociations c’est uniquement dans l’espoir de regagner l’attention du mondeoccidental. En effet, après presque trois ans de révolutions et de soulèvementspolitiques au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, la cause palestinienne auraitété mise sur la touche.
Pour le politologue Khalil Shaheen, la direction palestinienne espère que lenouveau cycle de négociations qui s’ouvre aujourd’hui va remettre leur cause aupremier rang des préoccupations mondiales. « Les Palestiniens pensent que lesnégociations vont créer une dynamique en leur faveur », commente Shaheen.
Mais, finalement, Shaheen estime qu’ils ne parviendront qu’à marquer des «points tactiques mineurs ». Comme le programme de relance économique proposépar Kerry, un assouplissement des conditions de circulation des Palestiniens enJudée-Samarie et à Gaza, et la libération de prisonniers – ce qui n’apporterapas vraiment d’avantages à long terme.
« Si les Palestiniens poursuivent ces pourparlers, ils pourraient se retrouverdans une nouvelle situation provisoire pire qu’Oslo », conclut-il.
Et la comparaison n’est pas réjouissante. Car de nombreux Palestiniens semontrent profondément critiques vis-à-vis des accords d’Oslo signés il y a 20ans. Selon eux, cela n’a fait que renforcer davantage le contrôle israélien surles territoires palestiniens, l’économie et la liberté de mouvement.
Mais pour les familles de ceux qui sont susceptibles d’être libérés, dont denombreux condamnés à perpétuité pour plusieurs attentats meurtriers, lalibération des prisonniers imminente est source d’espoir.
Dans le camp de réfugiés de Dehaishe, Abed Rabbo marche lentement vers lacuisine, avec un déambulateur, pour surveiller ses filles qui se préparent pourl’iftar, le repas de rupture du jeûne de Ramadan.
Un chapelet à la main, elle confie son espoir de voir la libération desprisonniers créer l’atmosphère idéale pour parvenir à un règlement de paix avecIsraël. Elle avoue que le long emprisonnement de son fils et la souffrancequ’il a apporté à sa famille l’ont convaincue de l’importance et de l’urgencede mettre fin au conflit.
« Si Dieu veut, nous allons apprendre à vivre les uns avec les autres »,opine-t-elle. « Quiconque affirme le contraire se fait des illusions. »