Coup de foudre pour les uns, c’est pour d’autres suite à un compagnonnage rapproché avec la langue, au terme d’un séjour dans l’Hexagone ou bien encore à la faveur d’une rencontre, que le désir d’un commerce plus intense avec le verbe et la culture française va s’imposer. Rencontre avec ces têtes bien faites qui font leurs classes dans le département de culture française sous la houlette de Sylvia Adler, la directrice inspirée et inspirante de ce département.
Après l’anglais en première langue, on les imaginerait plus volontiers choisir l’arabe en seconde langue où le chinois au vu de la réalité géopolitique du pays ou des échanges économiques exponentiels avec l’Asie et du marché des technologies de pointe en plein essor. Privilégier davantage les débouchés les plus évidents et briguer les emplois les plus rémunérateurs, plutôt que s’enticher de culture française et se poser en aficionados nostalgiques de la vieille Europe.Ils viennent d’horizons différents ; nouvel immigrant comme Levana qui a passé son bac en France, francophone par héritage familial proche ou lointain comme Sarah, ou bien encore israéliens sabras n’ayant aucune racine francophone comme Motti féru de théâtre, dramaturge en herbe qui verse dans le pastiche avec talent et Inbal passionnée de cuisine française. « Nous avons aussi une grande variété de francophiles qui passent par la filière FLE (Français langue étrangère) qui dispense quelques heures de français pour débutants, après quoi certains tombent amoureux de la langue et souhaitent passer à la filière langue et littérature ». Ils cumulent souvent ces études avec un autre cursus selon qu’ils se destinent aux carrières de la communication, de l’enseignement, de la recherche pour n’en citer que quelques-unes. Sans oublier que dans quelque domaine que ce soit, un diplôme universitaire israélien permet d’obtenir un meilleur salaire au poste occupé.© Jerusalem Post Edition Française – Reproduction interdite Tous apprécient l’expérience et le professionnalisme des enseignants avec lesquels ils ont en commun une même passion. Pour autant, c’est un défi quotidien, que d’harmoniser ce public hétéroclite ; entre ceux qui ont une bonne expression orale, mais dont le niveau à l’écrit est faible ou au contraire, ceux qui ont une bonne expression écrite mais qui peinent à parler, le challenge est de taille. « Ce département nous met sans cesse au défi de tenir compte des besoins idiosyncrasiques de notre public ; nous devons être attentifs à ce que la transition à la vie universitaire des nouveaux immigrants se passe bien, ils sont parfois sans famille, et doivent s’intégrer à un cursus universitaire. Mais nous devons aussi être à l’écoute des non-francophones, intimidés par la présence de ceux qui parlent couramment français et être constamment attentifs aux besoins de chacun. Certains de nos professeurs sont non francophones et cela nous aide à comprendre les besoins spécifiques des uns et des autres ce qui nous permet d’accompagner efficacement nos étudiants, et prendre en compte les problèmes de langue et de communication auxquels ils sont parfois confrontés », explique Sylvia Adler, directrice du département.Promouvoir la FranceCe département prépare à la Licence, la Maîtrise et au Doctorat. Il s’agit de culture française certes, mais plus justement devrait-on dire de littérature francophone : « le Québec, la Belgique, les littératures de l’Afrique ne sont pas exclues », précise Adler, « cela dépend des chercheurs enseignants que nous avons. A cette filière littérature, s’ajoutent la filière linguistique et la filière culture.Au programme linguistique : interprétation des textes et analyse du discours, mettant l’accent sur des aspects rhétoriques. Morphologie, syntaxe, grammaire, bien sûr, « mais il s’agit aussi d’enquêter sur le pouvoir de la langue, nous insistons sur l’argumentation, l’utilisation de la langue qui vise par exemple à la promotion des idées (argumentation journalistique) », souligne-t-elle. Sarah, qui se destine au journalisme, s’en réjouit. « Ce qui est particulier à Bar-Ilan et mérite d’être mentionné, c’est que les étudiants viennent pour obtenir un diplôme, s’instruire, mais nous avons aussi à cœur de leur donner des références culturelles », explique Sylvia Adler. Dans ce but, des séminaires sont organisés, avec des experts locaux ou venus de pays francophones. C’est d’autant plus louable que le département ne bénéficie d’aucun budget. Cette pénurie n’entrave pas la bonne marche de ces manifestations, grâce au bénévolat des intervenants qui choisissent de venir avec leurs fonds propres en guise de soutien au département pour la qualité de ses travaux. Et Adler de souligner aussi le partenariat fructueux avec l’Institut français de Tel-Aviv qui lui permet d’atteindre ses objectifs : « Il faut apporter la France à nos étudiants et leur donner l’occasion d’entendre des intervenants de premier plan », martèle Sylvia Adler qui essaye de travailler en fonction des centres d’intérêt de ses élèves.La filière culture cette année, « a ouvert un cours sur l’histoire de la gastronomie qui va lier tous les aspects gastronomiques à toutes les époques de l’histoire », se réjouit Sylvia.Une âme de pionniers Un des professeurs mène une étude sur la poésie française des tranchées, lors de la Première Guerre mondiale. D’autres cours portent sur l’argumentation visuelle dans la presse francophone ou l’interaction texte et image dans la bande dessinée franco-belge. « Mais ce qui est spécifique à Bar-Ilan, c’est l’accent mis sur l’identité juive ; la représentation du juif dans la littérature francophone, la représentation de la Shoah, l’antisémitisme, dans ses rapports avec l’Histoire, la culture française et les cultures francophones », explique-t-elle fièrement.Facteur d’encouragement pour les étudiants, Gaëlle Ainouze a obtenu le prix Yad Vashem 2014 avec son mémoire de maîtrise intitulé Ecrire le quotidien dans les camps de transit en France 1941-1945. Analyse de la correspondance des internés.Sous l’impulsion de Sylvia Adler et de Galia Yanoshersky, maître de conférences et directrice de thèse, l’université par l’entremise de ce département, va s’investir dans la communauté française à travers une série de cours qui va être inaugurée à la rentrée 2015 : un projet de participation communautaire de l’académie qui va réunir les étudiants francophones et apprenant du français, avec la population francophone des maisons de retraites en Israël. Objectif : recueillir, documenter, puis conserver le récit de vie des anciens, qui sera ensuite reversé sous forme de contenu académique à des cours magistraux. A travers ce travail de mémoire, « les apprenants vont se confronter à des variétés du français qui ne sont pas forcément enseignées dans notre département, le franbreu par exemple. Et pour les francophones qui n’ont pas besoin de cet enrichissement linguistique, c’est une opportunité pour nouer un contact avec leur culture et leur patrimoine linguistique », explique encore la directrice du département. « Ce type de rencontre est aussi très fructueux pour les personnes âgées qui souffrent de solitude linguistique » souligne-t-elle. A la fin de l’année, seront invités tous les interviewés dans le cadre de cet atelier afin de leur soumettre leur récit de vie en espérant ensuite intéresser un éditeur ou le musée des diasporas avec ces travaux.Pour Sylvia Adler, il ne s’agit pas seulement de faire en sorte que les étudiants obtiennent un diplôme universitaire, mais de démontrer que l’université fait partie de la communauté et agit en sa faveur. Gageons que cette initiative prendra de l’essor et sera une réussite de plus tout à l’honneur de ce département français dynamique et créatif. On peut lui faire confiance, avec Sylvia Adler, la mémoire des juifs de France israéliens est entre de très bonnes mains.