Un atlas pour comprendre le monde en 200 cartes. Tel est le défi des éditions Autrement qui sortent, en ce début 2018, la cinquième édition du projet. Le pari était risqué, mais le résultat est probant. Loin des recueils politisés ou des ouvrages savants, le Grand Atlas 2018 se révèle clair, accessible, pragmatique. Un équilibre harmonieux entre un narratif explicite et une cartographie pédagogique. « L’idée de départ était de valoriser l’ensemble des éditions des atlas Autrement, de capitaliser sur les travaux déjà publiés, et notamment la richesse des cartes, pour en faire un atlas annuel. Le Grand Atlas compile donc des analyses de spécialistes, sociologues, historiens, géographes, pour donner les grandes clés d’analyses de l’actualité mondiale », explique Frank Tétart. Sous la direction de ce docteur en géopolitique, l’ouvrage s’organise en cinq parties : les grands enjeux mondiaux, les guerres et conflits dans le monde, les enjeux du développement durable, la mondialisation et, chaque année, un thème particulier. Celui de 2018 traite de la notion de frontières au XXIe siècle, et de la tentation du repli. Entretien. Vous commencez l’ouvrage par des déclarations bien optimistes. Selon vous, le monde va mieux et la paix avance…Nous avons voulu, dans cette édition, sortir du pessimisme ambiant souvent disséminé par les médias. Les grands titres des journaux se font toujours l’écho de ce qui va mal. Mais si on prend un certain recul, et qu’on regarde l’évolution de la géopolitique sur ces 30, 40, ou même 50 dernières années, le monde est en pleine évolution et nous observons des avancées positives. Lesquelles ?A l’échelle mondiale, par exemple, l’espérance de vie a fait un bond de 20 ans en 50 ans, ce qui est une avancée énorme : aujourd’hui, on vit en moyenne dans le monde, jusqu’à 71 ans, alors qu’on vivait jusqu’à 50 ans il y a encore 50 ans. Nous enregistrons aussi des progressions des conditions sanitaires, dans l’accès aux soins, une meilleure scolarisation des enfants, surtout en ce qui concerne l’école primaire, et parallèlement, la mortalité des enfants se réduit. De façon globale, par rapport à il y a un demi-siècle, le monde se porte mieux. Même si perdurent des conflits, des difficultés et des inégalités, à l’échelle mondiale et à l’échelle des nations. En quoi la paix avance-t-elle ?Ces deux dernières années, nous avons vu la conclusion d’un accord de paix dans un pays en guerre depuis plus d’un demi-siècle, la Colombie, hantée par ses guérillas qui laissaient penser à une situation d’instabilité chronique. Et nous avons également assisté à un apaisement des tensions entre les Etats-Unis et Cuba, même si Donald Trump semble aujourd’hui vouloir remettre en cause les avancées de son prédécesseur. Vous recensez tout de même 402 conflits dans le monde…Oui, l’Afrique, l’Asie et le Moyen-Orient restent les trois principales zones de conflits de la planète, cela ne surprendra personne. Et ces guerres sont liées pour un certain nombre d’Etats, notamment en Afrique, au manque de gouvernance. Nous avons des Etats en faillite, dans l’incapacité de gérer leurs territoires et leurs populations, souvent soumis à des groupes ou des guérillas qui les déstabilisent, ou qui revendiquent un meilleur partage du pouvoir. Dans la région du Moyen-Orient, l’instabilité est due pour beaucoup aux organisations terroristes, comme l’Etat islamique, comme c’est le cas en Irak ou en Syrie. Puis il y a des pays comme l’Afghanistan et le Pakistan, dont l’instabilité est liée à des problèmes de partage du pouvoir et à la radicalisation de groupe islamistes. Beaucoup parlent du déclin de l’Etat islamique. Vous vous êtes intéressé à ses succès de recrutement. Comment voyez-vous l’évolution du mouvement ? Incontestablement, territorialement, la capacité de nuisance de cette organisation semble réduite. Sur le terrain, elle est en déclin. Mais il faut comprendre que l’atout de l’EI, c’est d’incarner une idéologie qui séduit un certain nombre de personnes. Pour différentes raisons, on s’est rendu compte que la moitié des individus radicalisés n’étaient pas des musulmans d’origine, mais des jeunes convertis à l’islam – parfois même issus de familles juives. Et ces convertis, qui veulent bien souvent être plus musulmans que les musulmans, sont animés d’un fort désir de prouver leur sincérité face à leur nouvelle foi. Dès qu’ils rejoignent l’organisation, ils se sentent investis d’une mission. Et c’est justement ce qui inquiète, car tant que cette force idéologique ne sera pas contrée de manière efficace, ce qui est difficile dans les cas d’endoctrinement, nous risquons d’observer une tendance importante à la radicalisation. Même si le mouvement perd son emprise territoriale en Irak ou en Syrie, il pourra continuer de jouer un rôle – comme c’est d’ailleurs le cas en Afghanistan ou en Libye – et développer des cellules dormantes, en Europe, notamment en France et en Belgique, ou ailleurs. Le terrorisme reste-t-il la préoccupation première dans le monde ? Oui, cela reste une menace préoccupante. Au cours de ces dernières années, l’Europe a été particulièrement affectée. Mais les pays les plus touchés en termes de morts par le terrorisme, sont, encore une fois, ces Etats du Moyen-Orient, l’Irak, ou l’Afghanistan, mais aussi le Nigeria en Afrique où le groupe Boko Haram fait beaucoup de victimes. Le terrorisme au nom de l’islam reste donc une préoccupation à l’échelle mondiale. Vous ne consacrez aucun chapitre au conflit israélo-palestinien…Effectivement. Nous lui avions consacré une double page l’an dernier à l’occasion des 100 ans de la déclaration Balfour, où nous abordions la réalisation de l’Etat d’Israël et le conflit palestinien. Cette année, nous avons fait le choix de nous concentrer sur Jérusalem, et ce d’autant plus que Donald Trump, lors de sa campagne électorale, avait annoncé qu’il souhaitait reconnaître Jérusalem comme capitale de l’Etat hébreu – ce qu’il a d’ailleurs fait il y a quelques semaines – et y transférer, à terme, l’ambassade américaine. Sentant que Jérusalem allait devenir un haut lieu de l’actualité, nous avons opté pour cette double page. Comment interprétez-vous la décision américaine ?On peut comprendre la position de Donald Trump, qui consiste à dire « je ne fais que valider un état de fait », et en cela, il a raison. Mais connaissant l’enjeu passionnel que représente Jérusalem pour toutes les communautés religieuses – pour les chrétiens, bien sûr, mais surtout pour les musulmans et les Palestiniens d’un côté, et les juifs, donc les Israéliens, de l’autre – nous savons que nous nous trouvons face à un sujet sensible. De la part d’un président américain, c’est jouer avec le feu que de vouloir réaliser cette reconnaissance et ce transfert d’ambassade, au risque de susciter des réactions immédiates de la part des Palestiniens et de l’ensemble du monde arabe. Nous l’avons d’ailleurs vu avec la Turquie, qui a pris la fronde dès l’annonce de cette décision. Alors que la situation est déjà tendue dans l’ensemble du Moyen-Orient, contribuer à cristalliser les tensions ne me semble pas la meilleure solution, surtout de la part d’un président américain qui a annoncé, parallèlement, vouloir relancer un processus de paix entre Israéliens et Palestiniens. Concernant le mur de sécurité, vous évoquez un bilan mitigé…Oui, nous parlons d’un bilan à double sens. D’un point de vue sécuritaire, ce mur a rempli un certain nombre d’objectifs. En premier lieu, celui d’assurer la sécurité des citoyens israéliens. Nous avons pu constater son efficacité puisqu’entre 2002 et 2014, le nombre de victimes d’attentats suicides sur le sol israélien, est passé de 451 à 0. Mais le problème, c’est que les Israéliens ont créé un mur sans statut véritable, un mur qui n’est pas une frontière future et ne résout pas le problème du conflit israélo-palestinien. C’est là d’ailleurs toute la difficulté de ces murs qui se construisent – en Israël comme ailleurs – et constituent des mesures provisoires, porteuses de complications dans des situations déjà tendues. Pour en revenir au conflit israélo-palestinien, comme on le voit sur la carte, ce mur empiète largement en différents endroits sur des zones de Cisjordanie, situées au-delà des frontières de 1948, prises comme référence dans les différents accords internationaux, y compris ceux d’Oslo de 1995. Vous revenez sur le rôle du Qatar dans la région. Est-il un pacificateur ou un semeur de troubles ?La position du Qatar est intéressante. Depuis une bonne vingtaine d’années, ce tout petit Etat s’emploie à sortir de l’ombre de ses grands voisins, l’Arabie saoudite et l’Iran, et à trouver sa place sur la scène internationale. A son actif, la chaîne de télévision Al Jazeera, devenue la voix arabe de l’actualité internationale qui veut diffuser une information plus équilibrée. Grâce à sa manne gazière, il a lancé différents projets en termes d’éducation et se définit comme un petit havre de paix dans ce Moyen-Orient plutôt agité. Mais il a aussi eu tendance à s’allier et à financer, de manière le plus souvent indirecte, des organisations qui jouent un rôle déstabilisateur, y compris des organisations terroristes ou dotées d’agenda politiques, comme celles des Frères musulmans, ce qui ne plaît pas au grand voisin et allié jusqu’à peu saoudien, qui tient à son rôle hégémonique sur l’ensemble des pays du Golfe. La politique mesurée du Qatar vis-à-vis d’Israël et de l’Iran chiite, a conduit début juin 2017 à la rupture de ses relations diplomatiques avec l’Arabie saoudite et ses voisins émirati, égyptien et yéménite. Une crise qui pourrait renforcer les tensions déjà existantes entre la puissance saoudienne, l’Iran et la Turquie qui ont pris parti pour le petit Qatar. Les réserves gazières méditerranéennes, sources de paix ou de tensions ?Qui dit ressources, dit tensions potentielles pour déterminer à qui elles appartiennent. Et en mer, les délimitations frontalières sont plus difficiles à définir que sur terre. Bien sûr, le droit de la mer s’applique et on peut trouver des solutions, mais ce n’est pas toujours évident, d’autant plus quand il s’agit d’une zone où les relations entre les Etats sont soit inexistantes, soit très tendues. C’est le cas notamment entre le Liban et Israël, et entre la bande de Gaza et Israël. Mais nous parlons aussi d’une géopolitique des tubes. Chypre, par exemple, a longtemps été un fervent soutien du monde arabe dans son conflit avec Israël. Mais les perspectives énergétiques ont rebattu les cartes en faveur d’un rapprochement israélo-chypriote. Depuis 2016, les deux pays associés à la Grèce envisagent désormais la construction d’un gazoduc sous-marin reliant les trois pays, afin d’exporter le gaz israélien vers la Grèce et donc l’Union européenne, via Chypre. Et des pourparlers ont également été engagés avec la Turquie, en juin 2016, après six ans de discorde, pour discuter de futures livraisons de gaz à Ankara. Un mot sur la situation en Europe…L’Union européenne est une zone de libre-échange, mais aussi une zone de libre circulation pour ses citoyens, qui ont le droit de s’établir et de vivre dans n’importe quel pays européen sans aucune difficulté. Mais en parallèle, on a renforcé les frontières extérieures de l’Europe, ce qui donne lieu à un repli sur soi vis-à-vis des migrations de plus en plus intenses ces dernières années, en raison des conflits à proximité de l’Union européenne, en Afrique de l’Est, au Moyen-Orient, en particulier en Syrie. Or, l’Europe s’est beaucoup construite grâce à l’extérieur. Par ailleurs, si on regarde à moyen ou long terme, nous avons une Europe vieillissante. Sans apport migratoire, ce vieillissement va déboucher sur un déclin des populations et un déclin, déjà visible, en termes de présence sur la scène internationale. Le repli total sur soi ne semble donc pas être la meilleure solution pour l’Europe. 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