A Paris, sa mère lui défend d’aller jouer avec« les polaks » du XIe arrondissement, son quartier, mais il sait qu’il est juifpar une sorte de non-dit. « Ma mère disait : “Nous, nous sommes assimilés”. Jene sais toujours pas ce que cela veut dire ». Durant la guerre, il n’a jamaisété inquiété en tant que juif vu qu’il ne porte aucun signe distinctif de sesorigines, mais il est interné pour faits de Résistance. S’ensuivent 92 jours decachot à Nice, un passage à deux doigts du poteau, et une arrestation qu’ildoit à son attitude de fan un peu inconscient. « J’avais une valise pleined’armes et de faux papiers et je suis allé demander un autographe à mon idolede l’époque Georges Ulmer, promenade des Anglais ! La milice m’est tombéedessus. Il y a toujours en moi un mélange de frivolité et d’héroïsme ! ».
Les quatre cents coups de Pierre Grimblat
Créateur de séries à succès dont Navarro, cinéaste, publicitaire, poète, Grimblat revient sur son parcours.
Inutile de demander à Pierre Grimblat s’il aurait aimé rencontrercertaines personnalités de son époque. Il les a toutes côtoyées ! CharlesAznavour, Dalida, Albert Cohen, François Truffaut, Picasso, Jacques Demy, OrsonWelles, Pierre Mendès-France… La liste est longue. Il a même découvert GilbertBécaud, et offert leur immense popularité à Roger Hanin et Gérard Klein.L’entretien pourrait alors se résumer à une interminable séance de «name-dropping », puisque son livre se feuillette au gré de ses rencontres, sansordre chronologique.
Il y a quelques années, l’homme a déjà publié un recueil de souvenirs. Pourquoice nouvel essai ? « Je porte cette fois un regard plus décalé et drôle sur leschoses. Et puis Jean d’Ormesson en est à son dixième livre du genre »rétorquet- il avec humour.
Pour autant, la vie de Pierre Grimblat n’a pas toujours été un tourbillon depaillettes. Fils unique, il naît en 1922 dans une famille juive, son pèreBenjamin est originaire de Pologne, sa mère Simone de Vienne. Un couple modesteporté par un père électricien qui espère toujours faire fortune au coupsuivant. L’éducation juive ? Pierre Grimblat n’en reçoit aucune. Ils’excuserait presque de ne pas avoir tant d’histoires à vous raconter, même sisa mémoire quasi intacte lui a fait remonter quelques souvenirs. Son nomGrünblatt (« feuille verte ») a été francisé en Grimblat, il n’a pas étécirconcis, et apprend à lire et écrire chez les soeurs deSaint-Vincent-de-Paul. Et ce, bien avant la guerre. Il ne saura jamaispourquoi, si ce n’est la crainte par ses parents d’un antisémitisme montant.
Un simple « élément du destin »
Une fois libéré, protégé par un homme qu’il considère comme un Juste, PierreGrimblat entame une carrière à la croisée des chemins. Devenu le protégé deBoris Vian et Raymond Queneau, excusez du peu, parce que les deux maîtresapprécient ses poèmes, il entre à la radio, puis part aux Etats-Unis travaillerà la NBC. Sa passion ? Le cinéma, mais il n’en fera pas assez à son goût. Ilréalise sept longsmétrages dont Slogan, le film culte qui a permis la rencontreentre Serge Gainsbourg et Jane Birkin. Une histoire dont il n’est pas peu fier,même si Gainsbourg disait de lui qu’il n’avait été qu’un simple « élément dudestin » ! Ce film, c’est aussi une part de son passé. Lors d’un dîner, sonbagout séduit Marcel Bleustein, le patron de Publicis qui le nomme chef du «Bureau des idées ». Il crée des campagnes publicitaires pendant dix ans. Maisalors qu’il peut prendre la suite de son mentor, un job que le Tout-Paris luienvie, il laisse une place en or. Le virus du cinéma le rattrape. Il diraégalement non à la succession de Jacques Canetti, célèbre découvreur detalents.
Des regrets ? Pierre Grimblat en a quand il évoque le contrat qu’il a refuséaux Etats-Unis pour rester auprès de sa famille : « Roger Corman qui a faitdébuter Scorsese et Coppola me voulait. J’ai été con ! » Au rayon desrencontres magiques, il croise la route d’Albert Cohen qui le choisit pouradapter au cinéma Belle du Seigneur. Pas de bol, l’écrivain casse sa pipe justeaprès leur rencontre.
Une judéité, ici et là…
Quand il s’intéresse à la télévision, Pierre Grimblatn’a jamais eu l’ambition d’écrire son nom au panthéon du genre. En 1974, sasociété fait faillite avec son plus beau film, Dites-le avec des fleurs, etl’homme se lance alors dans l’adaptation télé avec Milady, Pierrot mon ami ettant d’autres.
Dans les années quatre-vingt-dix, il crée Navarro, puis L’Instit, à la demandede François Mitterrand qui veut une série exaltant les valeurs républicaines, àl’heure de la montée du Front national. En 1996, il vend Hamster Films, sasociété, la première d’Europe en matière de production et de créationtélévisée, à Claude Berda, du groupe AB. « J’ai voulu me venger en faisant dela télévision qui enlève des spectateurs au cinéma. Et j’y suis parvenu. C’estterrible ».
En 2001, celui qui passait ses après-midi à rêver dans un cinéma du quartierd’Oberkampf revient à son seul amour avec Lisa, un film inspiré de l’histoirede son père interprété par Michel Jonasz. « Je pleurais à chaque scène ! Onm’entendait renifler derrière la caméra », dit-il. Sa judéité ? Elle ressurgitici et là, par bouffées d’émotion.
Pierre Grimblat évoque « sa première fois bizarre ». « C’était en 1964, j’ai 42ans, je suis à New York, je travaille pour la NBC et j’assiste à unereprésentation du Violon sur le toit inspiré des contes de Sholem Aleichem.Soudain, je touche mes genoux, que je sens mouillés. Je regarde mes mainstrempées. Je pleurais comme un fou sans m’en être aperçu ! Ça a été sans suite».
Il y a tout juste un an, alors qu’il est invité à la bar-mitsva du fils deSamuel Blumenfeld, journaliste au Monde et ami proche, il ressent à nouveau unesensation étrange. « Samedi matin.
J’arrive à la synagogue, je n’avais pas de kippa, à l’entrée, un type m’en sortune et me la tend. Je m’assois et j’écoute le bar-mitsva qui avait appris unequantité de texte. Soudain, quelque chose de bizarre se passe en moi. J’aid’énormes « volets » qui s’ouvrent dans ma poitrine comme si j’étais à 20 000mètres d’altitude ! Fin de la cérémonie. Je vais voir mon ami Samuel et luiraconte qu’il m’est arrivé quelque chose d’incroyable. Il ne réagit pas. Lelendemain, je lui demande : « C’est quand même pas l’Esprit Saint qui estdescendu vers moi ? Il s’y prendrait un peu tard ! » « Je ne sais pas », merépond-il.
Le tourbillon de la vie
« Inconsciemment, je souhaitais qu’il fasse duprosélytisme, qu’il m’encourage, me prête des livres… Je réalise que la religionjuive ne cherche pas à faire d’adeptes. Moi qui avais envie de regagner letroupeau, le troupeau n’avait pas envie de moi, j’étais parti trop loin !Récemment, sa fille a fait sa bat-mitsva, j’y suis allé avec la kippa que letype m’avait offert. J’attendais, mais cela ne s’est pas reproduit. J’en suislà de ma judéité. » Nul ne sait si Pierre Grimblat a reçu une visite divine cejour-là, mais une chose est sûre, l’homme n’a jamais été seul. Il retrace dansson livre une vie amoureuse intense, lui qui confie « n’être pas au départ legenre de personne ». Au compteur, cinq mariages, une foule de conquêtes,plusieurs enfants dont une fille décédée.
« Il y a plein de Grimblat en circulation, dont ceux que je n’ai pas reconnu »,précise-t-il. Parmi les officiels, il y a Tokoto, le fils qu’il a eu avec unancien mannequin japonais dont il est très fier, un DJ star qu’il appelle le «David Guetta de l’Extrême-Orient ». Aujourd’hui, il voue un amourinconditionnel à sa femme Elizabeth, 55 ans, experte en art et qui s’estnotamment assignée comme tâche de retrouver des oeuvres spoliées par les nazis.
Profiter de la vie ? Grimblat ne sait pas faire autrement qu’en travaillant ;il a même un projet de film. Pourtant, l’ancien P.-D.G. parle d’une « réussitea minima ». « Je dis cela sans fausse modestie. J’aurais aimé écrire un roman,y consacrer du temps. Mon ami, le psychanalyste Alain-Didier Weill me dit quej’ai cultivé seulement une partie de mon jardin. Le reste, ce sera dansla prochaine vie. »