D’ici cinq à dix ans, les survivants de la Shoah auront tous disparu. Nous continuerons à nous tenir debout en leur mémoire, lorsque la sirène retentira, le jour du Souvenir de la Shoah, et nombre d’entre nous verseront même quelques larmes. Les écoles continueront à emmener les adolescents à Auschwitz. Yad Vashem continuera à documenter l’Holocauste et les souffrances inimaginables endurées par la communauté juive sous le joug nazi, mais il ne sera plus question d’une parole vivante.Aujourd’hui, un quart de ces rescapés perçoivent de si maigres revenus qu’ils n’ont pas les moyens de vivre normalement : se nourrir, se procurer les médicaments dont ils ont besoin, se faire soigner, payer les réparations de leur maison ou acheter une machine à laver, même à crédit, représentent une charge financière qu’ils ne peuvent assumer. Un grand nombre d’entre eux sont les seuls survivants de leur famille, sans enfants et sans aucun réseau de soutien pour les aider à vivre décemment leurs dernières années.Après des décennies de relative indifférence de la part du gouvernement, une nouvelle loi vient d’être votée qui alloue des allocations mensuelles ainsi qu’une augmentation des pensions versées aux anciens travailleurs forcés, habitants des ghettos, enfants majeurs privés d’un avenir normal, déportés et survivants des transports en wagons à bestiaux. Mais cela reste insuffisant, et pour tous ceux qui ont péri dans la misère, cela arrive aussi trop tard. La législation change fréquemment, à la fois en Israël et dans les pays européens, en matière d’indemnisation des victimes de la Shoah. La Roumanie, par exemple, a pris la décision de verser une allocation aux juifs persécutés dans ce pays entre 1940 et 1945 seulement en juillet dernier. Comment les personnes âgées, parfois placées en maison de retraite, peuvent-elles avoir connaissance de leurs droits et toucher les sommes qui leur sont dues ?Aviva Silberman, présidente d’Aviv LeNitsolei HaShoah (Printemps pour les survivants de la Shoah), raconte la genèse de l’association devenue ONG, qui permis à plus de 60 000 survivants d’obtenir une aide financière d’Israël et de l’Allemagne.Les enveloppes brunes de l’Allemagne« J’étudiais le droit à l’université Bar-Ilan », raconte la jeune femme. « Voulant profiter de mon temps libre pendant la grève étudiante de 1992, j’ai demandé à faire du bénévolat dans une résidence pour personnes âgées de la rue Montefiore, à Petah Tikva. J’aime travailler avec les gens du troisième âge, et je pensais que ma langue maternelle, l’allemand, pourrait s’avérer utile. » Née en Suisse, Aviva a fait son alyah à 17 ans. Sa maîtrise de l’allemand a effectivement été mise à profit. « L’assistante sociale de la résidence m’a signalé que certains pensionnaires avaient reçu de grandes enveloppes brunes d’Allemagne, contenant ce qui semblait être des formulaires. Ils ne savaient pas de quoi il s’agissait, ni cequ’ils étaient censés en faire. Ces lettres contenaient des notifications concernant les droits des survivants de la Shoah à une allocation versée par l’Allemagne, ainsi que des formulaires à remplir. J’ai traduit les lettres et j’ai aidé ces personnes à remplir les papiers.Elles ont commencé à recevoir une allocation mensuelle, qui leur a permis d’arrondir leurs fins de mois. »Aviva a conservé son activité bénévole pendant toute la durée de ses études et a continué après son mariage. Son travail lui a permis de faire des recherches sur le sujet des droits financiers des survivants, tant de la part de l’Allemagne que d’Israël. A l’évidence, de nombreux ayants droit ignoraient tout des indemnisations existantes, mais les travailleurs sociaux et autres professionnels qui les accompagnaient n’en savaient rien non plus. Enfin, beaucoup parmi les survivants au courant de ces avantages, n’étaient pas à même d’entreprendre seuls les formalités administratives afférentes. « Après mon premier bébé, j’ai décidé que je n’étais pas faite pour le droit, du moins dans sa pratique usuelle », explique Aviva Silberman. « A cette époque, je connaissais le sujet des indemnisations sur le bout des doigts. Je savais que les survivants pouvaient réclamer des compensations de l’Allemagne, de la Claims Conference, du ministère des Finances israélien et de la Fondation au profit des victimes de l’Holocauste en Israël. De temps à autre, de nouvelles prestations apparaissent comme l’allocation de la Roumanie, par exemple. J’ai réalisé qu’aider les survivants à faire valoir leurs droits était ma mission. »« Il existe des avocats privés spécialisés dans ce domaine, mais ils prennent des commissions, jusqu’à 40 % des sommes perçues. Pour moi, il ne faisait aucun doute que je n’accepterais jamais d’argent de la part des survivants. »En dehors de ceux qui ignorent leurs droits aux dédommagements, certains rescapés craignent de présenter d’autres réclamations, de peur de perdre les allocations qu’ils perçoivent déjà. Les volontaires formés par l’association leur expliquent que leurs prestations ne peuvent qu’augmenter. Il y a également ceux qui, jusqu’à présent, refusaient d’avoir recours à un argent venu d’Allemangne qu’ils considéraient comme « sale ». Mais la plupart ont fini par admettre que refuser les indemnisations ne profitait à personne. Une course contre la montreAprès avoir pris sa décision, Aviva Silberman rejoint un centre d’information pour les survivants, dirigé par l’ancien député et rabbin Michaël Melchior. A l’époque de la seconde guerre du Liban, l’organisme avait un projet d’aide aux survivants domiciliés dans le Nord. En conduisant d’une maison à l’autre entre les tirs de roquettes, elle a l’idée de promouvoir l’information sur les droits des survivants à la radio, dans la presse et sur Internet. Toutefois, lorsqu’elle fait part de son projet, le centre n’y donne pas suite. Celui-ci sera finalement dissous, mais la jeune femme décide de continuer sur sa lancée.« Mon mari m’a encouragée à oublier les organisations établies et à créer ma propre association », explique-t-elle. « Au début, cela me paraissait impossible. J’étais là, avec cinq jeunes enfants », plaisante-t-elle. « D’un autre côté, le travail auprès des rescapés de la Shoah était et demeure une course contre la montre. Je ne pouvais pas m’offrir le luxe d’attendre d’être prête. Des survivants disparaissent tous les jours. Je me suis dit que seule, j’avais réussi à aider environ 2 000 survivants à faire valoir leurs droits, et qu’avec une équipe, je pourrais faire beaucoup plus. C’est comme cela que j’ai fondé Aviv LeNitsolei HaShoah en 2007. »Aviva commence par recruter deux avocates et ouvre un bureau chez elle. « Nous avons organisé la documentation, créé un site web et mis en place une ligne directe d’information. J’ai donné des conférences, en particulier dans les kibboutzim du Nord, où résident de nombreux survivants. Nous avons rédigé des dépliants expliquant les critères d’admissibilité et ce que les survivants peuvent espérer obtenir, accompagnés d’un modèle de demande et des coordonnées de l’association. « Vous êtes mes messagers », ai-je déclaré aux kibboutznikim. « Distribuez ceci à tous ceux qui, selon vous, pourront en tirer avantage. » « L’un d’eux m’a répondu : “Ces dossiers sont comme des bouteilles à la mer – elles vont faire des vagues.” » C’est en effet ce qui s’est passé. Aujourd’hui, plus de 60 000 survivants de la Shoah ont réussi à faire valoir leurs droits grâce à l’association. Les indemnités et avantages reçus se montent à plus de 350 millions de shekels.L’association opère désormais depuis un bureau situé à Nehalim et dispose d’une équipe de 25 professionnels, dont 14 avocats. 50 bénévoles prêtent en outre assistance aux survivants dans 18 centres d’information à travers le pays. Ceux-ci sont financés avec l’aide conjointe d’Eshel Joint Israel et de la Fédération juive du Grand Los Angeles et sont hébergés dans les locaux municipaux et autres lieux mis à leur disposition. Là, les bénévoles aident les demandeurs à comprendre leurs droits et à remplir les formulaires en allemand ou en anglais. Au besoin, le survivant peut rencontrer un avocat. Les bénévoles visitent également à domicile les survivants confinés chez eux. L’organisation, enfin, forme des travailleurs sociaux afin d’opérer dans les bureaux des allocations familiales ou au sein de divers services sociaux.Dans tous les cas, l’association suit chaque dossier jusqu’à son aboutissement, lorsque le survivant reçoit effectivement son allocation mensuelle, assortie d’un montant rétroactif en date de 1997, année où il aurait déjà pu commencer à percevoir des indemnités. Des sommes qui peuvent atteindre plusieurs milliers d’euros.Aviv leNitsolei haShoah ne prend aucune commission sur les bénéfices des ayants droit et ne facture aucune cotisation : tous les services fournis aux survivants le sont à titre gracieux. L’organisation fonctionne entièrement grâce à des dons, d’autant plus nécessaires que son champ d’action s’est rapidement élargi. Il n’étonnera personne qu’Aviva Silberman ait reçu plusieurs récompenses pour les services rendus par son association, la dernière en date étant la Médaille de la Conférence de Sdérot pour l’excellence sociale, en novembre 2016. Pour toute information complémentaire, consulter www.avivshoa.co.il ou écrire à Aviv LeNitsolei HaShoah, POB 201, Nehalim 4995000.© Jerusalem Post Edition Française – Reproduction interdite