La confiance dans les institutions publiques, en baisse constante depuis plusieurs années, a atteint aujourd’hui un niveau critique. C’est ce que démontre un récent sondage effectué par l’Institut israélien pour la démocratie. Selon ses résultats, trois quarts des Israéliens pensent que les hommes politiques sont déconnectés de leurs besoins et de leurs problèmes, et 79 % des personnes interrogées sont d’accord avec l’affirmation selon laquelle ils se préoccupent davantage de leurs propres intérêts que de ceux du peuple : la confiance du public dans les partis politiques est ainsi tombée en dessous de 14 %, contre 19 % l’année dernière. Enfin, un tiers seulement des sondés pense que les députés prennent leur rôle à cœur et font leur travail correctement.« Notre système ne fonctionne plus », constate Yohanan Plesner, président de l’Institut israélien pour la démocratie, qui le dit miné par deux problèmes principaux : le manque d’argent, et les réseaux sociaux. « Les partis sont devenus des formations à la fois modestes et faibles. Autrefois, il existait des structures et des institutions affiliées aux partis qui touchaient presque tous les aspects de la vie des citoyens, tels que les mouvements de jeunesse, les journaux, les clubs de sport, les syndicats, et même des organismes de santé. Tout cela contribuait à leur donner un poids institutionnel et des ressources financières.Mais aujourd’hui, la majorité de ces institutions ont disparu ou se sont détachées de la politique, privant les partis de leurs ressources ». « Il y a dix ans, j’étais secrétaire général de Kadima, le plus grand parti du pays. Il était considéré comme le plus riche, alors que son budget était de seulement cinq millions de dollars par an », raconte Yohanan Plesner, député de 2007 à 2013 pour ce parti qui n’existe plus. « C’est pourtant l’équivalent du budget d’une petite épicerie ! »L’impact des médias sociaux Concernant les réseaux sociaux, force est de constater qu’ils ont entraîné une personnalisation de la politique. Les leaders des partis incarnent un label, tandis que l’importance accordée aux formations politiques a diminué. « Les gens ne s’identifient plus aux partis, aux institutions. Ce qui prime désormais, c’est le degré d’affinité qu’on peut avoir avec le numéro un du parti : « Est ce que je le trouve sympathique ? Est-ce que je l’aime ? Est-ce qu’il m’aime ? Est-ce que nous appartenons au même groupe ? » On observe ainsi une montée de la politique identitaire, au détriment de l’idéologie.D’après le président de l’IDI, « au départ, la communication l’échange d’informations sur les réseaux sociaux étaient considérés comme l’expression d’un idéal de démocratie. Mais par la suite, nous avons réalisé que tout cela participait à la disparition des institutions démocratiques et des partis politiques. Ce n’est pas la faute d’une personne en particulier, c’est juste un exemple classique de la loi des conséquences inattendues. » « Lorsque Mark Zuckerberg a créé Facebook, il a juste pensé que ce serait un bon moyen de partager des informations entre amis. Il était loin d’en imaginer toutes les répercussions. »En Israël, cette personnalisation des hommes politiques est encore plus extrême. Parmi les citoyens de vingt-quatre démocraties étudiées par l’Institut israélien pour la démocratie, Ce sont les Israéliens qui préfèrent le plus « liker » les leaders de leurs partis sur les réseaux sociaux, plutôt que les partis eux-mêmes. Certains hommes politiques comme Benjamin Netanyahou, Yaïr Lapid et Naftali Bennett, se démarquent ainsi par le nombre total de leurs followers sur Internet, plus important encore que celui des politiciens exerçant dans des pays beaucoup plus peuplés qu’Israël. Cette popularité s’explique en partie par leur savoir-faire en matière de communication sur Internet, qui offre un accès direct et peu coûteux vers les électeurs, sans avoir à passer par les médias traditionnels ou les réseaux du parti. Le problème majeur de cette hyperactivité des leaders israéliens sur les réseaux sociaux, constate Yohanan Plesner, est qu’elle entraîne la raréfaction du débat idéologique entre les partis. « Ils ne feignent même plus de discuter et d’argumenter autour des idées du parti qu’ils incarnent. »Selon Gideon Rahat, directeur du programme de réforme politique de l’IDI, rompre avec cette domination de l’individu « nécessite de recentrer cette personnalisation dans le contexte du parti et de ses idées, repousser les personnalités qui se démarquent à l’intérieur des partis ». « Imaginez que vous êtes en train de tweeter avec un parti ou de vous connecter à son compte Facebook, et que l’un de ses porte-parole ou de ses personnalités se mette à discuter avec vous par le biais de son compte Twitter propre. Cela fait une grande différence, et même si ça a l’air d’une jolie histoire humaine, ça ne l’est pas. Car dans un tel contexte, la personnalisation des partis est inévitable. » Yohanan Plesner encourage les partis à exploiter positivement les médias sociaux afin de renforcer leur engagement. « Cela pourrait amener les personnes à prendre part plus régulièrement au processus démocratique. Lire autre chose que les posts de politiciens faisant la promotion de leur agenda personnel, intéresserait sûrement les électeurs potentiels », dit-il.Concernant l’amélioration du fonctionnement de la démocratie, l’une des idées les plus fréquemment invoquées est celle du rehaussement du seuil minimum de votes pour qu’un parti puisse entrer à la Knesset. Une idée rejetée par Gideon Rahat. « La solution ne réside pas dans le fait d’augmenter ce seuil. Celui-ci se trouve aujourd’hui à un niveau modéré qui se doit d’être maintenu afin de permettre à toutes les composantes de la société d’être représentées au parlement », affirme-t-il. « Il serait par trop pénalisant de faire passer ce seuil de 3,25 % à 5 %. Ce n’est pas la solution. Nous voudrions plutôt encourager les partis et les politiciens à mettre en place des alliances préélectorales claires : après l’élection, celui qui deviendrait Premier ministre serait celui en tête de la liste ayant reçu le plus grand pourcentage de voix, à moins que 61 députés ou plus soient prêts à soutenir un autre candidat désigné ». Des problèmes structurelsUn autre écueil est celui du système des élections internes. Au début des années 1990, un système d’élections primaires au potentiel certain a été mis en place. Le problème est qu’il est aujourd’hui une « structure en faillite » d’après Yohanan Plesner, en raison de la baisse du militantisme au sein des partis. « La solution proposée a donc été celle du décisionnaire unique qui prend toutes les décisions, par opposition à un parti politique composé d’un leadership collectif, qui représente différents aspects de la société et sert de plateforme au débat d’idées. Les partis au chef unique ont fait office de solution à la maladie des élections primaires, mais en même temps qu’ils ont résolu un problème, ils en ont créé un autre », dit le directeur de l’IDI.La solution proposée par l’Institut aux problèmes structurels des partis, serait de tenir des primaires semi-ouvertes, pour lesquelles ces derniers recevraient des subventions en échange d’une réglementation rigoureuse. Cela permettrait à un plus large segment de la population de participer au choix du dirigeant, ainsi qu’à la liste des candidats aux postes de députés.« De cette façon, les futurs parlementaires ne se sentiront pas redevables envers des petits groupes d’intérêts, qu’ils soient idéologiques, économiques ou municipaux », affirme Plesner. Ce système exigerait trois conditions : établir un mécanisme de sélection pour éliminer les extrémistes, demander le versement d’une cotisation symbolique, et signer une déclaration d’appartenance au parti. Il deviendrait ainsi beaucoup plus difficile pour les opposants d’une formation de saboter un candidat ou un parti de l’intérieur. Yohanan Plesner recommande d’organiser ces primaires le même jour pour tous les partis, et que leur organisation et leur financement soient assurés par le comité général des élections. L’Etat pourrait lui aussi contribuer au soutien financier des principaux partis, et ne plus limiter sa participation financière aux seules campagnes électorales.Ces fonds permettraient d’établir un think tank ou un centre de réflexion pour chaque formation importante. « Cela existe déjà en Allemagne, où chaque parti a une fondation qui lui est affiliée », explique Plesner. « Il existe une réglementation très stricte concernant l’utilisation des fonds fédéraux, les partis ne peuvent notamment pas utiliser ces fonds afin d’acheter des militants par exemple. Ils possèdent des organismes de recherche sérieux qui génèrent des idées, des débats, et qui font émerger un leadership ; en d’autres termes, ils se comportent comme tout parti devrait le faire. »Yohanan Plesner note qu’après la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne a compris que les institutions démocratiques ne pouvaient jamais être considérées comme acquises, et qu’elles se devaient d’être soutenues. « Dès lors que vous fixez des critères pour vous assurer que l’argent est dépensé correctement, et que vous veillez à leur mise en application, il est toujours préférable de fournir des fonds publics. Au final, cela revient moins cher que de compter sur des donations envers lesquelles les partis sont ensuite redevables. C’est une garantie de non-ingérence et de transparence. » L’enjeu n’est pas des moindres :il s’agit de préserver la démocratie israélienne. © Jerusalem Post Edition Française – Reproduction interdite