Shirel, la bien nommée

Avec son album Lachouv Habaïta, Shirel Shirel, qui signifie « Chant vers Dieu » en hébreu, nous offre des textes mûris à l’expérience israélienne.

P22 JFR 370 (photo credit: DR)
P22 JFR 370
(photo credit: DR)

Neve Tsedek, Tel-Aviv. C’est le lieu qu’a choisi Shirel pour unconcert privé. Et convier un public de femmes, uniquement, à la découverte deson nouvel album, Lachouv Habaïta composé de titres en français, en anglais eten hébreu. Dans la salle, des Françaises et Israéliennes de tous âges sepressent. Shirel se montre enfin. Solaire. Robe blanche, pieds nus, coifféed’une couronne de fleurs, elle s’accorde parfaitement avec le décor délicat del’endroit. L’accueil est résolument chaleureux. L’artiste est en territoireami. Sur scène, elle s’exprime dans un hébreu parfait. Shirel est là, en Israël.

Enfant de la balle, Jennifer Djaoui, de son vrai nom, fille du producteur AndréDjaoui et de la chanteuse Jeane Manson, est née en France et a grandi enCalifornie avant de rejoindre Israël à dix-sept ans. Très vite, elle se tournevers la musique et se forme, dans une école de Tel-Aviv, au chant et à ladanse. Révélée en 2001 par Notre Dame de Paris, la jeune femme sort en 2003 sonpremier album, Tous les chemins, enchaîne comédies musicales et s’offre mêmeune incursion au cinéma avec O Jérusalem sorti en en 2006, avant les comédiesmusicales Le Sel et le miel et Avenue Q, importée de Broadway. Puis un nouvelopus, Olds Things sort en février 2013. Un virage s’amorce.
Aujourd’hui Shirel s’offre un nouveau défi. Chanter Israël en hébreu. Sansrenier toutes ses belles aventures artistiques précédentes pour autant. Dès lepremier titre qu’elle interprète, Ani lo rotsa laavod (Je ne veux pastravailler), elle s’amuse et conquiert la salle : Shirel fait partager sajubilation d’être là. Avec la deuxième chanson Lachouv Habaïta, le titre pharede son nouvel album, elle rend hommage à sa terre d’élection, Israël. Sonterritoire secret, celui auquel elle veut appartenir, et qu’elle a rejointdéfinitivement. Mais revenir à la maison, pour Shirel, c’est bien entendurevenir vers soi.
Dans Lo nafsik lirkod (nous n’arrêterons pas de danser) elle réussit le parid’évoquer l’attentat du Dolphinarium avec un mélange de pudeur et d’émotion.Fière d’appartenir à un peuple qui se relève. Voix nue, puissante, sobriété et forcedu message, Shirel est habitée. Quelque chose d’authentique se dégage de cevirage. L’hébreu habille sa voix, dont la tessiture sert les sonorités âpres dela langue. Une transition de taille pour l’artiste, qui enchaîneraprochainement avec un nouveau concert prévu à Tel-Aviv. Shirel, la bien nommée,a trouvé son nom. Entretien.
Pieds nus, guitare, décontraction évidente, il y a chez vous un côté chanteusefolk. Vous le revendiquez ? 

J’aime la folk. S’il fallait se définir par ungenre, un style musical, le mien serait plutôt justement jazz et folk. Pourquoi ce choix de vous produire devant un public composé exclusivement defemmes ? Je suis dans un chemin, et c’est un travail intérieur très profond. Jevais à un cours de Torah. J’ai rencontré là des femmes qui m’ont encouragée àchanter en hébreu, soutenue toute l’année. D’où ce concert, qui je l’espèreamènera une brakha (bénédiction) pour la suite. L’ambiance était chaleureuse,et j’ai trouvé qu’il y avait beaucoup d’amour.

Avec « Lachouv Habaïta » on vous découvre auteur de plusieurs nouvelleschansons sur des thèmes très personnels(«At» sur votre mère et « Lonafsiklirkod » surle Dolphinarium). Est-ce une démarche nouvelle ou aviez- vous déjà écrit dansvos précédents albums ?

J’ai toujours écrit, sauf pour mon premier album. Jecompose depuis l’âge de quinze ans mes propres mélodies, car c’est dur detrouver des personnes qui ressentent la même chose que moi. Les chansons sur maMaman et sur l’attentat du Dolphinarium sont des choses très importantes pourmoi, et j’essaie d’exprimer à travers mes textes l’appartenance au peuple juif,avec ses hauts et ses bas.

At par exemple, sur ma mère, vient de mes tripes, Olds Things peut-être plussuperficielle, parle de ma passion pour les vieilles choses, Ani lo rotsa c’estle côté joyeux qui vient de ma mère qui est américaine. Transmettre la gaietéest important aussi, comme parler de moments plus graves.

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« Coming to my garden », « This is my secret land »... Vous avez toujours unmot vibrant sur l’aliya, sur ce rapport fusionnel avec la terre d’Israël ?

C’est LA source d’inspiration. J’ai fait mon aliya à dix-sept ans, puis j’aienchaîné sur une vie professionnelle intense. J’ai choisi de laisser derrièremoi la facilité, pour faire, pour reprendre une expression américaine, a leapof faith littéralement un saut de foi. Tout recommencer, c’est ce que je faislà, et c’est bien un amour fusionnel comme vous le dites, inconditionnel, trèsfort, qui dépasse toute logique. En France, faire quelque chose qui marche, j’aidit non, pour faire exister ici quelque chose de différent. C’est uneexpérience d’humilité et de courage.

Avez-vous des connexions avec des artistes israéliens qui vous donneraientenvie de vous investir de plus en plus sur la scène locale ?

Oui. Il ne fautpas oublier que je viens de l’école Rimon de Tel-Aviv. Mes profs étaient desartistes et j’en connais d’ailleurs plusieurs. Notamment Idan Raichel, dontj’ai repris une chanson. Petit à petit on trouve des idées d’échanges, decollaborations.

Vous avez un rapport aux médias français très maîtrisé, notamment dans cestalk-shows où vous avez dû parfois faire face à une certaine agressivité desinvités ou des journalistes. C’est un exercice délicat ?

J’ai représenté avecbeaucoup de fierté Israël sans peur de dire ce que je pensais, avec ce côtéféminin qui évite de devenir agressif. Aujourd’hui, ça ne m’intéresse plus dutout. En Israël, je peux être moi-même, je n’ai pas d’angoisse en entrant surun plateau télé. Les Israéliens me parlent parfois de naïveté. Ce n’est pas dela naïveté, mais de l’amour pur. Ils ont perdu çà. J’ai conscience qu’il y aurad’autres débats ici, mais je n’ai pas besoin de faire de la politique en toutcas, c’est ridicule.

Vous faites un bilan très serein d’une période sans doute douloureuse enFrance.
Un cheminement qui vous amène à chanter « No is like a yes », et « IchaYehoudiya » Etre béodaya, en gratitude vis-à-vis de Dieu, c’est le but. Face àbeaucoup de portes fermées, on doit apprendre à accepter les non avec autant dejoie que les oui, pour permettre au Créateur de se dévoiler. C’est le parcoursd’une femme juive au quotidien, avec ses propres guerres à mener. C’estforcément un chemin spirituel. Pour légalot oto, pour le dévoiler. C’est notrebut.
Quelles sont les influences que vous gardez des pays où vous avez vécu etl’apport artistique de ce métissage ?

Des USA, j’ai hérité du jazz de magrand-mère. Et de la folk américaine que j’écoutais à Los Angeles. Ma mère enécoutait beaucoup et cela m’a influencée. Pour la France, j’adore Brel, mais endehors de quelques auteurs, ce n’est pas la musique que j’écoute. J’ai plusretenu de la France son sens de l’esthétisme, de la mode, du raffinementculinaire.

On sent le plaisir que vous avez à naviguer entre plusieurs langues, même àl’intérieur d’une même chanson. Songez-vous à en faire un atout pour toucherplusieurs publics d’horizons différents ? 

Je ne cherche pas à faire unecarrière internationale. Je fais plutôt le chemin inverse des Israéliens quieux veulent percer en houts lahaarets (à l’étranger). Ils sont nés ici et ilsont ce mouvement vers l’extérieur. Ils ne viennent pas « du dehors », et commedit mon père ils ont un « retour » de retard ! Moi je n’ai pas besoin d’allervoir ailleurs. Je n’en ai aucune envie ; mon but est de chanter ici et dereprésenter Israël, même si je chante dans plusieurs langues.

Votre plus beau souvenir de tournée, de pays par lequel vous êtes passée ? 

C’était à Troyes, en France. J’étais en tournée avec Notre Dame de Paris. J’avaisentrepris de faire un arbre généalogique et je faisais le 12 à l’époque, lesrenseignements, à chaque ville différente, pour trouver des pistes. Je donnaisle nom de ma grand-mère. Avez-vous des « Fhal » ? A Troyes donc, on m’a réponduoui. J’ai cherché et j’ai trouvé. Je suis tombé sur des gens de ma famille queje ne connaissais pas, qui m’ont dit qu’ils avaient acheté des places duspectacle pour venir me voir ! Ils avaient un cadeau pour moi, un album defamille de ma grand-mère, avec des centaines de photos exceptionnelles.Découvrir mes racines... Ça reste mon plus beau souvenir.

Shirel seproduira le 29 juillet à 21 h 30 à l’Haezor, Tel-Aviv Réservations : 03 5106065 www.ticketcenter.co.il