«Il faut être voyant », recommande Rimbaud. Lurçat a la voyance des poètes qui, d’un seul coup d’œil, pénètrent l’âme des êtres dans lesquels ils plongent leur plume, avec la prescience de leur tragédie. Un couple qui pleure la mort d’un fils unique mort dans un attentat, un soldat qui s’occupe de sa mère et n’arrive plus à être gai, Moshé qui n’a connu de la vie que la solitude, mais cachait une immense générosité, l’oncle Samuel victime d’une épouse méchante, et le mystérieux Rav Eliahou, ces instantanés de vie juive que l’auteur révèle, d’inconnus dont il croise le chemin, des membres de sa famille dont il se souvient ou de ceux qu’il imagine au détour d’une photographie, touchent à l’universel. « Ne soyez pas intelligents ; soyez justes » disent nos sages. L’auteur, par sa grande humilité, nous offre leur intimité, avec pudeur et justesse. Il ne fait pas du style. De sa descente au cœur de l’humain, d’un trait sobre et fin, il tire des pépites. Mais les va-et-vient du « Je » au « Il » comme s’il nous lâchait soudain la main pour nous tenir à distance, peuvent sembler déroutants. On aimerait rester tout au long du livre, le confident privilégié de sa voix intérieure qui dit « Je ».Pierre Itzhak Lurçat connaît l’exil. Né aux Etats-Unis, il a grandi en France avant de s’établir à Jérusalem, et se dit lui aussi victime de la confusion que ces allers-retours propres à l’aliya entretiennent et voit dans cette déchirure engendrée, le fil conducteur du livre. Mais n’est-ce pas aussi ce regret de ne pas être un Juif israélien « de naissance » qui nourrit cette nostalgie qui traverse ses pages et anime ce regard admiratif qu’il pose sur ces Juifs, qui jour après jour, de génération en génération, reconstruisent le foyer national juif. « Voilà, enfin ! Son fils était devenu Israélien à part entière, c’est-à-dire un juif fier, portant l’uniforme, et prêt à donner sa vie pour défendre son pays. A ce sentiment de fierté et d’orgueil se mêlait une sensation indescriptible, comme une douleur infime, qui ne pouvait dissiper sa joie, mais qui demeurait tapie en arrière-plan… il resterait toujours étranger… un Juif de la Galout, parlant hébreu avec un accent prononcé et ignorant tout des subtilités de l’argot militaire et de la camaraderie des soldats. »Lurçat n’est pas un portraitiste phraseur. C’est l’amour du peuple juif qui le porte et il est contagieux. La Ville Sainte qui le fascine abrite ses émotions et offre un écrin à ces histoires. « A Jérusalem, qu’on le veuille ou non, on est porté vers le haut » confie Lurçat. La magnifique photo de Marc Israël Sellem en couverture du livre prend alors tout son sens. Ces destins qui traversent ces pages sont comme les cordes de cette harpe, tendus vers le ciel, qui vibrent en harmonie, traversés par un impératif d’élévation. Jour de sharav à Jérusalem, de Pierre I. Lurçat, éditions L’éléphant, Jérusalem© Jerusalem Post Edition Française – Reproduction interdite