Les entrepreneursétrangers sont comme pétrifiés en écoutant parler l’homme à l’initiative duprojet de la première ville palestinienne. Bashar al-Masri décrit son parcoursqui l’a mené du rêve à la réalité. Tout a démarré un jour de 2008 : il setrouve alors au Qatar, premier arrêt d’une tournée dans les Etats du Golfe,pour une collecte de fonds. Il avait escompté recevoir « entre 1 et 10 millionsde dollars ». A son grand étonnement, il en récoltera des centaines, assez pourcouvrir à la fois les fonds propres et le financement et permettre à Rawabi(les collines, en arabe) de voir le jour.
« Cela a été le plus beau jour de ma vie professionnelle », déclare fièrementMasri, ingénieur chimiste devenu promoteur immobilier. L’audience impressionnéeest assise dans le bureau des ventes ultramoderne qui offre une vue magnifiquesur la Judée-Samarie et l’énorme chantier immobilier en cours.
Bien que Rawabi soit encore à des mois de pouvoir accueillir ses premiershabitants, la ville est déjà le plus grand employeur des territoirespalestiniens, avec plus de 3 000 travailleurs sur le site.
A la fin de l’été
Du sommet de la colline, située à environ dix kilomètres aunord de Ramallah, on découvre par un jour clair une vue spectaculaire de lacôte méditerranéenne, avec Tel-Aviv en point de mire. Rawabi se développera entrois phases : la première, déjà en cours, prévoit 1 400 appartements, un tiersdu futur centre commercial, plusieurs écoles, toute l’infrastructure de laville, un parc et un amphithéâtre de 20 000 sièges.
Quel que soit le jour, on rencontre sur le site un défilé d’acheteurspotentiels : grâce à la vue générale en 3D du projet que propose le centre desvisiteurs, une prouesse technologique de vidéos, ils peuvent visiter lesappartements et se faire une idée de ce que sera la vie dans cette villeutopique palestinienne. Mais aussi des dignitaires, groupes multinationaux,missions d’études interconfessionnelles, un « who’s who » de curieux, attiréspar le tapage médiatique que suscite l’initiative. Parmi les notables, on peutnoter le nouveau secrétaire d’Etat américain John Kerry et le secrétaire desNations unies, Ban Ki-moon.
Pour le consul général américain à Jérusalem, Michael Ratney, lui aussi venurécemment, Rawabi constitue « un véritable projet de développement du secteurprivé palestinien » et en tant que tel, il « peut doter la région d’un habitatde qualité dont elle a cruellement besoin, créer des opportunités d’emplois –par milliers – et booster la croissance du secteur privé dans l’économiepalestinienne ».
Masri est le directeur général de Massar International, qui, grâce au soutiendu gouvernement qatari, emploie des milliers de personnes, s’assure que lesdélais seront bien tenus. Selon lui, Rawabi devrait, d’ici sept ans, devenirune ville de plus de 40 000 habitants, avec les premiers résidents quis’installeront d’ici la fin de l’été 2013. « Les deux premiers quartiers sontpresque achevés et vous pouvez voir la construction du centre ville, desthéâtres, des cafés et des bureaux. Là où les habitants iront travailler tousles jours. »
Du jamais vu
En plus d’offrir différentes options de logements auxacheteurs potentiels, Rawabi offre une vision totalement nouvelle. Le conceptde la maison livrée clés en main, où le nouveau propriétaire n’a qu’à poser sesvalises et s’installer, n’existe pas dans les territoires palestiniens.
Autre nouveauté pour le Palestinien : offrir la possibilité à des familles(dont la taille médiane est de cinq personnes) de classe moyenne d’avoir accèsà la propriété et à des prêts bancaires est sans précédent. Enfin, face à unesociété palestinienne souvent traditionnelle, le projet promeut un mode de vie« vert et sain », dans une ville dont le motto est : « vivre, travailler etjouer ». Seule concession à la culture locale, mettre en valeur « la marche »plutôt que « le jogging », considéré comme « occidental ».
6 000 unités d’habitation occuperont 25 % de la surface totale et formeront lecoeur de cette communauté appelée à devenir, à terme, plus dense que celle deRamallah ou El- Bireh.
Pour les prix, il faut compter entre 75 000 à 150 000 dollars pour la majoritédes unités d’une superficie comprise entre 130 à 230 mètres carrés. 2 % deslogements seront des appartements haut de gamme. Enfin, 16 habitations avecterrasses (penthouses) pourront atteindre jusqu’à 600 000 dollars.
Prochainement, l’Autorité palestinienne devrait voter une résolution pourétablir une municipalité à Rawabi. Un conseil municipal, dont les 14 membresseront issus des secteurs privé, civil et public, sera nommé pour gouverner etce, jusqu’aux élections municipales. Ces dernières auront lieu quand la villeatteindra 5 000 résidents, un maire sera alors élu.
Quand l’eau ne coule pas de source
Rawabi a déjà son lot de bonnes et mauvaisessurprises.
Côté positif, la « pierre de Rawabi » qui provient des grandes dalles jaunesdes collines avoisinantes et dont on se sert pour toutes les façades desbâtiments de la ville naissante, ainsi que la « pierre grise » utilisée pourles escaliers et l’intérieur se sont révélées être des valeurs marchandes nonnégligeables.
Les difficultés sont toutefois nombreuses. Face à la pression économique localeet globale, Masri veut répondre par la création d’emplois, mais note-t-il, «chaque fois que nous enregistrons une avancée, un contretemps d’ordre politiqueeffraie les compagnies internationales. Le dernier était l’attaque de Gaza(novembre 2012 l’opération “Pilier de défense”) qui a effrayé de nombreuxinvestisseurs. » Néanmoins, la ville compte déjà des entreprises detechnologies de l’information, une compagnie de soustraitance, une entreprisede télécommunications, un centre d’appels, et plusieurs banques. Selon AmirDijani, directeur de Baytim, entreprise d’immobilier, filiale de Massar : «Rawabi devra être en mesure de fournir 1 500 emplois quand elle commencera àêtre habitée et 5 000 postes additionnels seront nécessaires dans les troisannées suivantes. » L’accès constitue également un problème majeur. En 2012,Masri a reçu l’approbation du gouvernement israélien pour la construction d’uneroute temporaire pour les véhicules nécessaires aux travaux – puisqu’une partiedu site de construction est située en zone C, sur laquelle Israël exerce uncontrôle militaire et administratif. Mais celle-ci se révèle déjà insuffisante.Il en réclame désormais une seconde pour une route permanente, plus longue,jusqu’à Ramallah.
Autre obstacle de taille : l’alimentation en eau, pour laquelle lacollaboration d’Israël est indispensable. Masri estime que la quantité allouéepar Israël suffit à peine pour satisfaire les besoins de construction et de lapremière partie du projet de 2013. Il tente donc de faire pression surl’Autorité palestinienne et sur Israël pour bénéficier d’un quota plusimportant, ainsi que d’une nouvelle source d’approvisionnement.
Ces difficultés rencontrées quant à la route d’accès et la distribution d’eauont « fait grimper les coûts du projet », déplore Masri, « car la solutionalternative pour approvisionner la ville en eau, via des camions-citernes, esttrès onéreuse ». Et pour pallier le problème de transport du matériel, il afallu trouver des solutions de stockage sur site, soit une hausse des coûts deconstruction de 60 à 70 millions de dollars. Des frais imprévus qui vont serépercuter sur le prix final payé par le consommateur.
Les locaux d’abord
Mais au fait, qui seront les habitants de Rawabi ? D’aprèsMasri, la population cible est d’abord locale, suivie par les résidents despays du Golfe, d’Amérique du Nord et du Sud.
Toutefois, pour acheter, les résidents de l’étranger devront attendrel’installation des 10 000 premiers Rawabiens. Pour mieux prévenir le phénomènede « ville-fantôme » – où des résidents étrangers achètent des appartementssans y habiter – les propriétaires du continent américain seront limités à 5 %de la population au cours des cinq prochaines années. De plus, les étrangers –qu’il s’agisse d’un Palestinien vivant à Dubaï ou même à Jérusalem – nepourront acheter sans l’autorisation de l’Autorité palestinienne.
Pour habiter à Rawabi, il faudra montrer patte blanche. Un jeune couple depédiatres de Jérusalem-Est en témoigne.
Très motivés à l’idée de s’installer à Rawabi, ils avaient fait un dépôt de 500dollars pour bloquer un appartement, avant de se trouver confrontés à unproblème administratif.
Les deux époux travaillent pour des organisations du système de santéisraélien, et leurs salaires sont donc versés sur un compte bancaire de l’Etathébreu. Selon la banque cairote Amman, s’ils veulent prétendre à l’acquisitiond’un bien à Rawabi, leurs rémunérations doivent uniquement s’effectuer sur descomptes bancaires palestiniens. Mais Masri se fait rassurant : « Ces problèmessont spécifiques et les banques les résoudront. »