« Je joue toujours en duo avec un ange ». Le ton estdonné. Pour Shoshana Harrari, la harpe est bien plus qu’un instrument, c’est uncompagnon de route. Cette Américaine, qui a fait son aliya avec son mari Micahen 1982, attribue un pouvoir spirituel au son de l’instrument à cordes. Pourillustrer son propos, elle s’appuie sur un midrash (légende). « Avant queles âmes se voient accorder un corps pour descendre sur Terre, elles patiententau paradis, dans le Jardin d’Eden. Le champ dans lequel elles attendent estplacé à côté d’un sublime jardin de roses. Leur beauté surpasse de loin celledes fleurs que nous connaissons. Puis, à proximité de cette roseraie divine, setrouve un autre jardin. Dans celui-ci, les anges jouent de la harpe. Le parfumdes roses et la musique angélique se mêlent alors et envahissent lescieux », détaille-t-elle. Et d’ajouter que chaque être humain qui sent unerose ou entend le son d’une harpe se remémore l’endroit d’où il vient, où il aété créé.
L’air est doux au moshav Ramat Raziel et l’on croiraitpresque vivre la légende de Shoshana, qui joue de la harpe en cette bellejournée de novembre, calme et ensoleillée. Les cordes retentissent entre sesdoigts habiles. La mélodie, agréable et harmonieuse, transforme l’atmosphère.Elle réchauffe le cœur tandis que les rayons du soleil, eux, réchauffent lecorps. Une fabuleuse expérience.
Par un heureux hasard, Shoshana et son mari ont fondé lapremière maison israélienne de fabrication de harpes. Leur fabrique Harrari estnée en 1982. Ce sont eux qui ont ramené l’instrument de David en Terre Promise.Elle revient sur leur histoire qui, d’ailleurs, n’est pas que la leur…
L’appel de la Terre
« Avec Micah, nous avons vécu dans les plus beauxendroits des Etats-Unis. Nous déménagions souvent car nous ne nous sentionsjamais à la maison. Nous vivions de manière sommaire, sans électricité ni eaucourante, souvent loin des villes », se souvient-elle. « Nous allionsune fois par semaine dans les communes les plus proches pour vendre du bois,acheter à manger, mais aussi pour emprunter des livres. Nous nous lisions mutuellementdes ouvrages à haute voix, cela constituait notre seule distraction. Un jour,j’ai eu très envie de jouer de la harpe. J’ai donc demandé à mon mari, qui aune formation de luthier, de m’en fabriquer une. A ce moment-là, il n’était pasencore décidé à se lancer dans un tel projet, mais j’avais choisi depatienter », raconte Shoshana.
Dans ce contexte précaire, les amoureux sont heureux etne comptent pas quitter les Etats-Unis. Un événement va cependant changer ladestinée de ce couple en quête d’un chez-soi. « Un soir, lorsque nousvivions dans une cabane, perdue au milieu des montagnes du Colorado, il s’estmis à neiger. Les flocons sont silencieux lorsqu’ils tombent et nous ne noussommes pas rendu compte que la neige commençait à recouvrir les bois. Le lendemainmatin, impossible d’ouvrir la porte d’entrée, notre cabanon s’était vêtu d’unépais manteau blanc. A cours de lecture, nous avons dû commencer à lire laBible. Comme beaucoup de Juifs, nous en possédions une, mais nous ne l’avionsjamais étudiée. Cette découverte nous a passionnés. On apprenait l’histoire denos ancêtres, notre famille, et cela résonnait dans nos cœurs. Arrivés auxlivres des prophètes, une parole a changé notre vie : “En ce jour, jeramènerai mes enfants sur leur Terre” », se rappelle Shoshana. C’est alorsqu’une quête a débuté. Les Harrari savaient désormais d’où venait ce sentimentde ne pas appartenir aux endroits où ils vivaient. L’idée de retourner sur laTerre Promise ne les a plus jamais quittés.
Une nuit, le couple se réveille en sursaut. Quelque chosevenait de changer en eux. Un fort sentiment intérieur leur disait de quitterles Etats-Unis pour Israël. Shoshana le décrit comme un appel, semblable àcelui qu’a un oiseau migratoire, ils savaient qu’il était temps de partir.
L’Europe a été leur première destination, répondant audésir que Shoshana avait de visiter la France. Le Vieux Continent aura été leurhôte pendant 8 mois, de mars à septembre 1982. Puis, après avoir traversél’Europe en voiture du Portugal à la Grèce, ils ont embarqué à bord d’un bateauà destination de Haïfa. Trois jours de mer, c’est ce qu’il leur aura fallu pourapercevoir, pour la première fois, la Terre Promise.
Fraîchement débarqués, ils se sont rendus chez des amislointains à Jérusalem. « C’était l’effervescence partout où nous allions.J’étais très confuse et désorientée, car je ne suis pas habituée auchaos », se souvient Shoshana. « Nos connaissances nous ontaccueillies et nous ont appris que c’était le jour de Rosh Hashana, d’où la tensionambiante. Puis, nous sommes partis nous promener. A la nuit tombée, il n’yavait plus aucune circulation, le calme absolu régnait dans la ville. Seulesles prières résonnaient dans les rues de Jérusalem. Aux alentours de 2 heuresdu matin, nous avons aperçu un groupe de jeunes enfants qui jouaient à la cordeà sauter, le plus âgé devait avoir 6 ans. Tout d’abord, je me suis demandéequels parents pouvaient laisser leurs enfants seuls dehors à une heure aussiavancée. Puis, nous nous sommes souvenus de ce que nous avions lu dans laTorah. Nous avons réalisé : ce qui se passait sous nos yeux était unaccomplissement des promesses de Dieu. Les enfants étaient revenus dans lesrues de Jérusalem. Cet événement a changé ma vie, et jamais plus je nequitterai Israël », s’émeut-elle.
Deux mois plus tard, le couple s’installe à Tibériade.C’est là que Micah a eu envie de fabriquer une harpe pour son épouse. Il aalors commencé par rassembler du bois qu’il ramassait sur les rives du lac. Letravail avançait doucement mais sûrement.
Une portée spirituelle
Un beau jour, une femme qui aimait cueillir ses fruitsdans la nature, a demandé à Shoshana si elle pouvait ramasser quelques citronsdans leur jardin, ce qu’elle a accepté. Une fois la cueillette achevée, NadineShenker a tenu à remercier les propriétaires du citronnier. « Elle estentrée et a vu un monceau de bois dans le coin de la pièce. Surprise, elle ademandé à quoi il était destiné. Micah lui a révélé que c’était pour mefabriquer une harpe qu’il m’offrirait à mon anniversaire », raconteShoshana. La femme leur a appris que personne n’avait plus construit de harpeen Israël depuis plus de 2000 ans ; et ce qu’elle voyait lui semblaitextraordinaire. Il s’avère que Nadine était une journaliste du Jerusalem Post.Elle a décidé de publier l’histoire de ce couple hors du commun. Des dizainesde lettres sont alors parvenues aux Harrari, toutes contenaient des commandesde harpe. Depuis,ils n’ont jamais cessé d’en fabriquer. Ils sont très fiers deleur histoire.
31 ans et 4 000 harpes plus tard, leur travailcontinue et a évolué, mais l’amour qu’ils portent à leur métier est resté lemême. « Si la harpe est revenue en Israël, cela annonce de beaux jours.C’est un instrument de joie », affirme Shoshana. Ces descendants de la tribude Levy se sentent connectés à Dieu et veulent garder une certaine authenticitédans leur œuvre. C’est pourquoi ils se servent de dessins archéologiques afinde fabriquer des harpes semblables à celles utilisées par le roi David pourjouer les Psaumes qu’il rédigeait.
« Guérison, joie, prophétie, prière, méditation etcréativité sont tous des mots associés à la harpe », nous apprendShoshana. Et de rappeler que c’est avec l’aide d’une harpe que David avaitguéri le roi Saül lorsqu’il était malade et déprimé. Aujourd’hui, la scienceconfirme les bienfaits de cet instrument symbolique sur le corps humain.
« Toute chose sur Terre vibre », continue d’unton assuré la harpiste, avant d’expliquer : « Le corps humain est cequi possède la plus haute fréquence de vibration du monde. Il vibre à18 000 Mégahertz chez une personne en bonne santé. Aussitôt qu’elle mangemal, si elle ne se dépense pas assez, si elle stresse ou si elle manque desommeil, ses vibrations diminuent, ainsi que la vie en elle. La plus basse fréquencejamais mesurée sur des individus est celle relevée chez quelqu’un atteint ducancer. Le son de la harpe a un effet extrêmement positif, car il augmente lesvibrations du corps humain. C’est un accordeur pour les âmes », expliqueShoshana. La harpiste expérimentée a également établi un lien entre les 22cordes que possèdent la plupart des harpes et le nombre de lettres dansl’alphabet hébreu. En attribuant une lettre à chaque note, Shoshana est capablede jouer, par exemple, le mot « Ahava » ou même toute la Bible sielle le voulait. Ainsi, elle espère retranscrire l’émotion et le poids queportent les mots. Le couple se dit heureux d’avoir eu un rôle à jouer dansl’histoire de l’Etat d’Israël. Ils peuvent aussi être fiers de la renommée deleurs harpes. Ils en fabriquent pour l’institut du Temple de Jérusalem. BobDylan, la famille Rothschild ou encore Avigdor Liberman ont tous une harpegriffée Harrari chez eux.
Depuis 1982, d’autres fabricants de harpe se sontinstallés en Israël. Peter Isacowitz en est un qui vit et travaille en Galilée.Il a créé une entreprise du nom de Woodsong. Il y a également Ayelet String quivend des harpes importées de France dans l’Etat hébreu.
Ce bel instrument intéresse de plus en plus d’Israéliens,qui désirent découvrir la harpe et apprendre à en jouer. Mais, bien au-delà dudivertissement, la harpe a une tout autre utilité…
Rassemblement de tous horizons
Par un mardi après-midi froid et pluvieux du mois dedécembre, le son doux et mélodieux de la harpe envahit les couloirs du 7e étagede l’hôpital Shaaré Tzedek de Jérusalem. Shoshana Levy, une mère de familleisraélienne, joue pour les personnes malades. La pièce où elle s’est installéeest remplie de personnes en phase de traitement par chimiothérapie. Concentrée,Shoshana « projette la guérison à travers sa musique ». Son regardplonge dans les yeux des patients, qu’elle fixe de manière déterminée commepour améliorer les effets du son de la harpe. Les conversations autour d’ellecontinuent, bien que le temps soit suspendu. Personne n’est pressé par letravail ou par une quelconque obligation. Shoshana joue, chacun entend,certains écoutent, et la vie continue. Cette harpiste confirmée offre sesservices à l’hôpital de manière bénévole bien qu’elle soit parfois rémunérée.Elle vient à peu près deux fois par semaine et rencontre des personnes de toushorizons. « Les gens que je vois viennent de différentes cultures, dedifférentes religions, n’ont pas le même statut social ni même la mêmeéducation », constate cette juive orthodoxe, « mais tous ressententles bienfaits de la harpe ». « A l’hôpital, mes missions sont trèsdiverses. Parfois je joue près des lits, pour une seule personne. Quelle quesoit sa situation, les résultats ne se font pas attendre et beaucoup me décriventle bien que la séance de thérapie par la harpe leur a fait », raconteShoshana.
C’est à la demande du Dr Nathan Cherney, spécialistedes soins palliatifs, que la harpiste a commencé, il y a une dizaine d’années,à jouer pour les patients. Dans tout ce temps, elle a pu constater les réelsbienfaits de la harpe et la musicothérapie en général sur le corps humain. Maisce n’est pas uniquement la harpe qui aide les personnes malades, « c’estun travail d’équipe, là est la clé du succès », affirme Shoshana. Pendantque la musicienne se confie, plusieurs infirmières et patients la sollicitentafin qu’elle continue à jouer ou pour qu’elle sache à quel point ils apprécientce qu’elle fait. « On attend tous qu’elle vienne », affirme ainsiSuzanne qui fait partie du personnel de l’hôpital. « Les gens sontsensibles à la musique, tout le monde à son niveau. Souvent, la famille dumalade pour qui je joue se met à pleurer. Je vois beaucoup de larmes. J’imagineque ma musique est semblable à une couverture de son qui enveloppe les gens,qui les emmène vers la paix et la guérison », image Shoshana. Elle insistesur le fait que, la plupart du temps, la harpe ne cure pas les gensphysiquement, mais les guérit dans leurs pensées, leurs émotions. Une fois cetravail spirituel accompli, les effets positifs d’une guérison intérieure sefont ressentir sur l’extérieur, dans le corps. « La harpe agitindirectement sur l’organisme, mais elle a également des bienfaits au niveaucellulaire », tient-elle à ajouter. Lorsqu’elle joue de son instrument, laharpiste dévouée dit ressentir la « Shekhinah » qui représente laprésence divine. « Lorsque le son de la harpe commence à résonner,l’atmosphère change. Un lieu impersonnel devient intime, sacré etsecret », raconte Shoshana. « Malades, les gens sont authentiques etne veulent plus se cacher derrière des mensonges. La musique accentue ceteffet, elle dénude les gens. C’est un grand privilège pour moi de jouer poureux, car j’entre dans leur intimité la plus complète. Je les vois exposés etfragiles, cela m’apporte beaucoup de compassion. La conséquence est que jetombe amoureuse des personnes pour qui je fais chanter mon instrument »,divulgue la musicienne. Elle ajoute que son métier est un appel et quel’exercer est un privilège. Entre jouer dans un hôpital et se produire sur unescène, son cœur la portera toujours vers la première option.
La mélodie hospitalière
Sunita Staneslow, harpiste israélienne de renom, estégalement harpe-thérapeute, mais passe beaucoup plus de temps en tournée ou surscène afin de donner des spectacles appréciés dans le monde entier. Elle serad’ailleurs en tournée aux Etats-Unis en février prochain. Après avoir suivi unprogramme international de thérapie par la harpe (International Harp TherapyProgram, une école entièrement dédiée à la discipline), Sunita a commencé àjouer au Centre médical pour enfants Schneider, à Petah Tikva. Voilà 6 ansqu’elle y travaille en tant que thérapeute musicale. Selon elle, « tout lemonde sait parfaitement l’effet que la musique peut avoir sur les gens. Lehard-rock ou la techno laisseront rarement les gens indifférents. Mais on aoublié que ça marchait aussi dans l’autre sens, pour les musiques douces etcalmes », affirme Sunita. Elle enseigne également à certains enfants del’hôpital à jouer de la harpe. Ce qu’ils apprécient par-dessus tout, car c’estl’occasion, pour eux, de montrer qu’ils sont capables de faire quelque chose debeau, de valable. « La harpe est un excellent instrument de relaxation.J’en joue pour les bébés et cela les aide à dormir profondément. Ils vontd’ailleurs jouer mes disques dans l’ensemble des couloirs de Schneider. Il y abeaucoup de bruit à l’hôpital, et le son de la harpe aide à se sentirmieux », assure la musicienne professionnelle. Elle aussi s’imaginerecouvrir ses auditeurs d’une couverture de son.
En milieu hospitalier, elle a su s’adapter à sonenvironnement et l’incorporer dans sa musique. « L’hôpital est un lieu quirassemble. Les religieux soignent les laïques et vice versa. Les juifscombattent la maladie aux côtés des musulmans et des chrétiens. Tous sont uniset partent se battre au front contre un même ennemi : la maladie. Cela m’inspire.Dans un établissement médical, il y a aussi les “bips” et autres sonsrécurrents et stridents. J’ai donc décidé de les intégrer à mes morceaux et deles faire jouer avec moi. Ils constituent le rythme ou une note de ma partitionet tout devient plus harmonieux », conclut-elle.
Ainsi, les patients, enfermés dans leur chambre, n’ontqu’à fermer les yeux et se laisser transporter à l’opéra, où une symphonie estjouée en leur honneur. © Jerusalem Post Edition Française – Reproduction interdite