Ou de la difficulté à affirmer une position pro-israélienneQuand j’ai publié mon premier livre, en 1979, les Juifs étaient à la mode. Il yavait une production éditoriale très importante sur les thèmes juifs, ondécouvrait Lévinas et Jankélévitch, et le jeune roman juif commençait à prendreson essor ; le roman séfarade, s’entend. Ce roman-là se différenciait de lalittérature ashkénaze en ce qu’il n’était pas marqué par la Shoah. A l’époque,les médias et la critique firent bon accueil à cette production aux senteursd’anisette et de jasmin. J’avais été récompensé par plusieurs prix, tout commemes camarades Gilles Benaych, Paula Jacques ou Chochana Boukhobza. Nostalgique,sensuelle, un peu burlesque aussi, cette prose frappait les esprits par lajeunesse de ses auteurs, qui n’avaient connu leurs pays d’origine que le tempsd’une enfance ; par ouï-dire en fait.Mais si cette littérature s’était soudain mise à éclore, c’est aussi parce quenulle part dans l’histoire officielle de la décolonisation, la déjudaïsationdes pays arabes n’avait même été évoquée. Les écrivains sépharades compensèrentainsi les lacunes et les “oublis” pudiques des historiens. Nous nous étions misà écrire pour que cette “négligence” ne nous fasse pas tomber pas dans l’oubli.Ou la littérature pour réparer les errements de l’historiographie...Trente ans plus tard, le phénomène exactement inverse est en train de seproduire. Si l’on peut encore être publié en tant qu’auteur juif en France, c’estseulement à certaines conditions. D’abord se déclarer clairement antiisraélien,tout au moins critique à l’égard d’Israël. Les nouveaux stéréotypesmédiatiques, systématiquement hostiles à l’Etat juif, ont sonné le glas del’époque précédente.Passer le barrage médiatique
La victimologie palestinienne y est sans doute pour quelque chose, etl’accroissement exponentiel de la population musulmane en France également. Sans conteste,par son importance, la clientèle arabe locale dicte aux médias françaisd’autres priorités.En tous cas quelque chose a changé ; quelque chose d’inquiétant aujourd’hui etde probablement terrifiant demain. La mode actuelle est à la banalisation d’unTariq Ramadan, pourtant adepte de la lapidation et de la charia ; à laglorification des criminels du Hamas par un vieillard faussement angéliquecomme Monsieur Hessel ; à la condamnation obsessionnelle de la démocratieisraélienne.Deuxième condition pour être écrivain juif en Franceaujourd’hui : n’avoir aucune pratique religieuse. En somme être juif d’origineet seulement d’origine. Comme les premiers chrétiens, ou comme les marranes.Mais qu’est-ce que ça veut dire “ être juif”, si l’on n’a ni foi en la Torah niamour de l’Etat d’Israël ? Et en quoi ça consiste alors ? Si je suis encorepublié par un grand éditeur français, je n’ai pourtant aucune chance de passerle barrage médiatique, en raison de mes positions proisraéliennes.Israël, mon amour
Aucune antenne ne me sera ouverte pour dire que j’ai quitté la Franceparce que mon fils ne peut pas marcher dans les rues avec une kippa sur latête, sans risquer de se faire agresser. Mon fils a ses raisons, et elles sontreligieuses ; les miennes sont politiques. Nos raisons ne sont pas semblablesmais elles nous ont menés à la même conclusion : nous avons plié bagages.Il y a 50 ans déjà, ma famille ainsi qu’un million d’autres Juifs avaient dûquitter les pays arabes où ils vivaient pourtant depuis des siècles, faute depouvoir dire leur amour pour Israël. Jamais les historiens n’ont pris la peinede se pencher sur cet exode massif, et ses raisons profondes.Tout le monde a fait comme s’il était logique pour les Juifs, peut-être mêmenormal, d’être chassés en masse de chez eux au seul prétexte que les pays oùils vivaient étaient désormais dirigés par des nationalistes arabes. Ils’agissait pourtant d’une véritable épuration éthnique, mais elle ne portajamais ce nom ; elle n’eut jamais non plus l’écho que donnèrent à leur exodeles 250 000 Palestiniens qui quittèrent la Palestine en 1948. Il y a pourtant un parallèle évident entre ces deux situations. Or, ceparallèle a été occulté par les historiens, et continue de l’être par lesmédias aujourd’hui. Mon travail est de le faire entendre, de le rabâcher s’ille faut, puisque c’est un parallèle indéniable. Mais si je n’ai pas le droit defaire entendre ce son de cloche, que me reste-t-il comme autre alternative quel’exil ? Aucune loi ne m’interdit de passer à la télé en tant que Juifpro-israélien, heureusement. Mais dans les faits, c’est tout comme.J’ai un peu réfléchi à cette question, et je me suis résignéà penser que la culpabilité post-coloniale à l’égard des Arabes, devait avoirrefaçonné l’imaginaire collectif, donc le regard des médias. On se souvientsans doute que l’hostilité française pour Israël, commence avec la fameusephrase-culte de De Gaulle sur “le peuple d’élite, sûr de lui-même etdominateur”. Phrase prononcée en 1967, c’est-à-dire à la fin de ladécolonisation, au moment où va avoir lieu la guerre des Six-Jours.
Ce n’est pas un hasard si De Gaulle devient hostile à son ancien alliéisraélien après l’achèvement de la décolonisation.Deux représentations du peuple juif se succèdent alors dans l’imaginairegaulliste ; la victime du nazisme est devenue un guerrier triomphant.Du même coup, les interdits qu’a créés la Shoah s’avèrent trop contraignants,comme s’ils avaient empêché un certain antisémitisme cérébral de s’exprimerlibrement depuis la Libération; comme si enfin, il était urgent de se défausserde sa culpabilité coloniale sur l’état d’Israël, aux prises lui aussi avecd’acerbes nationalismes arabes.Peu à peu le sionisme est ainsi devenu, non pas la seule utopie du XIXe qui aitproduit de la démocratie et des richesses, mais un gros mot.L’Intifada, puis l’opération Plomb durci sur Gaza, ont achevé ce reconditionnement, etnous voici au terme d’un processus qui pourrait aller - qui sait ? - jusqu’à ladéjudaïsation de la France,ou la rupture des relations diplomatiques entre la France et Israël. Certains manuelsscolaires sont déjà contaminés par l’hostilité gaullo-hesselienne à l’égard del’état juif, et la gauche gâteuse use systématiquement des termes infamantscomme “apartheid” à l’égard d’Israël, dès qu’un problème surgit entre Netanyahouet l’Autorité palestinienne.Chaque jour apporte son eau de Vichyau moulin de l’antisémitisme ordinaire, plus ou moins maquillé enisraélophobie. Or, peu ou prou, tous les Juifs aiment Israël.Bien sûr, c’est un amour plus ou moins critique mais c’est de l’amour quandmême et l’amour ça ne s’explique pas.C’est justement cet amour qui posera problème en France dans les temps à venir. Sije veux pouvoir dire mon amour, ou même ma tendresse, pour ce pays fascinant ilne me restera que les réseaux sociaux ou la presse communautaire la plusconfidentielle pour m’exprimer. N’ayant pas accès aux grands médias, leséditeurs pourront également me tourner le dos faute de pouvoir faire connaîtremes livres.On me rétorquera que plein de Juifs ont des positionsclés dans les médias etque ma prédiction n’est qu’un pur fantasme. N’empêche que les médias sontsystématiquement anti israéliens, même avec des juifs à leur tête. C’est sansdoute que la marranisation des esprits est en marche.