Les magnifiques forêts d'Israel

Pessah est aussi la fête du printemps. L’occasion rêvée de redécouvrir l’histoire des fabuleuses forêts d’Israël. Et de se promener dans les bois…

Forêt typique du paysage israélien (photo credit: KKL-JNF ARCHIVE)
Forêt typique du paysage israélien
(photo credit: KKL-JNF ARCHIVE)
On pourrait croire que les forêts d’Israël sont trop petites pour que les groupes de réflexion internationaux sur les programmes forestiers leur prêtent la moindre attention…
Aujourd’hui elles couvrent plus de 8 % du territoire… mais Israël est un si petit pays ! En tout et pour tout, on en compte à peine plus de 101 170 hectares, soit 1/60 000 de la surface de la planète occupée par des forêts. Autant dire, une quantité négligeable…
Pourtant, nos arbres valent la peine qu’on se penche sur leur histoire et les chroniques de ce reboisement peuvent se révéler très instructives dans un monde qui cherche à restaurer ses forêts. Israël est un cas extrême. Il peut servir de modèle, pour le meilleur ou pour le pire…
Pour comprendre pourquoi les forêts israéliennes et l’expérience de boisement local ont leur importance, quelques mots sur la situation mondiale s’imposent.
Sauver les forêts
Aucune ressource naturelle sur la planète n’a été autant affectée par l’activité humaine que la forêt. Il y a quelque 8 000 ans, peu avant les débuts de l’agriculture, cinq millions d’hommes seulement vivaient sur la terre et les forêts occupaient 47 % de la superficie. Beaucoup ont depuis disparu…
L’évaluation de l’ampleur de la déforestation varie d’une estimation à l’autre : le National Geographic cite souvent une analyse qui estime la disparition des forêts d’origine aux trois quarts de leur superficie initiale.
En 2005, l’Evaluation de l’écosystème du millénium (Millennium Ecosystem Assessment, MEA, commandée par l’ONU et la Banque mondiale), à laquelle ont participé plus de 1 000 spécialistes, a sans doute constitué l’inventaire le plus ambitieux et le plus fiable des ressources de la planète : selon ce rapport, les êtres humains auraient détruit 40 % des forêts initiales.
La technologie moderne et la croissance démographique massive du XXe siècle ont accéléré ce processus de façon dramatique : pour preuve, la moitié de cette déforestation historique a eu lieu ces 100 dernières années.
Il n’y a pas très longtemps que l’importance des forêts a été reconnue à sa juste valeur et l’on a ainsi compris leur rôle dans la régulation et le maintien du climat de la planète. Alors que les forêts les plus anciennes disparaissent, le carbone s’échappe dans l’atmosphère et sa séquestration terrestre diminue. Les changements dans l’utilisation du sol contribuent à 17 % des émissions annuelles de gaz à effet de serre, avec des calculs fondés sur la déforestation dans les zones tropicales. Selon les estimations de l’ONU, le sol et la végétation retiennent chaque année 2,6 gigatonnes de dioxyde de carbone et ce sont les forêts qui absorbent la part du lion de ce CO2.

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Malgré leur dévastation massive, les forêts couvrent encore 31 % de la surface émergée de la planète et leur destruction semble se ralentir. L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture estime qu’entre les années 2000 et 2010, les forêts de quelque 5,2 millions d’hectares ont été abattues ou ont brûlé. Un chiffre stupéfiant, mais de 38 % inférieur aux 8,3 millions d’hectares perdus ces dix dernières années.
Ces chiffres sont presque trop titanesques pour que les simples mortels que nous sommes parviennent à se les représenter. Disons plutôt qu’aujourd’hui, la déforestation détruit chaque année une zone de forêt de la taille du Costa Rica, tandis qu’il y a dix ans, la zone détruite annuellement avait la superficie de la Pologne…
S’il y a désormais des raisons d’être optimiste, c’est que de nombreux pays commencent à comprendre que les arbres constituent une ressource renouvelable. Une prise de conscience qui se traduit par de nouvelles politiques publiques et le lancement de projets de reboisement à grande échelle.
Tandis que le monde a entrepris la restauration d’une partie au moins de ses forêts dévastées, survient la question de la qualité. Car l’intégrité écologique n’est pas seulement une question de quantité. Il est capital de mieux comprendre quelle superficie il convient de reboiser, de quelle façon il faut le faire et quels services les nouvelles futaies peuvent rendre aux écosystèmes. Les tendances actuelles suggèrent que l’humanité est peut-être à un tournant et que l’accroissement total des zones reboisées pourrait bientôt excéder celui des terres déboisées. A l’heure où le monde lance sa campagne collective de reboisement, il est important de bien préciser les choses.
L’exemple israélien
L’histoire du boisement d’Israël intéressera les législateurs, les défenseurs de l’environnement et les responsables de l’aménagement du territoire en quête d’une stratégie de reboisement viable. Au cours de ses 66 ans d’existence, Israël a prouvé qu’il n’y a pas de fatalité en faisant passer l’étendue de ses zones de forêts de 1 % à 8 % de son territoire. Ainsi, en 1948, les régions boisées, naturelles ou non, recouvraient en tout et pour tout 1 % de la superficie de l’Etat, tandis qu’en 2005, ce chiffre était passé à 8,5 % ; il pourrait aisément franchir la barre des 10 % avant de se stabiliser dans quelques dizaines d’années.
Une terre anciennement synonyme d’érosion, de désertification et d’abandon a ainsi bénéficié d’un complet « relooking » environnemental…
Cet exercice de réhabilitation écologique d’un pays où 97 % des terres sont classées « zones arides » pourrait servir d’exemple pour la moitié de la planète, où l’eau a toujours été rare.
Pourtant, étant donné l’empressement qu’ont mis les sylviculteurs et les responsables politiques à procéder au boisement du pays, il était évident que des erreurs seraient commises et qu’elles auraient des conséquences économiques, politiques et écologiques…
Des arbres qui tombent
Comme chaque fois que la neige tombe sur les collines boisées de Jérusalem, les tempêtes de neige de décembre 1972 ont fourni un changement de couleur éphémère – et beaucoup d’excitation du côté des enfants, pour qui la moindre chute de flocons est synonyme d’écoles fermées.
En fin de compte, pouvait-on seulement parler de tempête ? Cela n’a rien eu d’un blizzard et l’on imagine mal que des conditions météorologiques de ce genre puissent causer une catastrophe. Ce fut pourtant le cas.
Lorsqu’on voyage depuis la côte jusqu’à Jérusalem, on commence à gravir les monts de Judée et l’on passe par Shaar Hagaï. Ce col stratégique entre les collines, à mi-chemin entre Tel-Aviv et la capitale, a été le site de combats acharnés durant la guerre d’Indépendance, quand les forces juives cherchaient à briser le siège de la ville.
Il s’agit d’une région de forêts de pins d’Alep, connus en Israël sous le nom de pins de Jérusalem.
Plantées entre 1927 et 1937 par les services forestiers du Mandat Britannique, ces forêts ont été étendues ensuite par leurs successeurs du KKL. Shaar Hagaï est bientôt devenu l’une des forêts les plus remarquables, le long de la route principale entre les deux grandes villes du pays : une forêt de pins assez dense couvrant les collines d’un vert luxuriant. Plus qu’une charmante destination propice aux promenades, ces lieux fournissent la preuve que la régénération est possible. Toutefois, certains spécialistes avaient déjà remarqué que les arbustes dissimulés derrière les arbres vigoureux bordant la route ne se portaient pas bien.
A l’été 1968, après la guerre des Six Jours, la route de Tel-Aviv à Jérusalem est élargie, passant de 2 à 4 voies, afin de répondre au nombre croissant d’Israéliens curieux de voir la nouvelle capitale réunifiée. Pour faire de la place à l’asphalte, la première rangée d’arbres est abattue, révélant des taillis chétifs et maladifs aux allures d’épouvantails.
Quatre ans plus tard, même les branches les plus robustes s’étaient asséchées et les arbres n’étaient plus que des silhouettes rousses desséchées, cassantes et fragiles.
La neige qui tombait a alors commencé à s’accrocher aux branches et à s’accumuler. Tout comme un fétu de paille a suffi à briser le dos du chameau de la légende, des milliers de pins se sont purement et simplement écroulés sous le poids de la neige.
Et voilà les sylviculteurs sous le feu d’attaques nourries, avec les médias qui les vouent aux gémonies en leur reprochant leur incompétence. Le directeur du KKL pour la région centre, Haïm Blass, convoque alors une conférence de presse pour calmer la vindicte de la presse et répondre aux accusations de désastre écologique. Ces pins de Jérusalem avaient 50 ans et en étaient au stade ultime de développement d’un processus écologique. La forêt s’en sortira.
Attention à la cochenille du pin
Les hommes politiques n’acceptent pas ces explications. Chaque fois qu’ils vont de Tel-Aviv à la Knesset, ils voient des arbres ratatinés sur le bord de la route, et ce paysage moribond les met mal à l’aise par son symbolisme. La nation n’a jamais été aussi proche d’un traumatisme écologique et ils ont besoin d’un bouc émissaire.
En 1974, une commission d’enquête de 14 membres est chargée d’analyser le problème, avec, à sa tête, le professeur de botanique Abraham Fahan, de l’Université hébraïque. Elle recense 12 causes possibles de l’atrophie des arbres de Shaar Hagaï, mais rechigne à désigner des coupables.
En mars 1975, Hugh Wilcox, célèbre expert en maladies des plantes de l’université de New York, se prononce. De cet entretien confidentiel, au cours duquel il livre un diagnostic sans équivoque, la commission ressort convaincue du rôle central joué par la cochenille du pin maritime, une peste locale bien connue. La presse israélienne est prompte à publier ces conclusions.
On dit souvent que la taille d’un organisme est inversement proportionnelle à la longueur de son nom taxonomique en latin. C’est assurément le cas du Matsucoccus Josephi Bodenheimer et Harpaz – Josephi étant un hommage taxonomique douteux au président du KKL et spécialiste des pins Joseph Weitz (Bodenheimer et Harpaz font référence aux premiers scientifiques à avoir étudié cette maladie). Plus simplement, on lui donne le nom de cochenille du pin israélien.
Dans une étendue de monoculture, les conditions sont stables pour les insectes nuisibles, qui peuvent profiter d’une couverture homogène et d’une source de nourriture abondante. Cela est vrai dans toutes les forêts. En général, plus il y a d’arbres différents, moins les insectes nuisibles et les maladies sont nombreux. En même temps, l’habitat et les opportunités environnementales des prédateurs naturels sont réduits.
En un mot, les malheureux pins ont représenté un buffet à volonté. Quand les insectes en dévorent l’écorce, ils sécrètent une salive toxique dont l’effet est d’interrompre la circulation de l’eau dans l’arbre et paralyse toute nouvelle pousse. Le résultat se manifeste comme un assèchement des branches affectées.
Les faiblesses génétiques ont également contribué au problème. Les graines de pins d’Alep avaient été importées en Israël du temps du Mandat britannique, de sorte que les arbres plantés n’ont jamais eu la possibilité d’évoluer à proximité des variétés locales équivalentes. S’ils possédaient la résistance génétique nécessaire pour se prémunir contre les parasites de l’ouest de la Méditerranée, ils étaient en revanche très sensibles aux variétés présentes dans l’est de celle-ci.
Un nouvel ennemi
Très vite, ces nouvelles forêts se sont aussi fait d’autres ennemis que les insectes. Durant les années 1950, la Société de protection de la nature en Israël est apparue comme la plus importante ONG du pays, établissant un réseau national d’écoles de la nature.
Gidi Neeman est un professeur d’écologie distingué de l’université de Haïfa. Au début des années 1960, il travaillait en Galilée dans l’école de la nature SPNI du mont Méron. Il sourit aujourd’hui en se remémorant les raids nocturnes de représailles effectués par de jeunes amoureux de la nature. Avec zèle, ces derniers déracinaient les pins que le KKL venait de planter, et dont ils considéraient qu’ils n’avaient pas leur place dans les paysages naturels locaux.
« Pour nous, les sylviculteurs étaient des ennemis, une véritable catastrophe. “Vous, occupez-vous de protéger la nature”, disaient-ils. “Notre travail à nous est de faire des forêts. Vous ne dites pas à un fermier comment on cultive des poires, alors ne nous dites pas comment on fait pousser des arbres.” »
Je me souviens qu’à Har Hazon, non loin de l’endroit où j’habite aujourd’hui, ils sont arrivés un beau matin et ont brûlé toute la végétation naturelle existante. Ensuite, ils sont revenus avec des bulldozers, ont creusé tout le côté nord et ont planté des pins. « A cet endroit, il y avait alors de magnifiques chênes et des arbousiers (katlav ou arbres à fraises grecs), ainsi que des fleurs sauvages. Tout a été détruit. C’est comme cela qu’ils travaillaient à cette époque. Alors nous les combattions ! »
Par pur hasard, la fille d’un des sylviculteurs responsables de la région nord, Touvia Ashbel, travaillait comme bénévole dans une école de la nature. Recueillir des renseignements n’était donc pas très difficile. C’est seulement plusieurs décennies plus tard, quand le KKL a fini par repenser ses méthodes de plantation, que le conflit a été résolu.
Tirer les leçons des erreurs commises
Avec le recul, il apparaît donc que la décimation des pins de Shaar Hagaï était un désastre prévisible… La tempête de neige de 1972 dans les collines de Jérusalem peut être considérée comme un tournant, après lequel l’approche adoptée par les sylviculteurs s’est effondrée de la même façon que les arbres morts.
Il faudra ensuite près d’une vingtaine d’années pour que le nouvel Evangile de protection de l’environnement soit bien intégré par les sylviculteurs sur le terrain et se traduise par un passage à une plus grande diversité d’espèces, à des densités de plantation moins importantes et à l’adoption des pins de Calabre, plus résistants.
Néanmoins, même les sylviculteurs les plus soucieux d’environnement travaillant en Israël aujourd’hui saluent encore la première génération de sylviculteurs d’Israël et les vastes étendues de monocultures de pins qu’ils ont plantées. Leur dévouement personnel était immense, ils travaillaient dur et leurs futaies ont servi de « réserves » pour les forêts actuelles.
A bien y réfléchir, peut-être leur caractéristique la plus impressionnante a-t-elle été leur capacité à apprendre de leurs erreurs et à redéfinir complètement les procédures, les priorités et les pratiques à l’intérieur des forêts d’Israël.
Une histoire de chauffeurs
On pourrait dire que le facteur-clé de la transition du KKL au boisement écologique a été la répugnance de Haïm Zaban à avoir un chauffeur particulier.
Zaban reste l’un des économistes de l’agriculture les plus innovants et les plus téméraires du pays. En 1960, alors frais émoulu de l’université, il entre au ministère de l’Agriculture et gravit un à un tous les échelons, avant d’être nommé président de la commission chargée d’étudier les propositions du service de boisement du KKL.
En 1981, il apprend qu’il est pressenti pour le poste de directeur de l’Autorité d’aménagement du territoire, bras opérationnel du KKL. Il n’hésite pas et saisit cette opportunité professionnelle. Cependant, il s’aperçoit vite que, s’il veut appliquer les nombreuses réformes qu’il a en tête, il va devoir opérer d’importants changements de personnel.
A cette époque, le syndicat du KKL est très puissant et impose son point de vue sur les principales nominations. Injecter du sang nouveau en amenant de jeunes diplômés de l’université dotés de qualifications en écologie n’est donc pas facile pour le nouveau directeur, d’autant que le conseil d’administration politiquement élu n’est guère disposé à risquer une grève générale pour telle ou telle nuance dans un CV.
Pour pouvoir s’entourer de spécialistes à la fois idéalistes et talentueux, Zaban est donc contraint d’introduire au compte-gouttes de jeunes employés titulaires d’un diplôme universitaire approprié. Il veut des personnes capables d’étudier les problèmes de façon analytique, au lieu d’accepter automatiquement la façon dont le système a toujours fonctionné. Le syndicat, naturellement, s’y oppose de tout son poids.
Zaban a donc une idée : il va conduire lui-même sa voiture et recruter pour le poste fictif de chauffeur un jeune diplômé possédant la formation appropriée. Il attribue à celui-ci diverses missions qui lui permettent d’acquérir des compétences pratiques et, dès qu’un poste se libère, l’invite à poser sa candidature dans le cadre des promotions internes du KKL. Avec la qualification qu’il possède, ce chauffeur candidat n’a aucune difficulté à obtenir le poste, et Zaban se met alors en quête d’un autre « chauffeur ».
De nouvelles priorités
Depuis le Mandat britannique, les directeurs des services forestiers en Israël partaient du principe que l’industrie du bois était leur ultime raison d’être. En tant qu’économiste, Zaban lui, rejette cette idée. Car si les forêts, dans les pays secs, peuvent apporter toutes sortes de bienfaits, une industrie du bois prospère n’en fait pas partie.
Il faudra du temps pour que les idées de Zaban fassent leur chemin, comme c’est souvent le cas avec les réformes fondamentales. En 1990, le département forestier du KKL a codifié ces nouvelles perspectives dans un document intitulé « Nouveau programme pour la gestion et le traitement des forêts plantées d’Israël ». Rédigé par les principaux gestionnaires du pays en collaboration avec des universitaires de renom, il redéfinit les objectifs du boisement.
Les avantages environnementaux – dont l’amélioration du paysage, la correction des risques esthétiques et environnementaux, la préservation des sols et la stabilisation des dunes de sable – figurent en tête des objectifs. Les bénéfices sociaux, comme le développement de la randonnée, des loisirs et du tourisme, suivent. L’économie apparaît en dernière place, presque sans conviction, avec la constitution de pâturages et la protection du territoire national.
Avec l’abandon des illusions, les entraves que constituaient jusque-là la nécessité d’intensifier le rendement et les profits qui motivaient les gestionnaires ont disparu. De nouvelles politiques et de nouvelles pratiques se fondent dès lors dans tous les domaines du boisement : on associe de nouvelles espèces au type de sol correspondant, on diversifie les plantations, on réduit leur densité, on encourage la régénération naturelle, on prévient les incendies, on accroît l’accessibilité pour les handicapés et l’on intègre la maîtrise des insectes nuisibles.
Bien sûr, ces changements sont plus faciles à formuler qu’à mettre en pratique et les nouvelles stratégies entraînent de nombreux problèmes techniques, mais elles ouvrent aussi la porte à des solutions créatives. En tout cas, elles offrent la promesse de forêts qui ressembleront davantage à celles que l’on trouvait à l’origine en Israël, avec une érosion plus efficacement évitable et une meilleure résistance aux parasites et aux incendies, tout en étant plus pittoresques et plus accessibles aux randonneurs.
Imiter la nature
Depuis longtemps, les experts partaient du principe que, livrée à elle-même, la nature produirait peu à peu des forêts où régnerait une grande diversité d’espèces feuillues, avec une prédominance des chênes. Toutefois, étant donné la gestion bureaucratique volontariste et bien financée du boisement, il n’était pas question d’attendre des siècles que la nature fasse son œuvre. Dans un pays à population dense, il importe de gérer les espaces vides de façon réfléchie et professionnelle.
L’objectif fixé était donc d’accélérer les processus naturels et de favoriser une très riche diversité dans les nouvelles forêts. Le « recrutement » d’espèces indigènes pour améliorer la diversité génétique, fonctionnelle et structurelle a été considéré comme un composant clé de la gestion écologique des plantations forestières. Mais l’ajout de nouvelles espèces ne s’est pas fait sans difficulté.
Pour imiter la nature, les sylviculteurs ont alterné un mélange très sain d’arbres de tailles et d’espèces différentes sur les parcelles qu’ils ensemençaient. Les espèces feuillues d’origine – comme les chênes et les pistachiers térébinthes – étaient distribuées au hasard parmi les semis de pins. Ils ne parvenaient donc pas à lutter contre les conifères. Lorsqu’ils arrivaient à trouver assez de lumière pour survivre, ils poussaient avec peine, lentement, et leur taille restait largement inférieure à la moyenne 15 ans après avoir été plantés.
Plusieurs techniques ont alors été mises au point, dont la transplantation de chênes matures qui, eux, avaient 96 % de chances de survie. Mais l’opération était extrêmement coûteuse. Impossible à réaliser à grande échelle. Pour qu’une solution soit viable, il fallait pouvoir s’en remettre aux glands.
Un patchwork verdoyant
Dans les forêts nouvellement plantées, des parcelles de différents types d’arbres ont été juxtaposées pour former une mosaïque. Cette disposition bien rangée a permis une gestion plus efficace, avec un contrôle des arbres sauvages, une irrigation ou des abris en polypropylène spécialement conçus pour un carré d’arbres donné. Une orientation à la discrimination positive – « distincts, mais égaux » – qui a permis d’améliorer le taux de survie des arbres feuillus poussant sur le terrain. Car auparavant, beaucoup d’espèces de feuillus valorisées ne pouvaient survivre dans des zones géographiques où les chiffres de pluviométrie sont inférieurs à 400 mm.
Une approche plus souple et plus douce du processus de plantation a également été favorisée. Ainsi, dans les zones à faible pluviosité, on a porté une attention plus grande à la conservation du sol et à l’intégrité écologique.
Les arbres déjà présents ont été méticuleusement préservés en même temps que l’on préparait le terrain pour des semis, tout en renonçant peu à peu à brûler les broussailles. Les bulldozers ont été remplacés par des machines plus méticuleuses dont la mission était de « préparer le terrain ».
Chaque sol et chaque climat réclament leurs propres méthodes d’ensemencement. Par exemple, la préparation des terrains dans le Néguev semi-aride requérait des méthodes diamétralement différentes des hauteurs rocheuses et escarpées de Galilée.
Autre domaine dans lequel des changements ont commencé à être appliqués : l’emploi des pesticides.
En 1960, le KKL avait introduit dans son arsenal chimique la simazine, un herbicide très efficace. Diffusée par avion sur de vastes étendues, la simazine parvenait à tenir les mauvaises herbes à distance, épargnant de nombreuses heures de travail.
Il s’agissait cependant d’un poison toxique, qui risquait de s’écouler dans les cours d’eau et les lacs et de s’accumuler dans les organismes aquatiques . Plus grave encore, elle pouvait affecter la santé de la population.
Là encore, la politique des services forestiers a donc évolué vers des pratiques plus écologiques. En 2005, le KKL a décidé de suivre l’exemple de l’Europe en bannissant l’usage de ce pesticide en Israël. Aujourd’hui, quand l’utilisation d’un herbicide s’impose, on utilise des produits moins agressifs et biodégradables, évidemment plus coûteux.
Laisser les arbres respirer
C’est toutefois dans la densité du boisement que sont intervenus les changements les plus radicaux.
Si dans les années 1950, on comptait en moyenne 289 arbres pour 0,1 hectare de terrain, le guide des bonnes pratiques du KKL, paru en 1990, a appelé à une stratégie totalement différente : étant donné les ressources limitées, on ne procéderait qu’à un éclaircissement des pins au moment où ceux-ci atteindraient 2,5 à 3 mètres de hauteur – à un âge se situant entre 8 et 12 ans. En principe, à cet âge, les arbres seraient moins vulnérables aux dommages provoqués par le grignotage des animaux.
Avec cet impératif en tête, la nouvelle densité dans les zones rocheuses a été fixée à une moyenne de 45 à 65 arbres pour 0,1 hectare, « sans limitation en matière d’éclaircissement ». Cette réduction spectaculaire a été facilitée grâce à de constantes améliorations dans la qualité des semences, le contrôle des mauvaises herbes, les tracteurs équipés de foreuses et de pelleteuses, une meilleure manœuvrabilité sur le site, des grillages et des systèmes « protecteurs d’arbres ».
Cette réduction de la densité de boisement visait en principe à améliorer la santé des arbres, mais il y avait aussi des motivations implicites : cette décision offrait des avantages supplémentaires, comme la régénération naturelle des arbres feuillus sur le sol exposé des forêts et une expérience plus agréable pour les promeneurs.
La danse de la restauration
Les courants écologiques à travers le monde sont extrêmement décourageants. Pour ceux qui considèrent la situation d’ensemble et réfléchissent au-delà des microsuccès isolés, il est difficile de trouver des raisons d’être optimiste. Aussi est-il important de saluer les réussites en matière d’environnement quand il y en a.
Oui, une orientation plus écologique est bel et bien possible. Contrairement à d’autres pays situés à l’est de la Méditerranée, pour lesquels la perte de l’héritage forestier est une fatalité, Israël a choisi d’influer sur le cours naturel de l’histoire et de replanter des forêts. Ses efforts initiaux ont certes été malhabiles et ont péché par un trop-plein d’enthousiasme, mais avec un peu d’humilité, les responsables ont appris de leurs erreurs et fini par trouver un modèle plus écologique.
On peut lire dans les psaumes : « Alors, tous les arbres de la forêt se réjouiront ». Après une longue absence et des débuts très lents, mais pleins de détermination il y a cent ans, de nombreux arbres de la terre d’Israël vont ainsi se réjouir de nouveau, et ils apporteront alors une série de merveilleux bienfaits aux habitants des lieux.
Planter une nouvelle génération de forêts reste un travail en cours et il y a encore du pain sur la planche. Les forêts viennent à peine d’entamer leur transition progressive vers une plus grande complexité, mais aussi vers plus de stabilité et de beauté. Les politiques de boisement et les stratégies du pays doivent encore être analysées, critiquées et améliorées. Toutefois, ce discours froid ne doit jamais faire oublier que le contexte global nécessite un engagement proactif.
Il ne faut en aucun cas considérer la disparition des forêts comme une part inéluctable de la civilisation moderne, même dans les zones arides. Les hommes sont parfaitement capables de chorégraphier une réalité plus souriante. Si tous les arbres de la forêt se réjouissent de nouveau, les êtres humains peuvent à coup sûr faire la fête avec eux dans la grande danse du reboisement.
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