Apprendre l’hébreu en déchiffrant les murs

Un ancien journaliste propose des tours dans les rues de Florentine, à Tel-Aviv, pour apprendre l’hébreu. A la recherche de graffitis perdus...

graffiti (photo credit: deborah sinai)
graffiti
(photo credit: deborah sinai)
‘Niva, barman ou salope ?” peut-on lire sur le flan d’un immeuble décrépi de la rue Kishon. L’artère coupe le coeur du sablonneux quartier Florentine, au sud de Tel-Aviv.
“On dirait que Niva a brisé le coeur de quelqu’un”, s’amuse Guy Sharett accompagné d’un groupe de nouveaux immigrants qui parcourent la ville pour tenter de déchiffrer des inscriptions en hébreu.
L’ancien compagnon de Niva serait bien étonné de voir ses épigraphes de vandale aujourd’hui devenues un support de cours pour Sharett, un habitant de Florentine.
Ce dernier emmène les fraîchement Israéliens du groupe, désireux d’échapper à l’enseignement fastidieux assis en classe, à la chasse aux “graffitis oulpan”.
Au lieu des leçons de grammaire rudimentaire tirées de manuels scolaires laborieux, Sharett, ancien journaliste de 39 ans qui a étudié la linguistique à l’Université hébraïque, propose un concept original. Améliorer la connaissance des olim et leur permettre de se rappeler l’hébreu en s’appropriant la langue de la rue, celle qui trône sur les panneaux publicitaires, graffitis, autocollants, ou au travers de conversations avec les visages familiers du quartier.
“Ces tours à pied sont mon bébé”, déclare cet ancien correspondant en Asie du Sud pour le quotidien Yediot Ahronot et la Chaîne 10.
Parlant couramment 7 langues, Sharett allie ses compétences linguistiques et ses méthodes d’apprentissage peu orthodoxes. En résulte une leçon d’hébreu peu ordinaire où les alentours se transforment en salle de classe. Et où le cours prend la forme de déclarations politiques gribouillées sur des bâtiments ou de baratin publicitaire accrocheur sur les fenêtres des boutiques.
“Tout a commencé il y quelques années lorsque je donnais des cours particuliers d’hébreu. J’ai commencé à dispenser mes leçons en marchant. Avec mon élève, soit nous nous promenions, soit nous nous asseyions à la terrasse d’un café. J’ai remarqué que je pouvais utiliser la rue comme support, avec ses enseignes et ses graffitis comme manuel scolaire. Aussi, nous prenions parfois place dans un café et nos voisins de table se mettaient à discuter. Nous écoutions alors discrètement et analysions ce qu’ils disaient.”
Tous les supports sont bons
Les étudiants qui s’inscrivent à cette drôle de visite guidée apprennent l’hébreu via des dessins représentant Theodor Herzl, des graffitis évoquant Martin Buber, des autocollants de groupes Facebook exclusivement réservés aux grands, de conversations impromptues avec le barbier du coin et d’enseignes à l’entrée des boutiques ou des synagogues de Florentine. “Ce ne sont pas seulement des graffitis, c’est aussi l’apprentissage de l’hébreu en s’imprégnant de la vie du quartier. On s’arrête au salon de toilettage et on discute avec Gabriela [la propriétaire]. C’est quelque chose qui s’imprime [dans la mémoire] parce qu’on se rappelle de la lumière, de ses pas, du visage de Gabriela, peu importe. Et souvent on retrouve certains éléments. Linguistiquement, c’est une bonne méthode parce que pour se rappeler de nouveaux mots, on peut solliciter tous ses sens.” Le tour de Florentine propose également aux étudiants un aperçu de la riche histoire du quartier, très fortement peuplé de descendants de la communauté juive de Thessalonique.

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La visite ralentit à l’entrée du coeur industriel situé alentours, rue Komfort, bordé de boutiques de soudeurs, de charpentiers et d’abris abandonnés.
Sharett explique que le principal avantage de sa méthode d’enseignement réside dans l’apprentissage des nuances de la langue. “En contexte et en situation, on se rappelle mieux qu’en lisant un dialogue ennuyeux dans un manuel. On retient mieux et pour longtemps.”
Les tentes de protestation sociales qui ont poussé l’été dernier boulevard Rothschild, chargées de pancartes et de bannières à considération politique, ont fourni à Sharett une opportunité de donner un cours intensif sur la société israélienne aux immigrants.
“J’ai rencontré beaucoup de nouveaux arrivants qui ne s’identifiaient pas avec les protestations parce qu’ils ne comprenaient pas les pancartes. Et j’étais un médiateur en quelque sorte. On se promenait en direction des tentes et on voyait surgir des références bibliques. “ N’importe quel Israélien qui les lit en comprend la signification. Mais lorsque vous êtes un olé hadash vous vous dites ‘okay, qu’est-ce que je dois en comprendre aux niveaux littéral et politique.’”
Apprendre en s’amusant
Selon Sharett, on assimile une langue plus rapidement et plus efficacement en s’amusant. Sous ses instructions, une fervente amatrice du film The Hours, avec Meryl Streep et Nicole Kidman, a visionné le long-métrage en anglais, mais sous-titré en hébreu. Et en marquant une pause après chaque fragment pour bien comprendre le texte. Sharett donne aussi des cours particuliers au travers de la culture populaire israélienne. Les devoirs ? Le visionnage des épisodes de Kohav Nolad - la version israélienne de La Nouvelle Star - ou de Ramzor, une série comique à succès. Un étudiant français amateur de Krav Maga (une branche israélienne d’arts martiaux conçu à l’origine pour l’armée) s’est vu assigner la lecture d’article de journaux et de magazines sur le sujet.
Sharett affirme qu’il a reçu de nombreuses réactions positives de ses élèves. “Jusqu’à présent, ils ont été plutôt stupéfaits. Ils n’arrêtent pas de me dire ‘Waouh, l’oulpan c’est vraiment ennuyeux, mais ici, c’est drôle et intéressant’. Je leur rappelle néanmoins que [les visites] viennent en complément de l’oulpan, parce qu’il faut apprendre les fondamentaux en grammaire et conjugaisons. Les gens sont heureux et enthousiastes et ils gardent le contact avec moi par la suite.Ils m’envoient des photos de graffitis qu’ils ont vues près de chez eux et me demandent leur signification. Ils sont alors plus connectés à la ville et à la culture locale.”
“Je parle sept langues, et je sais ce que c’est que l’apprentissage d’un dialecte. Je peux donc m’identifier à leurs difficultés. Je suis certes un professeur, mais je reste un perpétuel étudiant.”
Le prochain projet de Sharett : un tour à pied du marché ouvert Carmel de Tel-Aviv et du marché de Mahané Yehouda à Jérusalem