Déclarations, rumeurs, spéculations…La visite tant attendue du président Obama, courant mars, sera plus bien plusqu’une simple manifestation de solidarité. Elle devrait influencer denombreuses questions de première importance. Avant d’en analyser quelques-unesen profondeur, un petit tour d’horizon s’impose.
Tout d’abord, le déplacement pourrait avoir un impact majeur sur le dossiernucléaire iranien. Barack Obama voudra persuader le Premier ministre BinyaminNetanyahou de ranger l’épée au fourreau et de laisser faire les Etats-Unis pourempêcher la République islamique d’obtenir la bombe atomique. Mais Netanyahoune voudra pas céder le droit d’Israël à agir militairement pour se défendred’une menace considérée comme existentielle. Du bon déroulement de ce dialoguedépend la suite du dossier iranien au cours des prochains mois. Et, plusgénéralement, alors que le Proche-Orient traverse une périoded’incommensurables changements, la visite permettra aux deux leaders decoordonner leurs positions sur un certain nombre de questions stratégiques,bien au-delà de la bombe iranienne : la guerre civile en Syrie, la reprise despourparlers avec les Palestiniens et la nouvelle réalité des gouvernementsislamistes dans toute la région et, en particulier, en Egypte.
La rencontre intervient un à moment où l’alliance israéloaméricaine paraît plusforte que jamais. Les Etats-Unis ont prépositionné des équipements militairesd’urgence dans l’Etat hébreu d’une valeur estimée à 1,2 milliard de dollars.Les deux pays tiennent régulièrement des exercices militaires communs des plussophistiqués et coopèrent en matière de défense antimissile. Les Etats-Unisarment Israël, avec notamment des avions de chasse dernier cri F-35 quidevraient être prêts pour 2016. L’Etat hébreu a adopté la « Révolution desaffaires militaires » américaine basée sur des armes de précision à longueportée et les Etats-Unis ont été séduits par les méthodes de lutteantiterroriste israéliennes. Les deux pays échangent également desrenseignements secrets de la plus haute importance.
Enfin, un grand nombre d’intérêts communs unissent ces alliés de toujours :empêcher Téhéran de devenir une puissance nucléaire, écarter la Syriepost-Assad de l’axe iranien, maintenir la stabilité en Jordanie, préserver letraité de paix égypto-israélien, contribuer à stabiliser la mainmise égyptiennesur le désert du Sinaï et enfin, et non des moindres, la relance du processusde paix.
Mais d’énormes différences existent sur les moyens d’y parvenir pour les deuxcapitales ; en particulier concernant l’Iran et les Palestiniens. Desdivergences qui ont créé de nombreuses frictions entre les deux administrationset, à un niveau personnel, entre Obama et Netanyahou. L’un des objectifs de lavisite du président américain est donc de convaincre le peuple israélien de sesbonnes intentions et de sa fiabilité en matière de menaces existentielles.
Washington attaquera, ou pas ?
Sa première mission sera de persuader Netanyahoud’attendre patiemment en laissant les Etats-Unis gérer le dossier iranien. LesAméricains croient à l’effet des sanctions économiques et diplomatiques et nesortiront de leur manche l’action militaire qu’en dernier recours. Mais l’Etathébreu redoute que les Iraniens ne fassent tout pour gagner du temps et arriverà la fameuse « zone d’immunité » où le programme d’enrichissement seratellement avancé qu’il ne pourra plus être stoppé.
Obama rappellera que le but américain ne vise pas à empêcher l’Iran de se doterd’un programme nucléaire, mais seulement de la bombe atomique, et que la puissancemilitaire des Etats-Unis étant supérieure à celle d’Israël, Washington peut sepermettre d’attendre bien plus longtemps que Jérusalem avant de se résoudre àune offensive. Il redira que son pays s’engage à employer tout « ce qu’il faut» pour empêcher Téhéran d’arriver à ses fins, y compris l’usage de la force,mais qu’une action israélienne précipitée pourrait engendrer une guerregénérale inutile et souhaitée par personne.
De son côté, Netanyahou reviendra sur le fait que les Etats-Unis ont déjà échouéà empêcher la Corée du Nord, le Pakistan et l’Inde de devenir des nationsnucléaires et arguera qu’Israël ne peut prendre le risque de voir son alliééchouer à nouveau, allié qui, lui, peut vivre sous une menace nucléaire tandisque l’Etat hébreu ne peut se le permettre.
En d’autres termes, Bibi redoute de voir Téhéran entrer dans une phase où uneattaque israélienne n’aurait plus d’effet, ce qui ne laisserait plus àJérusalem qu’à se fier à une action militaire américaine. Action qui pourraitne jamais arriver.
Comment, alors, Obama pourrait-il persuader le chef du gouvernement israéliende la capacité américaine à pouvoir mettre le holà aux ambitions iraniennes ?Une des pistes serait d’impliquer Jérusalem dans la planification militaire.
Telle était d’ailleurs la démarche de certains généraux américains lorsqu’ilsont fait part de leurs plans aux Israéliens l’année dernière.
Une autre option pourrait être un ultimatum américain aux Iraniens. C’est ceque voulait dire Netanyahou lors de ses derniers commentaires au mois defévrier : « Je crois qu’il revient à la communauté internationale d’intensifierles sanctions et de dire très clairement que si l’Iran continue son programme,il y aura également des sanctions militaires », a-t-il déclaré.
Dans cette optique, le Premier ministre aimerait voir les Américains élaborerune option militaire crédible. Il y accorde une énorme importance. Au mieux,cela pourrait dissuader les Iraniens. Et au pire, cela permettrait auxEtats-Unis et à leurs alliés d’agir rapidement en cas de besoin, avant qu’il nesoit trop tard.
Si Obama parvient à persuader Netanyahou, ce dernier pourrait accepter de faireprofil bas tant que les Etats-Unis lui paraîtront contrôler la situation. Maisil est hautement improbable que Bibi promette de ne rien faire seul, quellesque soient les circonstances. « Pour Netanyahou, le premier rôle de l’Etat juifest de conférer au peuple juif la capacité et le droit de se défendre lui-même.Je le vois même céder ce droit ou accepter tout “sous-contrat” lorsqu’il s’agitde réelle menace envers l’Etat d’Israël », confie ainsi l’un de ses prochescollaborateurs.
Les (dés)illusions syriennes
La guerre civile en Syrie pose également un défistratégique de taille aux deux pays. Les Etats-Unis et Israël partagent deuxobjectifs majeurs : voir la dictature d’Assad remplacée par un régime modéré,pro-occidental et détaché de l’Iran d’une part et empêcher les armesbiochimiques et autres arsenaux d’atterrir en de mauvaises mains, comme lesdjihadistes soutenus par al-Qaïda ou encore le Hezbollah, d’autre part.
Fin janvier, l’armée de l’air israélienne aurait bombardé des convois demissiles antiaériens à destination du mouvement chiite libanais, à proximité dela frontière syro-libanaise, dans la zone d’un centre de recherche biologiqueet chimique.
D’autres attaques israéliennes de ce type, avec le soutien américain, sontenvisageables à l’avenir. Mais Netanyahou et Obama peuvent-ils réellementcontrer l’influence djihadiste et iranienne tout en promouvant un régimeprooccidental qui romprait avec l’axe mené par Téhéran ? Un tel changementproduirait un véritable renversement de situation dans la région et auraitd’énormes répercussions.
Selon Amos Yadlin, ancien chef des renseignements militaires et directeur del’Institut pour les études de stratégies nationales basé à Tel-Aviv, lesEtats-Unis doivent, coûte que coûte, coopérer avec la Russie afin d’accélérerla fin du régime Assad et mettre un terme au bain de sang. Et parce que lesenjeux sont si importants, Yadlin préconise que Washington envisage unmarchandage avec Moscou sur d’autres sujets d’intérêts pour les Russes.L’expert suggère également que les Etats-Unis décident d’une zone d’exclusionaérienne, en coopération avec l’Otan et la Turquie, tout en bombardant desinfrastructures vitales pour le régime de Damas, depuis la frontière turque,afin que la guerre prenne fin.
Mais le Premier ministre a des doutes là-dessus. Pour Netanyahou, le régime estencore loin de s’effondrer.
Et il lui semble plus probable que la guerre civile dure encore de long mois,avant de faire place à une sévère fragmentation civile et avec des prises depouvoir multiples par différents groupes dans tout le pays. Bibi ne fonde pasdavantage d’espoir sur un éventuel régime pro-occidental et anti-iranien. « Nosoptions en Syrie sont mauvaises, très mauvaises et pires encore », se plaît-ilà répéter, vu la nature islamiste de l’opposition à Assad.
En clair : l’Etat hébreu n’envisage pas d’intervenir en Syrie sous quelle conditionque ce soit, à l’exception peut-être d’une éventualité où les armes chimiquestomberaient entre de mauvaises mains. « Nous sommes focalisés sur des arsenauxspécifiques en Syrie et sur ceux qui les contrôlent », confirme ainsi unesource officielle de l’establishment militaire.
John Kerry, déterminé jusqu’à l’obsession
Obama n’amènera pas un nouveau projetde paix dans ses bagages. Mais les pourparlers entre Israéliens et Palestinienstiendront une place de choix dans son programme. « Nous n’allons pas débarqueravec un plan, en expliquant à tout le monde ce que chacun doit faire. Je veuxmener des consultations et le président veut écouter », a ainsi assuré lenouveau secrétaire d’Etat John Kerry au mois de février.
En coulisses, Washington n’en a pas moins ardemment travaillé avec lesnégociateurs, israéliens comme palestiniens, pour donner une nouvelle chance auprocessus de paix, toujours basé sur la solution à deux Etats. Côté israélien,c’est le conseiller à la sécurité nationale Yaakov Amidror et l’avocat ItzhakMolcho, représentant spécial du Premier ministre, qui se sont rendus dans lacapitale américaine pour plusieurs semaines consécutives au mois de février.
Côté palestinien, c’est l’éternel Saeb Erekat, négociateur en chef del’Autorité palestinienne qui est venu rencontrer John Kerry à peu près au mêmemoment.
Selon certains, le secrétaire d’Etat serait « déterminé jusqu’à l’obsession » àobtenir un tournant majeur dans les négociations israélo-palestiniennes. « Unesi grande partie de ce que nous souhaitons réaliser et de ce que nous devonsaccomplir au plan international est en rapport avec le Maghreb, l’Asie du sud,l’Asie du centre-est, et tout au long du Golfe.
Mais tout cela pourra ou ne pourra pas se faire en fonction de la situationisraélo-palestinienne », a déclaré le diplomate lors de ses audiences deconfirmation à la Commission des relations étrangères au Sénat, au mois dejanvier.
Son équipe prépare d’ores et déjà des propositions destinées aux deux partiespour la relance des pourparlers. D’ici quelques mois, ces propositionspourraient accoucher de nouveaux paramètres américains sur les questions defond afin de pousser les négociateurs à se mettre d’accord. Dans ce contexte,la visite d’Obama, qui se rendra à Jérusalem comme à Ramallah, pourrait poserles jalons d’une plus ample initiative de paix à venir.
Par le passé, la position de Netanyahou a été de reprendre les négociationssans aucune forme de préconditions. Ce qui a été interprété par lesPalestiniens comme un retour à la case départ, et le largage par-dessus bordtous les accords et compromis précédemment atteints par les parties au coursdes négociations. Bibi a même refusé d’accepter le principe des frontières de1967 avec échanges de territoires, basé sur des négociations territorialesalors que l’ancien Premier ministre Ehoud Olmert et le président de l’Autoritépalestinienne Mahmoud Abbas s’étaient entendus sur ce point.
Les Palestiniens, eux, voulaient reprendre les pourparlers là où Abbas etOlmert les avaient laissées en 2008 ; Netanyahou voulait recommencer à zéro.
Vers la paix ?
Avec Obama à Jérusalem, le leader sera-t-il prêt à aller plusloin pour attirer de nouveau les Palestiniens à la table des négociations ? «Nous sommes prêts à jouer notre rôle pour reprendre les pourparlers », réagitlaconiquement une source diplomatique officielle. Difficile d’en comprendredavantage, faute de détails, mais la formule semble indiquer une dispositionisraélienne à aller de l’avant. Ce qui pourrait mener à nouvelle situation,basée sur des concessions et de gestes de bonne volonté, soutenus par desmoyens de défense américains et des garanties économiques.
Par exemple, l’Etat hébreu pourrait se montrer prêt à discuter d’un accordterritorial basé sur les frontières de 1967 et des échanges de territoires. Enretour, les Palestiniens pourraient accepter de discuter de la sécurité et desterritoires d’abord, pour laisser les sujets ultrasensibles de Jérusalem et desréfugiés à plus tard. Israël pourrait également libérer les prisonnierspalestiniens et geler les constructions à l’extérieur des grands blocsd’implantations.
En échange de quoi, les Palestiniens pourraient se réengager à la non-violence,éviter toute incitation anti-israélienne et abandonner toute revendication surl’Etat juif une fois conclu un accord permanent. Tout cela pourrait s’ébaucherdurant la visite d’Obama, d’autant que Netanyahou paraît plus déterminé cettefois-ci à parvenir à un accord avec les Palestiniens.
Le Premier ministre semble en effet avoir été influencé par l’impatienceinternationale croissante face à la situation dans les territoirespalestiniens, qui dure désormais depuis 45 ans. Netanyahou craint également leshumeurs de l’opinion israélienne pour qui seul un Premier ministre quiaccomplit de grandes choses a des chances de se faire réélire.
Plus important encore, la nouvelle équipe américaine est prête à se donner àfond pour voir les choses avancer dans le bon sens. Et la nomination de TzipiLivni à la tête des négociations avec les Palestiniens est un signal du nouvelengagement de Bibi. Reste à savoir si ce dernier souhaite vraiment parvenir àune solution à deux Etats ou simplement maintenir la communauté internationaleà distance.
La rencontre entre Obama et Netanyahou ce mois-ci a peu de chances de débouchersur une belle amitié. Les deux hommes ne se supportent tout simplement pas.Mais il est impératif qu’en ces circonstances historiques, ils mettent leursdifférences personnelles de côté afin de relever les innombrables défis qui lesattendent.