Kerry en mal d’inspiration

Pour initier des idées nouvelles, il faut des leaders capables de résister aux pressions, ouverts à la réflexion et prêts à jeter les bases de nouveaux paradigmes

John Kerry quitte Israel (photo credit: REUTERS)
John Kerry quitte Israel
(photo credit: REUTERS)

Il est de notoriété publique que les chauffeurs de taxi israéliens sont les meilleurs baromètres de  l’opinion publique du pays. A mes yeux, les chauffeurs arabes sont également les meilleurs  baromètres de la rue arabe. Je prends donc volontiers la température auprès d’eux.

Ainsi  récemment, j’ai pris un taxi Porte de Damas (aka Shaar Sichem ou Bab el-Amoud) pour rentrer chez  moi, sur le mont des Oliviers avec un chauffeur nommé Wael (comme précisé sur la carte de visite  qu’il m’a donnée, mais qui se prononce Wa-yeel), et j’en ai profité pour faire la conversation avec  lui. Il m’a demandé d’où j’étais. « Haïfa », j’ai répondu et avec un zeste d’humour j’ai ajouté :  « Vous savez, la ville où les Juifs et les Arabes s’entendent bien et où je peux entrer dans un  magasin arabe et me sentir bien accueilli, ce qui n’est pas le cas ici à Ras el-Amoud. D’ailleurs,  pourquoi c’est comme ça ? », ai-je demandé. D’un ton amical, il m’a très sérieusement répondu :  « Vous savez en arabe, on vous appelle les Almustawten. Vous savez ce que cela veut dire ? »  « Oui », ai-je répondu, « cela signifie colon. » « Exact », a-t-il dit. « Mais, alors que le monde entier  parle du problème des colons et de la façon de les faire quitter les lieux, vous, les Juifs, vous  continuez obstinément à coloniser la Palestine. »
La position hypocrite
Saisissant la balle au bond, j’ai immédiatement riposté : « La Palestine ! Vous aimez en brandir le  drapeau, mais dès qu’il est question d’emploi, de santé, de sécurité sociale, de tribunaux, sans  parler de votre carte d’identité bleue (de statut de résident israélien), vous n’êtes pas prêt à y  renoncer. » Le chauffeur a hoché la tête. « Donc, tous les jours vous vous plaignez de l’occupation,  mais vous ne voulez pas vivre en Palestine pour autant, vous voulez vivre en Israël ! » Wael a  marqué une pause et m’a jeté un regard dans le rétroviseur. « Yesh b’zeh mashehou. Il y a quelque  chose de vrai là-dedans », a-t-il admis. J’étais fier d’avoir réussi à lui faire admettre l’hypocrisie de  la position arabe, mais il a ajouté quelque chose qui m’a mis hors de moi : « Mais laissez tomber  vos histoires de drapeaux ou d’emplois, il s’agit de savoir à qui est la terre, et c’est la nôtre, un point  c’est tout ».
J’aurais pu alors me lancer dans toute une discussion sur l’histoire de l’immigration arabe dans la  Palestine historique, qui prouve que la plupart des Arabes y sont venus juste avant et après la  création de l’Etat d’Israël dans l’espoir de trouver du travail que leur fournissait l’arrivée des Juifs  sionistes. J’aurais pu lui parler de la Conférence de San Remo de 1920 où la communauté  internationale a reconnu « le lien historique du peuple juif avec la Palestine et lui a accordé le droit  d’y reconstruire un foyer national juif sur ces terres ». J’aurais pu parler du lien historique du peuple  juif avec la terre d’Israël et Jérusalem, en lui faisant remarquer l’absence de ce genre de relation  historique et culturelle avec la Terre d’Israël dans l’islam et le Coran. J’aurais pu mentionner le mont  des Oliviers et ses 3 000 ans de sépultures juives. J’aurais pu dire beaucoup ! Mais la simple  affirmation de Wael m’a rendu apathique et confus. Pourquoi ai-je perdu toute ma concentration par  sa simple assertion ? Parce que dans les mots de Wael, j’ai entendu le leitmotiv de la rhétorique  moyen-orientale qui affirme haut et fort : « Nous n’abandonnerons jamais notre terre ».
L’honneur perdu des Juifs
Mais, dans sa demande, a aussi résonné à mes oreilles l’écho de notre silence assourdissant et  notre incapacité à affirmer nos droits sur cette terre. Il existe une asymétrie entre les perspectives  arabes et juives. Aussi bien dans la société juive israélienne qu’en Diaspora, l’idée de négocier notre  terre chèrement gagnée et de la céder est tout à fait acceptable voire même considérée comme  éclairée. La faute peut-être à nos esprits trop légalistes qui amènent les citoyens à s’en remettre aux  gouvernements, que ce soit pour gérer la terre ou satisfaire leurs besoins.
On pourrait attribuer ce  point de vue aux milliers d’années d’errance, au cours desquelles les Juifs de la Diaspora ont perdu  toute connexion physique à la Terre d’Israël sans que des liens d’appartenance à la terre d’accueil  ne se soient pour autant développés en contrepartie. A moins que ce ne soit le souvenir ancré  d’avoir dû se défaire de ses bijoux jusqu’au dernier pour une place dans un train pour sortir  d’Allemagne qui l’explique. Quoi qu’il en soit, les Juifs ont une tendance récurrente à préférer la vie à  la Terre. Mais, pour Wael comme pour beaucoup de mes voisins arabes, céder des terres est un  sacrilège, parce que c’est déshonorant et l’honneur est une valeur primordiale à leurs yeux.
En effet,  le fondement moral du Moyen-Orient et le langage commun à tous reposent sur la notion d’honneur,  de respect, de kavod. La pire chose qui puisse vous arriver sous ces latitudes, c’est de perdre votre  honneur et d’être méprisé par vos voisins. Dans ce code moral, qui est sans honneur est sans  protection ; n’importe qui peut le battre, lui prendre ses biens ou le tuer. Perte d’honneur signifie  porte ouverte aux agressions.

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Ainsi, les interlocuteurs arabes d’Israël considèrent le concept d’échange de territoire contre la paix  comme des gestes qui signifient un manque de colonne vertébrale certain et une criante absence  d’honneur – et de fait interprétés comme des signes annonciateurs de notre destruction imminente.  Quand une élue israélienne d’envergure comme Tzipi Livni fait des déclarations apparemment nobles  comme « Je sais que la terre est à nous, historiquement, mais je suis prête à y renoncer pour la  paix », la plupart des Moyen-Orientaux entendent un pathétique « C’est ma femme, prenez-là,  faites-en ce que vous voulez, mais je vous en supplie ne me faites pas de mal ».
En réalité, la formule terre-contre-paix/solution à deux Etats sape dès le départ toute chance de paix  effective entre Israël et les Arabes, car en infirmant la souveraineté d’Israël aux yeux des peuples  arabes, l’Etat hébreu prouve qu’il n’est pas digne de respect.
De plus, offrir d’abandonner sa terre n’est pas perçu comme un acte de noblesse, mais plutôt  comme de la faiblesse, voire de la couardise. Or, toute faiblesse aiguise les appétits djihadistes et  leur donne des ailes ce qui conduit à de nouveaux cycles de violence ; aussi longtemps qu’Israël fera  profil bas, ils n’auront de cesse de nous combattre. Pourquoi alors les gouvernements israéliens  successifs persistent-ils à enchaîner les cycles de négociations, qui nous étiquettent comme a priori  veules et sans honneur, nous plongeant de fait dans une spirale de violence sans fin et une guerre  auto destructrice ?
Israël semble ambivalent quant à son maintien en Judée-Samarie. D’une part, nous avons fait  d’énormes efforts pour aménager ces terres et rendre l’existence juive dans ce berceau de leur  civilisation viable. D’autre part, nous avons du mal à avaler l’idée de gouverner les masses arabes  qui y vivent et nous avons peur de les intégrer dans le corps social israélien. Et ce, même s’il est  important de noter que, même en prenant en compte les zones litigieuses, notre population reste à  66 % majoritairement juive et la croissance démographique nous est favorable.
Un leadership en berne
Israël se montre réticent à céder la main à l’Autorité palestinienne et son antisémitisme virulent et  pathologique, sachant que, si nous nous accouplons avec l’AP le soir, nous risquons fort de nous  retrouver au lit avec le Hamas au petit matin.
Alors, quelle est la solution ? Nous tournons en rond. Nous ne prenons pas de décisions fermes.  Dans ce nouveau round avec Kerry, l’opinion dominante consiste à penser tout bas que si Israël joue  sagement le jeu avec les Américains et montre sa bonne foi dans les négociations, les Arabes feront  le sale boulot de tout faire capoter et, sans qu’Israël ait à dire non aux Etats-Unis, il ne sera pas  nécessaire ni de donner des terres ni d’évacuer des Israéliens. Cela peut fonctionner à court terme,  mais ce n’est pas du leadership.
Faire preuve de leadership n’est pas se comporter passivement, en espérant que l’autre partie fera  en sorte que vous n’ayez pas à prendre de décision. Il est temps pour Israël de reprendre la barre.  On attend de l’Etat hébreu qu’il prenne les bonnes décisions et montre qu’il sait où est son intérêt et  celui de ses citoyens. Des voix commencent à se faire entendre dans le spectre politique israélien et  dans le monde arabe qui expriment de nouvelles idées pour parvenir à la paix. Israël n’est en effet  pas seul à se méfier de l’Autorité palestinienne. La rue arabe craint tout autant ses dirigeants  régulièrement accusés de corruption et de violentes répressions. Les sondages rapportent  fréquemment que les Arabes qui se retrouveraient à l’intérieur des limites géographiques d’un Etat  palestinien expriment pour beaucoup qu’ils seraient extrêmement tentés de demander l’asile en  Israël.
Place aux idées neuves
Plus encore, certains intellectuels arabes courageux ont eux aussi renoncé à la solution à deux Etats  et proposent de nouveaux paradigmes qui envisagent de vivre côte à côte avec l’Etat juif en bonne  intelligence. Dans un livre intitulé Que vaut un Etat palestinien ? publié par Harvard University Press,  Sari Nusseibeh, président de l’Université Al-Qods de Jérusalem, écrit : « Permettez-moi de proposer  qu’Israël annexe officiellement les territoires occupés, et que les Palestiniens dans un Grand Israël  acceptent le concept d’Etat juif, en échange d’une citoyenneté pleine et entière qui leur octroierait  les mêmes droits civils, mais pas politiques.
Ainsi, l’Etat serait juif, mais le pays serait pleinement binational, et ses citoyens arabes verraient  leurs besoins satisfaits. »
Je ne dis pas qu’il s’agit forcément de la bonne formule, mais c’est au moins une nouvelle direction à  explorer. Le concept de deux Etats a été tenté maintes et maintes fois et ce depuis si longtemps –  que ce soit depuis 10 ans si l’on s’en réfère à la feuille de route, à 20 ans si l’on compte à partir des  accords d’Oslo, ou 30 depuis les accords de Camp David où l’autonomie palestinienne a été établie,  ou encore 67 ans depuis le partage décrété par l’ONU – sans qu’on n’ait jamais réussi à implanter  cette solution. Comme l’a si bien dit Einstein, « la folie consiste à répéter encore et encore les  mêmes erreurs en espérant des résultats différents ». Alors, pourquoi en sommes-nous toujours au  même point ? Pourquoi ne pas mettre des idées nouvelles sur la table ? Cela témoigne d’un manque  de courage et de créativité. Pour que de nouvelles idées prennent forme, nous avons besoin d’un  leadership capable de résister aux pressions, prêt à s’affranchir de paradigmes éculés pour  renouveler la réflexion.
La prochaine fois que j’aurai besoin d’un taxi, je rappellerai probablement Wael. J’espère que d’ici là  nous aurons de quoi alimenter notre réflexion avec des idées nouvelles, bien loin de l’inlassable  rengaine dont nous sommes tous las. 
Yishaï Fleisher est un journaliste presse et radio américano-israélien. Il anime chaque semaine une  émission de débat sur Galey Israel.