Dr MorrisPollard, décédé en juin dernier à l’âge de 95 ans, était l’une des personnesles plus extraordinaires que j’aie jamais rencontrées. Il était le père deJonathan Pollard, la raison pour laquelle j’ai eu le privilège de le connaîtreplus de 20 ans.
Cette année, j’airécité le Kaddish pour lui, la prière prononcée à la synagogue pour le défunt,généralement par un fils ou un membre de la famille. Comme on le remarquesouvent, pas une seule référence à la mort n’y est faite. L’avantdernièrephrase exprime même l’espoir que Dieu nous bénira en nous donnant la vie.Morris Pollard, scientifique de renommée internationale et chercheur sur lecancer, n’a jamais considéré la vie comme un acquis et s’appliquait à luidonner chaque jour un sens nouveau.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, alors membre de la commission du généralGeorge Marshall, Pollard examinait et testait les vaccins pour des virusexotiques qui affectaient les soldats américains dans le Pacifique, un travailqui comprenait des risques mortels. En reconnaissance de son oeuvre, il s’estvu octroyer trois citations présidentielles et une Médaille d’éloge militaire.
Pendant près de 50 ans, il a supervisé le programme de recherche médical delongue haleine de l’Université Notre- Dame, qui a débouché sur des découvertesmajeures dans la lutte contre le cancer. Et jusque quelques semaines avant samort, M. Pollard se trouvait dans son laboratoire tous les jours, travaillantsans relâche pour donner le don de la vie à d’innombrables bénéficiaires, quine connaissaient, pour la plupart, pas même son nom.
Des informations devenues top-secret
La vie de MorrisPollard a pris un tour dramatique lorsque son fils Jonathan, analyste civildans le renseignement de la marine américaine, a été arrêté pour avoir transmisà Israël des informations secrètes concernant des Etats arabes. Un canald’informations jusque-là partagé avec Israël, et stoppé, ironiquement, enréaction à la destruction de l’installation nucléaire irakienne par l’Etat hébreu.
Suite à la violation par le gouvernement américain de son plaidoyer coécritavec Jonathan, qui allait essuyer une peine de prison à vie sans précédent pourespionnage au profit d’un allié américain, M. Pollard a sillonné le pays pours’exprimer devant les synagogues, les centres communautaires, les salles derédaction, ou celles du Congrès des États-Unis. Le cas Pollard a fini pardevenir l’une de ces rares questions qui faisait la quasi-unanimité au sein del’opinion juive américaine.
En effet, l’injustice flagrante dans la sentence à vie de Pollard est reconnueet condamnée par les Américains issus de toutes tendances politiques. Déjà en1992, Pat Robertson, leader conservateur de la communauté évangéliquechrétienne, et Robert Drinan, prêtre catholique et ancien membre démocrate duCongrès, rejoignaient Pollard et Elie Wiesel sur le podium d’un rassemblementde la Fête des pères à New York, pour un appel à la libération de Jonathan.
Et Robertson de citer le cas Pollard comme une “erreur judiciaire” qui “varonger comme un cancer la crédibilité du système juridique que nous aimons dece pays.”
Un an plus tard, en 1993, Benjamin Hooks, ancien juge et chef de l’une desNAACP, organisation des plus anciennes et des plus respectées des droits civilsaux États-Unis, et témoin de nombre de bévues gouvernementales, écrivait surl’affaire Pollard, dans une lettre au président Clinton, qu’il avait “rarementrencontré un cas où le côté arbitraire du gouvernement était si évident etinexcusable.”
Pendant un quart de siècle, jusqu’aux semaines qui ont précédé sa mort, M.Pollard s’est attelé sans relâche à trouver un remède à l’injustice faite à sonfils.
Mes conversations téléphoniques régulières avec lui étaient, dans une certainemesure, une expérience schizophrénique.
La présence de Jonathan planait sur chaque appel. Il était rare de ne pasévoquer l’affaire. La douleur que M. Pollard ressentait, loin de diminuer avecle temps, ne faisait que s’accroître avec les années d’emprisonnement de sonfils. Il était habité par un sentiment d’injustice. Ainsi, malgré la fréquencede nos conversations, je n’ai jamais composé le numéro de M. Pollard sans mesentir alourdi d’un poids.
26 ans : à quand la fin d’une peine inédite
Mais avec lesannées, l’inspiration que j’ai reçue de Morris Pollard a elle aussi pris del’ampleur. S’il vieillissait, 85, 90, 95 ans, il maintenait sa recherche, sonécriture et ses conférences à un niveau de classe mondiale. Je lui demandaissouvent des nouvelles des rats de son laboratoire.
Il répondait généralement avec l’excitation et l’enthousiasme d’un jeunechercheur, “Oh, ils se portent très bien !” Je me souviens bien de chaquerencontre avec lui, des séances de stratégie et des grands rassemblements pourJonathan, où l’espoir nous tenaillait. Et d’une visite plus poignante encore àJonathan dans sa cellule de prison en Caroline du Nord, avec ses parents. Lesexpressions de leurs visages, marqués par un fardeau énorme couplé d’une forceétonnante, seront toujours gravées dans ma mémoire.
La dernière fois que j’ai vu M. Pollard, c’était lors de son séjour en Israël,en novembre 2008. Il était venu plaider pour Jonathan et assister à un congrèssur le cancer à Jérusalem. Il avait voyagé seul et était la dernière personne àdescendre de l’avion. Il avait alors 92 ans, paraissait épuisé, et je medemandais comment il allait tenir le coup. Mais le matin même de son arrivée,il se rendait déjà à la Knesset pour une session spéciale consacrée à l’affairePollard. Le second jour, il rencontrait les Grands Rabbins d’Israël et plustard, le médiateur du pays.
Le voyage fut très difficile pour lui, mais sa fermeté l’a emporté. Que ce soitdans la huitième, neuvième ou dixième décennie de sa vie, Dr Pollard sesurpassait et se battait pour Jonathan avec toute la vigueur dont il étaitcapable.
Mon dernier acte de collaboration avec lui aura été un éditorial que nous avonscoécrit, publié dans le Washington Post, à l’occasion du 25e anniversaire del’arrestation de Jonathan - “Pourquoi Obama devrait commuer cette sentence àvie.”
M. Pollard se félicitait de cet article et espérait que Washingtonreconnaîtrait enfin qu’il était plus que temps de mettre fin à l’affaire. Eneffet, les mois suivants, de nombreux fonctionnaires éminents, y compris l’ancienprocureur général Michael Mukasey, Henry Kissinger, George Shulz, Dan Quayle etJohn McCain, appelaient le président Obama à réduire la peine de Jonathan auxplus de 25 ans déjà purgés.
En octobre dernier, un groupe de 18 anciens sénateurs américains, dont quatreprésidents du Comité sénatorial du renseignement qui avaient accès à tous lesdocuments classés de l’affaire Pollard, ont écrit conjointement à Obama pourlui demander de limiter la peine de Pollard aux 26 années purgées. Selon eux,il s’agissait d’“une question de compassion élémentaire et de justiceaméricaine.” L’abandon de ces valeurs dans le cas de son fils a peiné Morrisjusqu’au jour de sa mort.
Sur la Cloche de la Liberté (Liberty Bell) de Philadelphie, est inscrit lecommandement biblique qui inspire les Américains depuis des siècles :“Proclamez, dans le pays, la liberté pour tous ceux qui l’habitent” (Lévitique25, 10). Lorsque la Liberty Bell et d’autres cloches à travers les États-Unisretentiront 13 fois ce mercredi 4 juillet, leur son sera Ô combien plusauthentique si Jonathan Pollard pouvait lui aussi jouir de cette liberté, aprèsplus de 26 ans de captivité.