Al-Sissi n’est pas Moubarak

La justice égyptienne a blanchi Hosni Moubarak. Pour beaucoup, cet acquittement fait craindre le retour des vieux démons de l’ancien régime. Mais vu d’Israël, l’Egypte a bien tourné la page

Le président al-Sissi (photo credit: REUTERS)
Le président al-Sissi
(photo credit: REUTERS)
La décision a fait l’effet d’une bombe samedi dernier. L’ex-président égyptien Hosni Moubarak a été blanchi, ainsi que ses deux fils Gamal et Alaa, de toutes les charges portées contre eux, qu’il s’agisse d’accusations de corruption ou de l’implication dans la mort de manifestants. Beaucoup voient dans cet acquittement la renaissance de ses cendres de l’ancien régime, sous l’impulsion d’une justice ouvertement politisée. Comme un terrible retour en arrière. Comme si la révolution de 2011 n’avait servi à rien et que sous la direction du général Abdel Fatah al-Sissi, l’Egypte avait simplement changé de dictateur.
Des questions qui restent en suspens, mais du point de vue d’Israël, une chose est sûre : al-Sissi n’est pas Moubarak.
Pendant 30 années de règne, Hosni Moubarak a toujours soutenu que les menaces qui pesaient sur Israël et l’Egypte n’étaient pas les mêmes. C’est pourquoi malgré les appels incessants de Jérusalem, il a laissé les djihadistes prendre racine dans le Sinaï.
Dès 2005, des groupes terroristes liés au Hamas, au Hezbollah ou à al-Qaïda opéraient depuis la péninsule, sans que l’ancien président n’ait pris aucune mesure efficace pour briser ces convergences de forces. Sous ses yeux, l’Egypte est ainsi devenue la principale voie de contrebande d’armes vers la bande de Gaza. C’est à cause du refus d’agir de l’ancien raïs, que les différents groupes terroristes palestiniens ont pu améliorer leur arsenal de roquettes et de missiles. Rien de tout cela ne serait arrivé sans le laisser-faire du Caire.
Le Sinaï servait également de terre d’asile aux terroristes palestiniens recherchés par les forces de sécurité israéliennes. Difficile d’énumérer le nombre de fois où ces derniers ont pu trouver refuge dans la péninsule, avant de réintégrer la bande de Gaza une fois la menace estompée.
En fait, Moubarak considérait Israël comme une soupape de sécurité. En facilitant les opérations contre l’Etat hébreu, il assurait la sécurité de son pays. Le Hamas, le Hezbollah, les Frères musulmans et autres groupes chaperonnés par l’Iran, trop contents de sa précieuse coopération, ne se seraient pas retournés contre lui.
Erreur. En 2009, l’Egypte démantèle une cellule terroriste composée de membres du Hamas, du Hezbollah et des Gardiens de la révolution iraniens qui planifiaient des attentats contre Israël et sur le territoire égyptien. Moubarak a alors ouvert les yeux. Mais même les mesures prises à l’époque n’ont pas été suffisantes.
L’Egypte d’al-Sissi change de stratégie
A la différence de Moubarak, al-Sissi, lui, est entré en scène alors que ces mêmes forces étaient sur le point de détruire l’Egypte. Si les Frères musulmans ont accédé au pouvoir, c’est en partie grâce au Hamas. Durant les rébellions de 2011 contre Moubarak, l’organisation terroriste palestinienne avait joué un rôle crucial en prenant d’assaut les prisons égyptiennes dans le Sinaï, libérant de nombreux chefs du mouvement islamique égyptien, dont l’ancien président Mohammad Morsi lui-même. En 2012 et 2013, le Hamas avait réprimé par la force des manifestations contre le régime de Morsi qui tentait alors de transformer l’Egypte en un Etat islamique, plateforme d’un futur califat.
Al-Sissi et ses généraux, soutenus par l’Arabie Saoudite et les Emirats arabes unis, ont alors renversé le régime des Frères, empêchant l’Egypte de devenir la charnière du djihadisme sunnite au sein de laquelle le Hamas, al-Qaïda et leurs alliés iraniens auraient joué un rôle prépondérant.

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Les événements mêmes qui l’ont propulsé au pouvoir ont donc fait comprendre à al-Sissi qu’il devait rompre avec la politique menée par Moubarak. L’Egypte considère désormais les djihadistes sunnites et leurs alliés chiites dirigés par l’Iran comme une menace existentielle pour l’Etat, même si leur première cible reste Israël. Frères musulmans, Hamas, al-Qaïda sont rangés dans le même panier : celui des ennemis du régime. Finie la politique de l’autruche, désormais Jérusalem et Le Caire font front commun contre ces menaces. Et cela s’est fait ressentir dans le dernier conflit contre le Hamas cet été.
Après avoir pris le pouvoir en 2013, al-Sissi a immédiatement ordonné à l’armée égyptienne de prendre des mesures pour sécuriser la frontière entre Gaza et le Sinaï. L’Egypte a pour la première fois mené des actions continues pour stopper la contrebande d’armes et le passage de terroristes entre les deux territoires. Cette politique s’est avérée efficace : en effet, une des raisons qui ont motivé le Hamas à initier un conflit avec Israël était sa volonté de voir l’Egypte ouvrir ses frontières avec Gaza. L’organisation terroriste était certaine que les images de la souffrance des gazaouis inciteraient les autorités égyptiennes à durcir le ton envers Israël et à ouvrir leurs portes.
Mais contre toute attente, et contrairement à ces prédécesseurs Moubarak et Morsi, Al Sissi n’a pas cédé et a pris le parti d’Israël contre le Hamas.
Mieux encore, il a invité l’Arabie Saoudite et les Emirats arabes unis à rejoindre une alliance officieuse avec l’Etat hébreu. Le bloc ainsi formé a été assez fort pour ne pas céder à la pression américaine pour rouvrir les frontières entre Gaza et l’Egypte et entre Gaza et Israël, comme l’exigeait le Hamas. Depuis l’entrée en vigueur du cessez-le-feu il y a trois mois, al-Sissi n’a pas ouvert sa frontière, empêchant le mouvement islamique de reconstruire ses infrastructures terroristes à Gaza. Affaiblie, l’organisation terroriste palestinienne n’est plus d’un grand ressort pour ses complices djihadistes du Sinaï occupés à monter une insurrection contre le régime égyptien.
Cette alliance entre Israël et l’Egypte, à laquelle participent également l’Arabie Saoudite et les Emirats arabes unis représente un tournant d’un point de vue stratégique. Pour la première fois, ces pays coordonnent leurs efforts, convaincus qu’ils font face aux mêmes menaces.
Israël insiste sur ce point depuis de nombreuses années. Aussi bien auprès de ses voisins arabes, qu’auprès de ses alliés, les Etats-Unis et l’Europe. Mais pour de multiples raisons, personne jusqu’à présent n’était prêt à accepter ce constat. Les Etats-Unis, l’Europe et l’Arabie Saoudite ont longtemps mené des politiques qui soutenaient indirectement les djihadistes contre Israël. Sissi a été le premier à briser le consensus. D’un point de vue israélien, il s’agit d’un tournant décisif. L’Egypte a bel et bien tourné la page. 
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