Mi-avril, le nouveau ministre des Finances, Yaïr Lapid, avait levent en poupe. Les sondages lui prédisaient 30 sièges à la Knesset, autant quele Likoud-Israël Beiteinou du Premier ministre Binyamin Netanyahou. Et lemagazine Time venait de l’inclure dans sa liste des 100 personnes les plusinfluentes au monde, en 2013, au détriment de Netanyahou. Lapid parlaitouvertement de détrôner le Premier ministre aux prochaines élections. Maisc’était jusqu’à l’arrivée de la proposition budgétaire 2013‑2014.
Une énorme disparité éclate alors au grand jour, entre les promesseséconomiques de Lapid et ses premières mesures en tant que ministre desFinances. Du jour au lendemain, sa cote de popularité dégringole. Selon unsondage publié dans Haaretz à la mi-mai, seuls 19 % d’Israéliens sontsatisfaits de l’action de Yaïr Lapid comme ministre des Finances contre 58 %d’insatisfaits.
Et toujours selon l’enquête, si des élections avaient lieu aujourd’hui, leLikoud gagnerait 32 sièges et Yesh Atid seulement 18. Pire encore pour Lapid,52 % des personnes interrogées estiment que Netanyahou est l’homme d’Etat leplus qualifié pour servir en tant que Premier ministre, contre 10 % seulementpour le leader néophyte de Yesh Atid.
Le climat anti-Lapid se propage rapidement. À la radio comme à la télé, lesinfos débordent d’électeurs déçus de Yesh Atid, qui se plaignent d’avoir ététrompés. De leur côté, les éditorialistes ne l’épargnent guère. Lesmanifestations en masse, qui avaient tant agité la classe moyenne au cours del’été 2011, menacent de reprendre. Si Lapid semblait être le principalbénéficiaire des précédents troubles sociaux, il pourrait bien maintenant enfaire les frais et en devenir la cible privilégiée.
Certes, il a hérité du précédent gouvernement, dirigé par le Likoud, d’undéficit budgétaire massif de 40 milliards de shekels. Le grand trou noir étaitclairement le fait de Binyamin Netanyahou et de son complaisant ministre desFinances Youval Steinitz. Le mauvais calcul des recettes fiscales et ladistribution de cadeaux à l’approche des élections de janvier dernier n’étaientcertes pas faits pour arranger la situation.
Le sauveur de la classe moyenne
Mais le véritable test pour Lapid était desavoir d’où il allait prendre l’argent pour combler le déficit. En d’autrestermes, si, oui ou non, son projet de budget serait conforme à ses beauxdiscours de « sauveur de la classe moyenne ».
Pendant la campagne électorale, Lapid promet de représenter les intérêts de laclasse moyenne avec le même zèle que Shas consacre à la communauté séfaradeultraorthodoxe.
Yesh Atid, déclare-t-il, sera « le Shas de la classe moyenne ».
Son cri retentissant « Où est l’argent ? » laisse entendre que même si lesfonds ne manquent pas, l’argent ne profite jamais à la classe moyenne. Ilsemble servir plutôt les intérêts des lobbys et des groupes de pression, desmagnats, des grandes entreprises, des implantations, des syndicats surpuissantset des ultraorthodoxes.
Lapid promet de redistribuer les parts du gâteau national. Il s’engageégalement à ne pas imputer de nouveaux impôts à la classe moyenne, qui crouledéjà sous une charge beaucoup trop lourde.
Dans un de ses premiers messages sur Facebook après les élections, il promet d’aider« Riki Cohen de Hadera », figure typique de la classe moyenne qui, malgré unrevenu familial avant impôt d’environ 20 000 shekels par mois, a encore du malà joindre les deux bouts. Toujours dans la même veine, en présentant son projetde budget d’austérité, il affirme qu’il a été conçu pour donner davantage « auxtravailleurs ».
Lapid définit ses choix comme une « nouvelle politique » basée sur un nouveaucontrat social, plus égalitaire. Mais son budget à l’ancienne ressemble à toutsauf à cela : impôts généralisés qui touchent essentiellement la classemoyenne, et réductions drastiques des dépenses publiques qui frappentprincipalement les groupes à faible et moyen revenu. Victime de son proprediscours, les promesses pré et postélectorales de Yaïr Lapid reviennentmaintenant le hanter.
Toujours les mêmes qui trinquent
Pour couvrir le déficit de 40 milliards deshekels au cours des 18 prochains mois, Lapid a augmenté les impôts de 13,4milliards et réduit les dépenses publiques de 25 milliards. Mais le problème,c’est la façon dont il le fait.
Il a augmenté les impôts de 1,5 % dans toutes les tranches, sans surtaxe surles plus hauts revenus. Il a imposé un supplément de 1 % sur la TVA, infinimentplus difficile à supporter pour les pauvres que pour les riches. Il a relevél’impôt sur les sociétés de seulement 1 %, alors que son taux de 25 % estrelativement bas.
La réduction des dépenses publiques vient également frapper les moins biennantis. Par exemple, les régimes d’assurancemaladie, les programmesparascolaires subventionnés et les allocations familiales vont être annulés oufortement réduits, sans parler de l’impact possible sur le chômage.
Pour couronner le tout, Lapid a repoussé l’épreuve de force qu’il avait promisd’entreprendre face aux groupes d’intérêts puissants. Au lieu d’affronter,comme il s’en était tant vanté, les syndicats souverains des travailleursportuaires ou de la compagnie d’électricité qui négocient pour leurs employésdes salaires exorbitants, il a conclu un accord avec Ofer Eini, le patron de laHistadrout, pour obtenir le calme dans l’industrie.
Il n’a rien fait pour modifier les énormes allègements fiscaux dont bénéficientles grandes entreprises comme le géant pharmaceutique Teva.
Quant à la confrontation avec les harédim, Lapid a repoussé de six mois ladécision de surseoir au financement des écoles ultraorthodoxes qui n’enseignentpas les matières scolaires essentielles comme les mathématiques et l’anglais.
En partie à cause de son alliance politique avec le parti de droite HaBayitHaYehoudi, il n’a pas touché aux allocations des implantations deJudée-Samarie. Il n’a pas non plus trouvé d’argent pour la classe moyenne dansle colossal budget de la défense qui, même réduit de 3 milliards de shekelscette année (et non de 4 milliards, comme Lapid l’avait initialement prévu),augmentera cependant dans les cinq ans à venir, pour passer à 59 milliards deshekels d’ici 2018 alors qu’il est de 51 milliards aujourd’hui.
Des espoirs déçus
Le chef de file de Yesh Atid s’est hissé tranquillement aupouvoir pour avoir mis le doigt sur la source de mécontentement général de laclasse moyenne. En effet, celle-ci ressent comme un affront le fait d’êtretenue à l’écart, alors qu’avec la croissance économique et la découverte d’importantsgisements de gaz, le pays se porte plutôt bien. La promesse de Lapid de lesinviter à la fête avait suscité un immense espoir. Mais l’incapacité du leaderde Yesh Atid à produire un nouveau contrat social, alors qu’en tant queministre des Finances il semble être en mesure de le faire, lui a fait perdretoute crédibilité.
Pour sa défense, Lapid avance qu’il a fait ce que toute personne responsableaurait fait à sa place. Que cette fois-ci, ce n’est pas seulement la classemoyenne qui paye, mais aussi les riches. Que son budget n’est que le débutd’une importante réforme globale qui, à terme, réduira le coût de la vie et vaaméliorer la vie des travailleurs. Et que, dans 18 mois, une fois le déficitréglé, on commencera à sentir la différence.
Lapid mise clairement sur une reprise économique d’ici deux à trois ans, depréférence à la veille des prochaines élections. Comme l’ancien Premierministre Ariel Sharon après le désengagement de Gaza, il est certain que lesélecteurs lui feront alors de nouveau confiance.
Le problème est qu’à court terme du moins, personne n’y ajoute foi.
D’après le sondage Dialog-Haaretz, 72 % des personnes interrogées doutent quel’économie sera meilleure dans 18 mois, et 69 % pensent que les riches neseront pas mis à contribution de façon significative pour alléger le fardeauéconomique.
La vérité est que Lapid n’a jamais vraiment souhaité occuper le poste deministre des Finances. Il briguait le ministère des Affaires étrangères, où ilaurait pu côtoyer les grands de ce monde et se positionner pour atteindre laplus haute fonction. Mais c’était sans compter sur l’astuce du Premierministre.
Binyamin Netanyahou a conduit Yaïr Lapid aux Finances, dans l’espoir de le voirencaisser les coups pour les mesures d’austérité qu’il lui faudrait prendrepour rétablir l’équilibre budgétaire. Plutôt que de faire passer un budget quiaurait posé problème l’an dernier, Netanyahou a provoqué des élections enjanvier, et refilé à Lapid le sale boulot de prendre des mesures économiques forcémentimpopulaires.
Réactions en chaîne
Les critiques de l’opposition sont cinglantes. Sesadversaires de gauche à la Knesset, sous la houlette de Shelly Yachimovich,estiment qu’il aurait dû prendre davantage aux riches et que son budget tropaustère manque de moteurs de croissance. Pour la députée travailliste, Lapid atout faux. Son budget, en droite ligne avec la philosophie néoconservatrice demise au ministère des Finances, pourrait conduire à un ralentissementéconomique paralysant, au lieu du redressement espéré. En revanche, pourrelancer l’économie, Yachimovich préconise des dépenses publiques de typekeynésien et la résorption progressive du déficit grâce à une activitééconomique plus solide.
Il s’agit là d’un grand débat idéologique : les sociaux-démocrates commeYachimovich plaident pour plus de dépenses publiques et des outils plus précispour la redistribution des richesses. Ils ajoutent que, même si lenéoconservatisme de ces dernières années a eu une influence relativementpositive pour le pays, il a laissé Israël avec une classe moyenne frustrée etle taux de pauvreté le plus élevé dans le monde développé.
En réaction, Lapid et l’establishment économique affirment que le modèle delourdes dépenses proposé par Yachimovich entraînerait Israël sur une penteglissante vers un destin économique similaire à celui de la Grèce et del’Espagne.
Il est clair que l’avenir politique de Lapid dépend des performanceséconomiques d’Israël au cours des prochaines années. Si tout se passe sansaccroc durant son mandat, il se positionnera en concurrent sérieux pour lePremier ministre, en dépit de la conjoncture actuelle. Dans le cas contraire,il pourrait vite déchoir de son piédestal et causer l’implosion de son parti.Ceux qui offrent à la classe moyenne une nouvelle alternative en seraient lespremiers bénéficiaires. Cela concerne principalement Yachimovich, ou le nouveaudirigeant travailliste, si elle est évincée lors des prochaines primaires deson parti.
Le nom le plus en vogue dans le milieu travailliste est celui de l’ancien chefd’état-major Gabi Ashkenazi, qui, prétendent ses partisans, pourrait supplanternon seulement Yachimovich, mais aussi Lapid comme le nouveau chouchou de laclasse moyenne.