Du pain, du vin, du fromage...

Si la boulangerie et la viticulture ont beaucoup progressé ces dernières années, le pays où coulent le lait et le miel reste encore à la traîne en matière de fromagerie. Une ola hadasha française a bien l’intention d’apporter son savoir-faire dans ce domaine

Des fromages bien français (photo credit: WIKIPEDIA)
Des fromages bien français
(photo credit: WIKIPEDIA)
La tradition viticole d’Israël remonte à l’époque biblique. Plusieurs siècles de domination musulmane ont entraîné un déclin de la fabrication du vin, mais la viticulture redémarre avec les vignes du baron de Rothschild et des pionniers juifs. Après quelques décennies de production de qualité médiocre, une nouvelle génération de viticulteurs se lance dans l’introduction de cépages intéressants pour fabriquer du bon vin à la française et certains obtiennent des crus médaillés dans des compétitions internationales.
Le blé et d’autres céréales, la farine et les produits de boulangerie sont aussi très présents dans l’Israël de l’antiquité. Les cultures céréalières sont quasiment tombées en désuétude jusqu’à l’établissement des pionniers juifs à la fin du XIXe siècle. Les recherches agronomiques permettent alors de retrouver l’authentique blé local adapté au terrain. Le but premier est de rendre le pays pratiquement autosuffisant en matière céréalière. L’objectif est atteint, mais le pain des débuts de l’Etat d’Israël manque, reconnaissons-le, de qualités gustatives. Il faut attendre les années 2000 et l’arrivée de nouveaux boulangers, souvent formés en Europe, pour trouver du pain avec une croûte croustillante et une mie consistante.
Un paysage fromager assez pauvre
Quant au fromage, c’est simple : il n’y a pas de tradition fromagère dans le pays, ni dans l’antiquité, ni dans les périodes plus récentes. Pour plusieurs raisons. D’abord les produits laitiers – contrairement au pain et au vin – n’ont pas de rôle dans le culte. Ensuite, le climat, les ressources alimentaires et le terrain ne sont pas favorables à l’élevage de vaches laitières. Les bergers locaux ont de tout temps fait paître des troupeaux d’ovins ou de caprins, avec une consommation quasi immédiate du lait. Car il s’agit d’un produit très fragile du point de vue bactériologique et sans possibilité de conservation avant la découverte de la pasteurisation et avant l’ère du réfrigérateur.
Ces obstacles sont levés depuis longtemps. Pourtant, remarque Yocheved Marret, ola hadasha originaire de France, le paysage fromager de la Terre promise est assez pauvre. Cette jeune femme s’y connaît bien en matière de pâtes molles, pressées ou persillées, et les croûtes fleuries ou lavées n’ont pas de secret pour elle. Yocheved était affineuse de fromages pendant une dizaine d’années : après sa formation, elle a officié chez Marie Quatromme, meilleur ouvrier de France, entreprise parisienne très réputée dont les clients viennent de loin s’approvisionner en époisses au lait cru, fourmes d’Ambert et autres carrés du Tarn.
Le verdict de Yocheved est prononcé : « Les fromages israéliens manquent de caractère, les pâtes sont souvent caoutchouteuses et insipides, il n’y a quasiment pas de fromages vieillis ». Et encore elle n’a pas connu le pays il y a 40 ou 50 ans, quand le seul choix était : fromage blanc ou fromage jaune !
Eduquer au goût
Si les Israéliens se sont mis à apprécier ces dernières années le bon vin et le bon pain, leur éducation du goût doit aussi évoluer en faveur du fromage, surtout s’ils ont voyagé en Europe. C’est une question de temps, estime Yocheved.
Elle a fermement l’intention de contribuer à cette évolution en leur apportant son plateau de fromages. Son projet : créer avec un associé une petite fromagerie couplée à un élevage de chèvres. Le genre de petite société que des banques israéliennes sont prêtes à soutenir, si l’entrepreneur vient avec un minimum d’apport personnel et une étude de marché bien documentée.

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Pourquoi les chèvres ? Parce que Yocheved est une inconditionnelle des fromages de chèvre, réputés pour leur digestibilité. Les biquettes sont des animaux faciles à élever, surtout les espèces locales, un peu différentes des variétés qu’on trouve en France. Yocheved estime préférable d’élever les animaux afin d’être sûre de leur alimentation, plutôt que d’acheter le lait à un éleveur.
Comment se passe la fabrication ? Hors de question de travailler en lait cru en Israël, le lait est impérativement stérilisé ou pasteurisé. Même dans l’Union européenne où les contaminations bactériennes sont rares, les fromages au lait cru sont en déclin à cause des directives sanitaires. Ces normes entraînent des modifications des pratiques. Par exemple, explique Yocheved, le fromage de Salers est traditionnellement travaillé dans des chaudrons en cuivre ; or la législation européenne interdit ce matériau, les producteurs vont donc utiliser des cuves en inox. En Israël, la norme est la même.
Quid de la cacherout ? La coagulation du lait est obtenue par l’action de la présure : en dehors d’Israël, ce produit nécessaire à la fabrication du fromage est souvent extrait de la caillette du veau. La loi juive et son interdiction de mélanger produits lactés et carnés impliquent l’utilisation de présure d’origine végétale. « Cela ne change pas grand-chose à la saveur du produit fini », indique Yocheved. « Le rabbinat opère quelques contrôles et donne assez facilement son agrément. Il n’exige pas la présence d’un surveillant rituel permanent (comme dans les caves viticoles). » Le lait d’un animal cacher est cacher et il est autorisé de mélanger différents laits, par exemple vache et brebis.
L’agrément des services vétérinaires est, lui, plus long à obtenir. Un inspecteur vérifie que toutes les installations sont aux normes. S’ensuivent un certain nombre de formalités administratives jusqu’à l’autorisation finale.
Dans la cave d’affinage
Le lait devient fromage en quelques heures seulement ; à ce stade, il s’agit de fromage frais. L’étape suivante, c’est l’affinage. Au bout d’une semaine, une croûte se forme sur le fromage. Après trois semaines, on obtient un fromage agréable en bouche avec du caractère. L’affinage peut se prolonger plus longtemps pour aboutir à des fromages de chèvre plus secs et plus goûteux. « Finalement, en comparaison avec la viticulture », note Yocheved, « le cycle est infiniment plus court ». Quelques semaines versus quelques années, de la plantation de la vigne à la commercialisation de la première bouteille, en passant par le vieillissement en fût de chêne !
La cave d’affinage ? Dans une petite fromagerie familiale, comme c’est déjà le cas chez de petits exploitants en Judée-Samarie, c’est la cave normale, bien ventilée, située sous la maison d’habitation. Il faut une température comprise entre 12 et 15° selon les fromages. Nul besoin d’acquérir un local spécial. C’est là que le produit acquiert sa maturité et sa texture, développe ses arômes et ses saveurs, grâce aux soins attentifs de l’affineur.
Il est amusant de penser que beaucoup de success stories ont débuté à domicile. Steve Wozniak, le fondateur d’Apple, avait assemblé son premier ordinateur dans le garage de son voisin. Et plus près de nous, les frères Shapira ont brassé leur première bière dans la cuisine familiale à Jérusalem. Alors, attendons de déguster les chabichous (du Poitou ou de Galilée) et les crottins (de Chavignol ou de Judée), élaborés dans la cave de Yocheved, qui aimerait s’établir à proximité d’un viticulteur en raison de possibles synergies commerciales.
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