Lorsqu’iltravaillait à Dubaï dans le secteur du développement commercial, Nidal Ghaithgagnait beaucoup d’argent. Grand, élégant, armé d’un diplôme d’école decommerce décroché en Angleterre, il était bien parti pour mener l’existencedorée d’un expatrié… Mais non ! Il y a deux ans, il est revenu à Jérusalem avecsa femme et ses deux jeunes enfants et a monté la Al- Quds Holding Company, uneentreprise privée qui vise à redynamiser l’économie de Jérusalem-est. «Jérusalem n’a plus de capacités industrielles aujourd’hui », déplore-t-il.« Voilà pourquoi nous investissons dans d’autres secteurs comme l’immobilier,l’hôtellerie, le tourisme et l’éducation. » Il nous reçoit dans son bureauprovisoire, situé dans un hôtel en travaux. Les technologies de l’information,nous explique-t-il, pourraient connaître une belle croissance. Des centainesd’informaticiens palestiniens sont actuellement au chômage ; la technologieisraélienne pourrait les employer et faire ainsi redémarrer le secteur.Malgré tous les efforts déployés, l’économie de Jérusalemest décline. Unrapport de l’association des Droits civiques en Israël a établi qu’en 2012, letaux de pauvreté était de 78 % parmi les 360 000 Palestiniens de Jérusalem-est(qui constituent 38 % de la population totale de Jérusalem). 40 % des hommessont aujourd’hui au chômage. Depuis 1999, 5 000 entreprises ont fermé ou sont parties s’implanter dans lesterritoires. La barrière de sécurité construite par Israël pour empêcherl’infiltration de terroristes suicides s’étend sur plus de 160 km autour deJérusalem.A Eizariya, juste derrière la limite officielle de Jérusalem, l’usine decigarettes Jerusalem Cigarette Company se trouve à 200 mètres à peine derrièrele mur de séparation. Selon son directeur adjoint Omar Alami, ce dernier anettement compliqué la diffusion de la marchandise dans les magasins deJérusalem. En outre, Jérusalem est s’est vue peu à peu éclipsée par Ramallah etBéthléhem, devenus les centres de la finance palestinienne.Taxes pour tous ?
Par ailleurs, poursuit Alami, il devient de plus en plus cherde se loger. La hausse des loyers est due à la pénurie croissante de logements: selon les estimations, il en manque 40 000 à Jérusalem, ce qui, estime Alami,résulte d’une politique délibérée des Israéliens. « Comment voulez-vous construire des appartements pour les jeunes couples s’iln’y a pas de terrains ? », s’indigne-t-il.« La terre est l’obstacle qui empêche les Palestiniens de bien vivre àJérusalem-est. C’est une politique délibérée et une bombe à retardement. Unjour, ça va exploser ! » La municipalité de Jérusalem a manifestement repousséplusieurs demandes de rencontre avec les autorités de la partie est. Tout enaffirmant, dans un communiqué récent, que la situation est en train des’améliorer : « La municipalité déploie actuellement des efforts considérablespour améliorer la qualité de vie des citoyens arabes de la capitale », adéclaré un porte-parole. « L’objectif est de combler le fossé qu’ont creusé desdécennies de négligence ».A en croire la municipalité, pas moins de 150 millions de dollars auraient étéconsacrés à la construction de routes et à la rénovation de voies délabréesdans la partie est de la ville. 85 millions de dollars supplémentaires auraientservi à construire de nouvelles classes dans les écoles. Toutefois, les hommes d’affaires de Jérusalem-est fulminent : ils paient lesmêmes taxes municipales que leurs homologues de Jérusalem-ouest et pourtant,les rues sont sales et creusées de nids-de-poule. Quant au ramassage desordures, il est loin d’être régulier.« Allez voir le site Trip Advisor sur Internet : les gens sont très contents duservice et des chambres, mais ils se plaignent de la saleté aux abords del’hôtel », soupire Ossama Salah, propriétaire du tout nouveau National Hotel. «On nous impose des taxes considérables, mais on ne nous donne pas grand-choseen retour. »
« J’y suis né et c’est là que je veux vivre et mourir »
Lesentreprises peinent par ailleurs à obtenir la licence d’exploitation nécessaireà leur activité. Pour cela, la police doit leur délivrer un « certificat debonne conduite ». Or, beaucoup de Palestiniens ayant été arrêtés à un moment ouà un autre pour avoir lancé des pierres ou manifesté contre Israël, elles sevoient refuser le certificat en question. Dès lors, environ 60 % des entreprisespalestiniennes opérent illégalement à Jérusalem-est, ce qui les oblige às’acquitter de lourdes amendes (chiffrées en milliers de dollars) lorsqu’ellesse font prendre.« La situation juridique à Jérusalem est très complexe », explique l’avocatNaer Rashid. « Les taxes municipales figurent parmi les plus élevées d’Israël :300 dollars par mois, par exemple, pour une petite échoppe de 50 m2, ce qui esttout bonnement inabordable. Vous constaterez par vousmême que les magasinsferment tôt, pour la bonne raison que personne n’achète. » Si Israël a proposéla citoyenneté israélienne aux habitants de Jérusalem-est, ces derniers l’ontrefusée dans leur grande majorité, tant pour des raisons politiquesqu’économiques.Politiques, car ils estiment qu’accepter reviendrait à reconnaître l’annexionde Jérusalem-est, dont ils rêvent de faire la future capitale de l’Etatpalestinien. En outre, l’accès à certaines parties des territoires, dontRamallah, est interdit aux citoyens israéliens, une limitation qui réduiraitencore la zone d’activité.Pourtant, malgré ces difficultés, beaucoup de chefs d’entreprise n’envisagentpas de quitter la ville. « J’adore Jérusalem, j’y suis né et c’est là que jeveux vivre et mourir », affirme Nidal Gheith, d’Al-Quds Holding Company. « J’aiune passion pour ses rues, pour ses pierres. Ici, on a l’impression de toucherl’histoire du doigt en permanence ! »