Elle avait choisi Israël

Venir en Terre Promise et partager la destinée du peuple juif : tel était le rêve de Karen Yemima Mosquera, une jeune Equatorienne de 22 ans. Un rêve qui a tourné court

Elle avait choisi Israël (photo credit: DR)
Elle avait choisi Israël
(photo credit: DR)
Simha Chairsky
Des yeux pétillants, un sourire lumineux, joie de vivre et innocence se peignent sur son beau visage. Karen est aux anges. Elle a enfin réalisé son rêve : elle est devenue Yemima bat Avraham Avinou. Cela fait cinq ans qu’elle se bat pour cela. Elle rayonne, elle exulte. « Les cieux sont ouverts. Tu peux me demander ce que tu veux », crie-t-elle en riant à son amie Yaël, à son retour du mikveh.
Tout a commencé là-bas, loin, de l’autre côté du monde, à Guayaquil, en Equateur. Elle mène une vie tranquille, étudiante studieuse et brillante, avec sa mère Rosa Cecilia et sa sœur Priscilla. Ses parents sont divorcés. Elle va à l’église de temps en temps. Sa mère a bien quelques curieuses habitudes. Le vendredi soir, elle allume deux bougies. Quand elle se coupe les ongles ou les cheveux, elle les brûle. Et s’il y a un deuil, elle couvre les miroirs. Comme sa mère et sa grand-mère avant elle.
Est-ce pour avoir trop regardé les petites flammes danser devant ses yeux que « Jemima » se pose des questions ? En fait, sa mère « refuse les mensonges de l’Eglise » et a trouvé dans « l’Ancien Testament » une vérité qui lui réchauffe le cœur. Elle éduque ainsi ses enfants, sans se soucier du qu’en dira-t-on. Ses voisines la prennent pour une folle. Elle n’en a cure.
Yemima veut comprendre. Elle fouille l’arbre généalogique de la famille et découvre qu’ils descendent de conversos, ces juifs espagnols forcés de se convertir au christianisme pendant l’Inquisition. Etait-ce pour se rapprocher de la foi de leurs pères qu’ils ont choisi l’Amérique ? Il faudra des centaines d’années et plusieurs générations pour que cela se réalise. Entre-temps ils deviennent catholiques, ou font semblant.
A 18 ans, Yemima obtient une bourse pour étudier la psychologie à l’université de Guayaquil. Sur Internet, elle absorbe tout ce qu’elle trouve sur le judaïsme et partage son enthousiasme avec sa mère et sa sœur. Par le biais d’une amie juive, elle entre en contact avec un rabbin israélien hispanophone, le Rav Gabriel Guiner et le bombarde de questions. Impressionné par son sérieux, celui-ci accepte de l’initier à distance.
« Mon Dieu, emmène-moi en Israël ! »
Psychologie le jour, Torah la nuit. Tel est son nouveau quotidien. Elle se lance dans la pratique : règles de cacherout, modestie, prière et bénédictions avant de manger. Tout ce qu’elle apprend, elle le partage avec sa mère et sa sœur. Toutes trois souhaitent se convertir au judaïsme, mais à Guayaquil, point de Beit Din.
Une nuit, Rosa Cecilia trouve Yemima en train de prier de tout son cœur : « Mon Dieu, emmène-moi en Israël ! C’est mon pays ! C’est là-bas que je veux me marier et avoir des enfants ! C’est là-bas que je veux mourir et être enterrée ! »
Elles voudraient partir ensemble, suivre un cours de conversion, mais il n’y a pas assez d’argent pour trois. Yemima attend un signe. Qui « lui prouverait que c’est bien Dieu qui mène la danse ».

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Un jour, elle est en pleine Amida, la prière silencieuse des 18 bénédictions qu’elle prononce avec ferveur. Elle ne sent pas la terre qui tremble sous ses pieds. 7,1 sur l’échelle de Richter. Trois pas en arrière, elle se penche à gauche, à droite, en avant. S’avance, trois pas, se dresse trois fois sur la pointe des pieds. Et découvre le désastre. Les pots renversés sur le sol. Sa mère et sa sœur sous la table. Les fissures dans le mur. Elle, toute à ses dévotions, n’a rien vu, rien senti. Elle sait alors qu’elle doit partir.
Par deux fois, sa mère voit en rêve Yemima en route pour Israël. Elle rêve d’un avion, avec Israël imprimé en grosses lettres sur le côté et Yemima qui traîne derrière elle une valise à roulettes. Toute excitée, elle raconte son rêve à sa fille et ajoute : « Je vais t’acheter des habits comme il faut pour t’habiller modestement en Israël ».
Rosa Cecilia réunit toutes ses économies. Yemima leur ouvrira la voie. Elle va partir, étudier, travailler dur, se convertir. Elle épousera un homme versé dans la Torah, aura des enfants, et elles la rejoindront, elles aussi, plus tard quand leur heure viendra. Elles ne savent pas alors que cela se fera aux frais du ministère israélien des Affaires étrangères, qui permet aux familles de ressortissants étrangers victimes du terrorisme d’assister à leurs funérailles.
Une de ces âmes
Karen Yemima part, quitte son pays, sa famille, ses études. Et découvre Jérusalem. Elle s’attendait à être reçue à bras ouverts. Pas tout à fait. Mais rien ne l’arrête. Elle ne souhaite qu’une chose : être juive ! Et fait fi de tous les obstacles. Le rabbinat, le ministère de l’Intérieur. Peu importe. Rien ne la détournera de son objectif.
Le Rav Guiner l’aide à trouver un séminaire pour jeunes filles sud-américaines, le Machon Roni, pendant féminin de la Diaspora Yeshiva. Yemima suit les cours tout en travaillant pour payer ses études et mettre de l’argent de côté pour faire venir sa mère et sa sœur. Au début, elle est aide-ménagère dans une maison de retraite à Bnei Brak. Elle adore les personnes âgées et apprend aussi énormément avec elles.
La Torah devient son univers. Elle a une telle joie d’apprendre, explique Yaël, son amie à la midrasha. « Elle n’a jamais accepté les enseignements de l’Eglise. Et quand elle s’est mise à étudier la Torah et les mitsvot (commandements), tout a commencé à prendre un sens. Elle étudiait avec un tel plaisir, elle n’avait jamais connu un tel bonheur auparavant. »
Sérieuse et droite, elle met en application tout ce qu’elle apprend. Les voyages extrascolaires ? Pour quoi faire ? Il y a tant à apprendre ! Cela fait 5 ans qu’elle se bat pour être juive. « Sa neshama (son âme) savait qu’elle n’avait pas de temps à perdre », explique la Rabbanite Sara Katz, directrice du séminaire. « Il fallait faire vite. Elle était prête à tout pour pouvoir étudier. Elle n’a jamais manqué un seul cours. »
« D’après le Zohar », raconte la Rabbanite Haya Engel, une des enseignantes de Yemima, « lorsque Dieu a proposé la Torah aux nations du monde, elles ont toutes refusé. Mais quelques petites voix se sont élevées en leur sein, prêtes à en accepter le joug. Personne n’y a prêté attention, sauf le Saint béni soit-Il. Avant l’arrivée de Machiah, Dieu ramène toutes ces nechamot (âmes) qui étaient prêtes à recevoir Sa Torah, parce qu’elles le méritent. » Yemima est une de ces âmes.
L’exemple du séminaire
Il y a sept mois, après des années d’intense labeur, Karen Yemima Mosquera a plongé dans les eaux pures et claires du mikveh. Les cieux se sont ouverts et Yemima bat Avraham Avinou est née. Une nouvelle âme. Un nouveau bonheur. Une nouvelle branche du peuple juif. Qui ne devait jamais porter ses fruits.
Fauchée à l’aube de la vie, alors qu’elle se rendait à un cours de Torah. Assassinée froidement par un terroriste du Hamas libéré des geôles israéliennes.
Au volant de sa voiture, le 22 octobre dernier, Rahman Shaloudi plonge dans la foule des passagers qui descendent du tram à l’arrêt de Guivat Hatahmoshet. Un bébé de trois mois est tué sur le coup. Un autre rêve brisé, celui de parents qui avaient attendu 13 ans pour avoir enfin un enfant. Yemima, grièvement blessée, est transportée à l’hôpital Hadassah Ein Kerem où elle va lutter quatre jours durant contre l’ange de la mort.
« Karen Yemima était un exemple pour toutes les autres filles du séminaire », témoigne son amie Yaël. Quand elles avaient un moment de libre, Yemima et Yaël aimaient se promener en dehors de la Vieille Ville et se rendre sur le mont Sion. De là, elles regardaient la ville et leurs yeux s’arrêtaient sur le mont des Oliviers, où tant de Justes ont trouvé leur dernière demeure.
Un jour, Karen Yemima s’exclame : « Yaël, je veux vivre ici, me marier ici, avoir des enfants ici. Et je veux mourir ici. Et je sais que c’est impossible, mais on peut rêver n’est-ce pas ? Je voudrais être enterrée au mont des Oliviers, parce que, quand le Machiah viendra, je veux être la première à me lever pour me rendre au Temple. »
Le dimanche 26 octobre, Karen Yemima succombe à ses blessures. Accompagnée par plusieurs centaines de personnes, elle sera enterrée au mont des Oliviers.
Ô Jérusalem
Nos sages disent que lorsqu’un Juste quitte ce monde, on porte son deuil ici-bas, mais là-haut, c’est le summum de l’allégresse, et tous les Justes viennent l’accueillir les bras ouverts.
Triste ironie du sort, elle, qui voulait tant être juive et marcher dans les voies de Dieu, dans sa ville sainte, est tombée sous le fléau du terrorisme arabe précisément à cause de cela. Pour le simple fait d’être juive à Jérusalem.
Sur sa page Facebook, entre des photos de chatons et de fleurs, de paysages enchanteurs, Jérusalem sous la neige et couchers de soleil, une vidéo. On y voit une ronde, ou plutôt un carré, de soldats et civils enlacés, certains avec kippa d’autres sans, certaines en jupes longues d’autres en shorts, en vert kaki, en noir et blanc et en couleurs, avec shtreimel, ou tête nue : tous se balancent en chantant : Yeroushalayim shel zahav, Jérusalem la ville d’or, de cuivre et de lumière. Une amie de Yemima a laissé ce commentaire en exergue : « Vale la pena todo sufrimiento por estar acá y contemplar la ciudad de nuestro Dios Hashem Todopoderoso. Cela vaut vraiment la peine de supporter toutes les souffrances pour être ici et contempler la ville de notre Dieu tout-puissant ».
Puisse son souvenir être une bénédiction. 
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