Gérard de Cortanze, l’écrivain à la plume prolixe qui passe des biographies d’Auster, Sollers Tobiasse, aux romans historiques et autobiographiques, vient de publier un livre sublime.C’est une romance qui commence à Grenade en 1066 entre une Juive, Gâlâh, âgée de 14 ans et un jeune poète musulman Halim. Le père de cette jeune fille, Samuel Ibn Kaprun, le puissant conseiller du grand vizir, va offrir à sa fille une Khomsa, contre le mauvais œil qu’elle va garder autour de son cou.Ce bijou-talisman, qui lui permettra de traverser toutes les époques et d’être le témoin des souffrances de son peuple, est le symbole qui réunit l’islam aux juifs : « Je voulais que cette petite main sculptée et d’un bleu éblouissant soit un relais entre les deux religions, puisqu’il est associé aux cinq livres de la Torah pour les uns, et aux cinq piliers de l’Islam pour les autres », ajoute Gérard de Cortanze, qui balaie quand même de la main, la soi-disant entente idyllique entre les deux religions à une autre époque. Un âge d’or éphémère : « Il ne faut pas tout mettre sur l’Inquisition et les chrétiens, les musulmans ont aussi tué les juifs, comme à Grenade, récit qui ouvre mon livre : le 31 décembre 1066, cinq mille juifs vont être massacrés ». Gâlâh fuit plus loin, protégée par son bijou. Et c’est ainsi que nous retrouvons notre héroïne àSéville, Tolède, Constantinople, New York, Paris, et dans l’indicible lieu : Treblinka. Cette jeune fillequi flotte à travers le temps, incarnant le Juif errant au féminin, semble répéter toujours la même rengaine : « Du haut de mes souffrances, mille années vous contemplent ».Car chaque endroit où elle se trouve est accompagné par le soufre de la douleur. Un roman épique dont le style incroyable souffle, tempête et gronde, accompagnant des phrases poétiques qui sentent à la fois les figuiers de l’Espagne, le sang des massacres, et la foi immuable du peuple juif fait de rituels et d’une langue. C’est une sorte d’immense tableau de Jérôme Bosch où chacun a sa place, avec pour figure centrale, en opposition à l’ange Gâlâh, le diable, Iblis islamiste radical qui traverse aussi le temps jusqu’à la retrouver à Paris, sous les traits de Merah… Alors il fallait oser, oui, nous le disons à cet homme de courage et, contrairement au politiquement correct, Gérard de Cortanze affiche la couleur tout de suite :« Je suis philosémite, sioniste, et je l’assume complètement », affirme l’écrivain avec ce franc-parler qui le caractérise. De multiples raisons accompagnent cette déclaration. Le parcours d’un écrivain hors pairIssu d’une famille d’émigrants italiens, il connaît l’errance, la différence dès sa plus tendre enfance où, circoncis par obligation médicale à l’âge de 7 ans, le médecin délivre à sa mère un certificat prouvant qu’il a été opéré non religieusement. Dans le début des années cinquante, l’esprit de Vichy est-il encore là ? Gérard de Cortanze n’a pas de réponse, mais sera marqué à vie par ce papier, tache noire sur ses blanches années, et rebondit sur le cas Dieudonné : « Qui sont-ils ? Et qu’est-ce qui relie les musulmans, l’extrême-droite et les imbéciles : l’antisémitisme », précise l’auteur. Pour lui, les mesures n’ont pas été assez radicales : « Pour défendre la démocratie, il faut parfois employer des moyens antidémocratiques… »Depuis des années, il voulait écrire ce roman et témoigner, comme un combat. Un livre qu’il dédie à deux écrivains qui ont donné un sens à son histoire. Tout d’abord A.B. Yehoshua, israélien protagoniste de la paix, qu’il rencontre juste après les accords de camp David. Il lui fera avoir le Prix du Grand Roman. Puis, tout se détériore et il recevra un télégramme pessimiste de Yehoshua qu’il garde précieusement. L’auteur israélien apparaît dans l’An prochain à Grenade comme le rêve d’une autre époque. Et puis il y a Viviane Forrester, qui lui donnera les fondations et les clefs en lui confiant : « Je me sens très juive, mais si j’étais née en Espagne, c’est là-bas que j’aurai envie de vivre, et pas en Israël ». L’auteur effleure la Terre promise, la survole avec passion et la défend, mais reste à la porte sans y entrer… comme une rive interdite. Il choisit la France pour son personnage… L’An prochain à Jérusalem reste un rêve et la jeune Gâlâh, dont l’âme ne meurt jamais, retourne chez elle à Grenade, dans ce pays que Dieu parfume.Hispaniste de longue date, Gérard de Cortanze avait pour professeur Haïm Vidal Séphiha, chantre du judéo-espagnol, qui lui chantait les chants traditionnels. C’est aussi en pensant à lui qu’il a saupoudré ses pages d’une Histoire juive espagnole très forte, avec des images hautes en couleur, sorte de Salambô hébraïque. Son rêve évidemment : l’An prochain en Israël, pour présenter son livre en Terre sainte et qu’il soit traduit en hébreu. L’An prochain à Grenade, Gérard de Cortanze, Albin Michel