Grands yeux et tous sourires, Elay-Gabriel ne semble quepeu affecté par la bulle médiatique qui s’agite autour de lui. Des dizaines dejournalistes français ont rendu visite ces derniers mois à ce petit bonhommed’un an et demi. Et pour cause : l’enfant est sans citoyenneté, car la Francene reconnaît pas les enfants nés de mères porteuses à l’étranger, même si l’undes parents est de nationalité française.
Pour compliquer les choses, Elay-Gabriel est élevé par deux homosexuelsparisiens, Eran, Israélien d’origine et son partenaire, Jean-Louis (leurfamille a demandé à ne pas révéler leurs patronymes). Les couples homosexuelsne peuvent pas adopter aujourd’hui en France, ce qui leur laisse très peud’autres choix, dont le recours à une mère porteuse, pour élever un enfant.
« Les célibataires n’obtiennent en général pas le droit d’adopter, et les gayssont considérés célibataires en France puisque nous ne pouvons pas légalementnous marier », explique Eran. Mais tout cela pourrait fort changer, si la loisur le mariage pour tous était définitivement adoptée par les deux chambreslégislatives hexagonales. Ces derniers mois, le débat sur le mariage homosexuela fait rage en France. La communauté juive y a joué un rôle non négligeable.Rappel des faits.
« Plus écoutés que les catholiques »
Au mois d’octobre, le Grand rabbin GillesBernheim rompt avec la tradition de neutralité du rabbinat français sur lesquestions civiles pour rédiger un plaidoyer sur les conséquences négatives dumariage homosexuel. Selon Bernheim, ces efforts législatifs ne concernent qu’«une minuscule minorité » de la société et font partie d’une plus large tendanceà « saboter les fondements hétérosexuels de notre société ».
L’association française des juifs homosexuels, Beit Haverim, réagit alors enqualifiant ces propos de « belliqueux ». Mais le texte est largement repris parles grands quotidiens et le pape Benoît XVI le qualifie de « profondémentémouvant » lors d’un discours à l’occasion de Noël. Il fait aussiremarquablement contraste avec la réaction incendiaire de l’Eglise catholiquefrançaise. Le cardinal Philippe Barbarin, archevêque de Lyon, déclare ainsi, aucours d’une interview, que la nouvelle loi signerait « l’effondrement de lasociété », ajoutant : « Ensuite, ils voudront avoir la polygamie. Puis ilslégaliseront l’inceste ».
« Lorsque les catholiques se sont exprimés contre cette loi, personne n’y aprêté attention, en raison de leur virulence et parce que ce sont des opposantspavloviens aux changements », explique Yeshaya Dalsace, un rabbin massortiparisien de premier plan. « Les gens ont écouté Bernheim parce que les juifssont connus pour être en faveur du progrès dans les champs légal et médical,dans le monde du travail etc. ».
Pour beaucoup, le débat autour du mariage gay est avant tout une question deprincipe, le Pacs accordant quasiment les mêmes droits aux couples homosexuelsqu’aux couples hétérosexuels. Le droit de filiation reste cependant uneexception.
Au mois de novembre, Eran a rencontré plusieurs députés socialistes en premièreligne de la bataille pour le mariage pour tous. Le 29 janvier, la ministre dela Justice Christiane Taubira, propulsée au-devant de la scène par son combaten faveur de la loi, publiait une circulaire ordonnant aux autorités concernéesde faciliter la reconnaissance des dizaines d’enfants nés de mères porteuses,comme Elay-Gabriel, qui vivent aujourd’hui tels des étrangers en leur proprepays.
« C’est très positif, mais une circulaire peut tout aussi bien être annulée etne peut remplacer une loi », analyse Eran.
Une communauté conservatrice
Alors que le débat à l’Assemblée nationale, àl’issue duquel le texte a été adopté en première lecture par les députés, a étépassionnément suivi par les pros et antis, les mêmes divisions étaientpalpables au sein de la communauté juive. Joël Mergui, président duConsistoire, s’est lui aussi élevé contre le mariage gay en septembre dernier,affirmant au Monde que « cela porterait atteinte au modèle naturel de lafamille ».
Mais Dalsace, lui, s’est fait le porte-parole de la partie adverse. Il a rédigéun opus de 37 pages, ainsi que plusieurs tribunes pour s’opposer aux argumentsdu rabbin Bernheim, martelant que la nouvelle loi n’enfreindrait pas leslibertés religieuses. Cité par de nombreux défenseurs du texte, Dalsacemaintient cependant que les rabbins ne devraient pas s’impliquer dans lesdébats sur les réformes civiles.
En prenant la parole, son objectif était avant tout « de combattre la fausseimpression que Bernheim s’est exprimé au nom de tous les juifs »,explique-t-il.
S’il n’existe aucune donnée officielle sur la question (les sondages ethniquessont interdits dans l’Hexagone), les experts estiment que la communauté juivefrançaise – la 3e du monde avec ses près de 600 000 membres – penche pour leconservatisme et s’oppose dans son ensemble à cette réforme promue par legouvernement du président Hollande. « La communauté juive de France devient deplus en plus religieuse et traditionnelle, en partie sous l’influence des piedsnoirs arrivés ici dans les années 1950 et 1960 », confirme Gideon Kouts,professeur au département d’hébreu et de culture juive à l’université Paris 8.
Mais quelle que soit l’opposition religieuse à la réforme, François Hollandesemble bien déterminé à aller jusqu’au bout pour mettre en oeuvre ce quiconstitue l’une de ses majeures promesses de campagne. Cité par Le Figaro, leprésident aurait réagi aux grandes manifestations contre la loi au mois dejanvier lors d’une rencontre informelle avec des dignitaires religieux, dont leGrand rabbin Bernheim, en affirmant : « Nous ne votons pas les réformes enfonction des manifestations ». Et de conclure : « Si tel était le cas, nouslaisserions en réalité la rue décider et ce serait le chaos ».