C’est dans un micro-bidonville tout proche du village bédouind’El-Batal, situé à 15 kilomètres au nord de Beersheva, et à 500 mètres del’implantation juive récente de Giv’ot Bar que Gil Nezer s’apprête àrencontrer Hassan (nom modifié pour raison d’anonymat), un potentiel clientbédouin.
Le vice-président directeur marketing & ventes chez ledistributeur de panneaux solaires Interdan Ltd. emprunte la route 310 entreLehavim, satellite verdoyant de Beersheva, et la ville bédouine de Rahat. Aproximité : des dunes jaunes et terreuses en sillons. A perte de vue : devastes plaines désertiques beige.
Hassan attend le directeur marketing dans son4X4 pour le conduire au milieu de nulle part. Aux yeux d’un Européen, le décoraurait tout d’un camp de Roms si, en arrière-plan, des moutons bruns plutôtchétifs, quelques chèvres et deux chameaux n’évoluaient pas non loin d’un vieilenclos.
Pendant la négociation du contrat de prêt de deux panneaux (13 000 shekelschacun), le plus jeune fils d"Hassan sillonne l’espace à vélo tandis que l’undes plus âgés s’approche pour comprendre ce qui est en jeu. Quant à la mère d'Hassan, elle attend, muette, enveloppée de voiles blancs, assise sur un vieux litcreux installé au centre d’un shigg (espace de rencontre) au sol bétonné. Ellesemble souffrir de la chaleur ; on est en plein ramadan. L’appel à la prière selève comme le vent. Les brumes de chaleur distordent l’horizon. Un courantd’air jette au sol une multitude de vêtements qui séchaient sur un grillage.
A l’instar d’environ 40 % des Bédouins du Néguev, Hassan est polygame. Ses 2épouses vivent dans des logements distincts et ont donc besoin d’un systèmed’énergie solaire par foyer. De plus, « avec 3 enfants paralysés de naissance,il a besoin plus que quiconque de l’électricité en continu », explique GilNezer. Sans adresse et ayant récemment perdu son emploi de chauffeur de camion,« Hassan ne pourrait jamais obtenir de prêt via une banque traditionnelle sansPlaNet Finance ».
« Des chèvres et des Mercedes, et alors ? »
Nezer concède que « ce n’est pasévident pour tous les Bédouins de recourir à un prêt. Certains sont méfiants,d’autres pas habitués ». « L’éducation financière prend du temps », admet aussiDina Weinstein, directrice générale de la branche israélienne de l’ONG.
Une vision contredite par Cédric Parizot, anthropologue au CNRS et chercheur àl’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulmand’Aix-en-Provence. « Les Bédouins n’ont rien à voir avec la vision que leurprêtent les livres d’enfants. Ils ne sont pas plus démunis que vous ou moi pourmettre en place un système de microcrédit. Ils maîtrisent les rouages dusystème israélien et un certain nombre d’entre eux connaissent très bienl’univers de l’aide internationale. Le mode de vie de cette société est très urbaniséet intégré dans le fonctionnement de l’économie israélienne. Bien entendu,comme leurs concitoyens, certains sont mieux outillés que d’autres. »
« Outillé», Hassan l’est plus ou moins. Il porte un polo Lacoste blanc et tient dans lamain un iPhone. Dans le shigg, une télé à tube cathodique et un poste deradio tranchent avec l’extrême dénuement des baraques entôle rouillée, sans cloisons.
Mais pour Nezer, rien de contradictoire là-dedans. « C’est une communauté entransition. Et oui, ils ont à la fois des chèvres et des Mercedes. Et alors ?Beaucoup de juifs ashkénazes possèdent des biens immobiliers, mais roulent dansde vrais tacots. »
Objectif affiché : aider 60 000 Bédouins
Un taux de remboursement de prêt de 99%.
L’ONG PlaNet Finance Israël a reçu en juin l’Energy Globe Award Israël, prixrécompensant des programmes environnementaux innovants, pour son projet piloteEnergie Solaire pour les Bédouins (ESB). « C’est une première d’avoir associémicrofinance, énergies renouvelables et crédits carbone, dans le cadre d’unprojet de prêt à la consommation », se félicite Dina Weinstein.
Le but affichéest aussi de mettre un terme à l’utilisation de générateurs précaires,polluants et nocifs pour l’organisme. « Qui dit générateur dit maladiesrespiratoires. Grâce aux aides médicales fournies par notre partenairel’AJEEC-NISPED, les Bédouins peuvent bénéficier d’une subvention santé qui leurpermet de soigner leurs bébés à domicile, et non plus de les laisser àl’hôpital de Beersheva », explique Weinstein. « Maintenant qu’ils ontl’électricité en permanence, les Bédouins peuvent avoir une vie normale ».
En 2 ans, ESB a ainsi permis à près de 600 habitants de villages bédouins nonreconnus de passer de générateurs diesel actifs 5 heures par jour, parfois unpeu plus, à une énergie propre et virtuellement gratuite. A terme, PlaNetFinance Israël ambitionne d’aider cent fois plus de Bédouins.
« Le potentielest énorme », tente de convaincre Weinstein. Mais la réussite du projet dépendde facteurs multiples et imprévisibles liés à la demande de panneaux solaires :« Les variations possibles de l’ensoleillement, les fluctuations des prix despanneaux, l’augmentation du prix du diesel en cas de guerre… ». Sans compterune recherche laborieuse de fonds privés. « Les philanthropes juifs préfèrentde façon générale donner à des projets qui touchent des bénéficiaires juifs »,remarque Dina Weinstein.
L’idée que les Bédouins ne sont pas à même derembourser ne facilite pas non plus la tâche. Or, contredisant les prévisionsfatalistes, ESB affiche un taux de remboursement de 99 %, légèrement plus élevéque celui de la Banque mondiale. Pour atteindre ce taux record, PlaNet Financea établi une procédure précise avec suivi mensuel et montant du prêt adapté auprofil du client. Enfin, les agents de prêt étant eux-mêmes Bédouins, lacommunication n’en est que renforcée.