C’était le grand sujetd’actualité de la semaine dernière. Les annonces de constructions audelà de laLigne verte et les furieuses réactions internationales qui se sont enchaînées.Deux conclusions émergent d’emblée de cette effervescence : d’une part,construire à l’intérieur et autour de Jérusalem reste un levier électoral detaille ; d’autre part, la tolérance de la communauté internationale face à denouvelles constructions israéliennes au-delà des frontières de 1967 adramatiquement baissé avec les années.
Mercredi 19 décembre, déjeuner des ambassadeurs et viceambassadeurs de 11 paysd’Asie et du Pacifique, à l’hôtel King David. Le Premier ministre BinyaminNetanyahou conduit les diplomates vers la véranda du palace qui donne sur lesmurs de la Vieille Ville de Jérusalem. Là, face aux caméras, il plaide pourcontinuer les constructions dans la capitale. « Je voudrais vous remercierd’être venus. C’est une excellente occasion de discuter des affaires mondialeset régionales, de notre quête de paix et de sécurité. Nous avons aujourd’huil’opportunité de parler de tout cela en détail », a-t-il déclaré en guised’introduction.
Bibi aurait pu embrayer pendant la photo de groupe sur ces fameuses affairesinternationales et régionales, sur les déclarations de l’Iran qui se rit dumonde et continue d’enrichir de l’uranium à 20 %, sur la situation qui ne vaqu’en empirant en Syrie, sur l’arsenal du Hezbollah qui a explosé au beaumilieu d’un village dans le sud du Liban, ou encore sur la teneur des relationsactuelles avec les Palestiniens.
En lieu et place, il a choisi de parler de Jérusalem. « Je veux saisir l’opportunité,maintenant que nous sommes face à ce fantastique panorama, pour souligner unsimple fait : les murailles de Jérusalem que vous voyez derrière nousreprésentent la capitale du peuple juif depuis 3 000 ans », a-t-il dit avantd’ajouter : « Tous les gouvernements ont bâti à Jérusalem. Nous ne changeronspas cela ».
Parmi les ambassadeurs qui ont poliment écouté le Premier ministre, setrouvaient les représentants d’Inde et de Chine.
Quelques heures plus tard, après un point sur le Moyen- Orient lors du Conseilde sécurité de l’ONU, ces mêmes pays ont publié des communiqués condamnant dansles termes les plus cinglants les nouveaux plans de construction dans lacapitale israélienne.
L’Inde, avec qui l’Etat hébreu entretient de solides relations, est même alléeplus loin en se joignant à une déclaration commune du Brésil et de l’Afrique duSud demandant le gel des constructions, mais également le démantèlement detoutes les implantations. Et ceci non « en tant que concessions faites au coursde négociations », mais en raison de la loi internationale et de toutes lesrésolutions du Conseil de sécurité.
On peut en déduire que le groupe de diplomates n’a pas été convaincu par lessaillies de Netanyahou sur les 3 000 ans d’histoire juive dans la capitale.
Mais pourquoi avoir donc choisi de se focaliser sur Jérusalem pendant cetteséance photo ?
On ne change pas une équipe qui gagne
Les commentaires certesétaient d’actualité car différents plans de construction sont passés par descommissions nationales et locales de toutes sortes au cours de la semaine.
Mais que ces plans soient justement sortis à cette date de leurs cartons,provoquant les foudres de l’opposition locale et internationale, ne peut pasêtre une simple coïncidence alors que le scrutin législatif du 22 janviers’approche à grands pas.
Les propos de Bibi aux ambassadeurs, ce jour-là, tout comme ses promesses deconstruction dans la capitale, la veille, dans une yeshiva hesder à Saint-Jeand’Acre, annonçaient la campagne électorale à 7 lieues à la ronde. Lorsque lePremier ministre affirme que les travaux dans les quartiers de Jérusalemconstruits au-delà des lignes de 1967 – Guilo, Ramot, Haguiva Hatsarfatit, NevéYaacov, Pisgat Zeev, Har Homa et désormais Guivat Hamatos – sont au coeur du fameux« consensus israélien », il sait très bien à quoi il touche.
Lors de sa première campagne pour la direction du gouvernement en 1996 (contreShimon Peres), la communication de Netanyahou reposait sur ce simple slogan : «Peres divisera Jérusalem ». Itzhak Rabin avait été assassiné quelque six moisplus tôt, les attentats dans les rues israéliennes s’accumulaient, le payssortait tout juste de l’opération Raisins de la colère au Liban, mais lacampagne de Bibi se focalisait sur Jérusalem. Et le pari s’est avéré réussi.
Que le Premier ministre se saisisse aujourd’hui du même sujet indique la forceavec laquelle, selon lui, la question de la capitale, et du contrôle israéliensur la ville, trouve écho dans l’opinion populaire de l’Etat juif. La campagned’aujourd’hui est donc la même qu’hier, bien que plus subtile et emballéedifféremment. On ne verra pas fleurir les « Shelly divisera Jérusalem » ou les« Tzipi divisera Jérusalem » mais le message, est : « Moi, Bibi, je construis àJérusalem ».
Du pain béni pour un leader israélien
En 2009, un Barack Obama fraîchement éluappelle à un moratoire sur toutes les implantations, y compris celles de lacapitale. Quelle n’est alors pas la surprise de Washington, comme de Jérusalem,de constater que, contrairement aux attentes, l’opinion israélienne se montredéfavorable à la requête et soutient Netanyahou dans sa résistance au présidentaméricain ! Les choses n’ont pas bougé d’un iota.
En réalité, plus Netanyahou annonce de plans de construction (pour être précis,plus Avigdor Liberman dénonce l’Union européenne pour sa condamnation desdites-constructions) et mieux le camp de droite se porte dans les sondages.
Décryptage du politologue américain Walter Russel Mead sur son blog cettesemaine : « L’Union européenne est de nouveau tout feu tout flamme sur laquestion des constructions juives dans Jérusalem-Est. Ce qui ne fait que paverla voie au Premier ministre israélien Binyamin Netanyahou en vue de saréélection. Faire campagne contre l’Europe et pour Jérusalem : du pain bénipour un leader israélien. Netanyahou doit secrètement remercier les ministresdes Affaires étrangères européens, car leurs actions ne font qu’augmenter seschances d’obtenir une large majorité électorale ».
Le « tout feu tout flamme » s’est présenté la semaine dernière sous la formed’une déclaration commune de quatre pays européens membres du Conseil desécurité. La France, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et le Portugal ont dénoncéen des termes extrêmement fermes le renouveau de construction dans lesimplantions. Chef de la diplomatie étrangère européenne, Catherine Ashton amême fait planer une menace à peine voilée, déclarant que « l’EU observeattentivement la situation, et ses implications. Elle agira en conséquence ».
Et Mead de noter avec justesse que si le but européen est bien de ralentir laconstruction de nouvelles unités de logement en vue d’un relancement desnégociations entre Israéliens et Palestiniens, il aurait fallu « garder lesmenaces et les ultimatums pour le lendemain des élections, lorsque Netanyahousera plus intéressé par la diplomatie que la politique intérieure».
« Pour l’instant », écrit l’expert, « les Européens boostent le camp de droiteet rendent, de ce fait, plus difficiles les négociations au lendemain du scrutin.Cette incompétence ne surprend pas : plusieurs gouvernements européens tententdepuis des années de jouer un plus grand rôle au sein du processus de paix maissans succès. Peut-être se lasserontils à la longue de ces échecs répétés etcommenceront-ils alors à réexaminer les présupposés de leur diplomatie ».
Les arguments palestiniens gagnent du terrain
Une source diplomatiqueeuropéenne présente en Israël laisse cependant entr’apercevoir d’autresintérêts. Interrogé sur l’utilisation faite par Netanyahou des virulentesprotestations européennes contre les implantations, le diplomate réplique quetout comme le Premier ministre a ses propres affaires intérieures à mener, lesEuropéens ont les leurs. Ainsi, pour ménager certaines circonscriptions, il estvital que les gouvernements du Vieux Continent s’égosillent sur lesimplantations.
De plus, pointe-t-il, la fin de l’année encourage les bilans parlementaires.Certains de ces gouvernements se voient interpellés par différents partisd’opposition sur leur tolérance envers Israël. Le conflit, rappelle lediplomate, ne fait pas qu’agiter la politique israélienne ; il déchaîne lespassions dans de nombreux pays d’Europe également.
Mais le représentant admet que ces mêmes pays ont haussé le ton : les condamnationssont plus fréquentes et plus virulentes que par le passé. Et c’est bien laseconde conclusion de la semaine. La tolérance de la communauté internationaleenvers les implantations israéliennes baisse de jour en jour. Les dirigeants etporte-parole israéliens ont beau s’évertuer à répéter que « tout le monde sait» que les quartiers hiérosolomytains post-1967, ainsi que les grands blocsd’implantations tels que Maalé Adoumim, le Goush Etzion et Ariel seront inclusdans tout accord futur signé par Israël, les cinglantes réponses américaines eteuropéennes montrent que le consensus est loin d’être aussi partagé. « Tout lemonde » ne pense plus forcément que ces dites-localités resteront aux mains desIsraéliens après les négociations.
Les Etats-Unis ont, encore une fois, prouvé qu’ils sont « à fond derrièreIsraël » en évitant le passage d’une résolution à l’ONU, ou même en coupant àune déclaration présidentielle au cours du Conseil de sécurité. Mais le soutienest venu seulement après que Washington ait qualifié les nouvellesconstructions de provocation.
« Au regard de la plus large question des implantations, des déclarationsprononcées récemment et des actions sur le terrain, nous sommes profondémentdéçus de voir Israël continuer sur ce chemin de la provocation », a soupiré laporte-parole du département d’Etat Victoria Noland. « Ces annonces répétéesvont à l’encontre de la paix. Les leaders israéliens ne cessent d’affirmerqu’ils sont en faveur de la solution à deux Etats, mais leurs actions mettentcet objectif en péril ».
A noter que ces « provocations » n’ont pas lieu dans les zones à forte densitépalestinienne, à quelques kilomètres de Ramallah, Djénine ou Hébron, mais bienà 10 minutes de la Knesset. En d’autres termes : les arguments palestiniensselon lesquels toutes ces constructions menacent sans exception un éventuelaccord de paix gagnent aujourd’hui du terrain à l’étranger contre lesexplications de l’Etat hébreu voulant que ces quartiers restent en définitiveisraéliens.
Plus de « dynamique de paix » ?
Il y a 20 ans, les batailles avecl’administration américaine se faisaient autour des implantations au beaumilieu de la Judée-Samarie. En mai 1991, lorsque l’ancien secrétaire d’EtatJames Baker affirme dans une déclaration demeurée célèbre, devant l’une deschambres du Congrès, que les implantations israéliennes représentent le plusgrand obstacle à la paix et que chacune de ses visites à la région est ponctuéepar l’annonce d’une nouvelle construction, il fait référence à Revava et nonpas à Guilo ou à Nevé Yaacov.
En vérité, cette nouvelle tendance américaine à prendre Har Homa pour HarBracha n’est pas née avec l’administration Obama, mais plutôt chez sonprédécesseur, George W.
Bush. Condoleezza Rice est la première secrétaire d’Etat américaine à avoirqualifié tous les quartiers post-1967 « d’implantations », alors qu’elledénonce des constructions à Har Homa en 2008.
Une tendance plus marquée encore chez les Européens pour qui tout édificeau-delà de la Ligne verte serait presque un affront personnel, remettant enquestion l’engagement d’Israël en faveur d’une paix de plus en plus vue commeune stratégie clé pour les intérêts européens. Comme l’a expliqué l’envoyéeuropéen au Moyen-Orient Andreas Reinke au viceministre des Affaires étrangèresDanny Ayalon la semaine dernière, la région est en réalité le voisin sud del’EU. Un Moyen-Orient déstabilisé n’est pas de bon voisinage pour l’Europe etun processus de paix israélo-palestinien, basé sur la solution à deux Etats,défend les intérêts nationaux et sécuritaires européens, selon les stratèges duVieux Continent. C’est pourquoi, tout obstacle à cet objectif, tel que lesimplantations, sera fermement et abondamment condamné.
Du côté israélien, une source diplomatique explique : la situation estexacerbée parce que, alors que les annonces de construction se succèdent, aucunprocessus diplomatique n’a lieu. Par le passé, continue cette source,lorsqu’Israël construisait, la communauté internationale se récriait haut etfort, mais pas trop longtemps. Car, en parallèle, les choses bougeaient, lecamp de la paix progressait.
Aujourd’hui, il ne reste plus rien : plus de « dynamique de paix », plusd’initiative et même plus de dialogue avec les Européens, qui cherchent tant às’impliquer, sur la marche à suivre. Tout ce qu’il y a, ce sont lesconstructions à Jérusalem- Est (ou plutôt l’annonce de ces constructions).C’est désormais tout ce qui se joue et, en tant que tel, c’est tout ce quiattire l’attention : une intention négative et une force, huées de la part dela communauté internationale, mais une attention positive et même desapplaudissements sur le front israélien.
C’est, du moins, le pari de Netanyahou